Olivier Sulpice : "je rêve que les écoles s'emparent de ces BD audios"
Bamboo Édition, la maison spécialisée dans la BD d'humour dit " grand public" derrière les best sellers comme Les Profs, Les Sisters, Spoon & White… s'invite dans vos oreilles avec des BD enrichies. Un projet original, innovant et à vocation aussi pédagogique que ludique. Olivier Sulpice, le fondateur, explique à Linternaute.com la genèse de ce projet original.
Comment et pourquoi est né ce projet de BD audio ?
Olivier Sulpice : Si on remonte à l'instant zéro, je pense que tout a germé à partir de la création d'un podcast Les Sisters avec les équipes de Gulli. Lors du lancement du projet mon souhait principal c'était de ne pas créer de nouvelles histoires spécifiques à ce format. C'est très compliqué de créer de nouvelles histoires, on a déjà les BDs et les romans. Les équipes de Gulli ont accepté d'adapter des gags des albums dessinés avec les comédiennes qui font les voix du dessin animé. Qu'ils ont adapté avec brio et plus ou moins de liberté selon les gags. Quand ils sont arrivés à un gag où la reprise audio était presque mot pour mot la planche de bd, j'ai eu une épiphanie. Je me suis dit que ce serait formidable que les gamines et gamins peuvent avoir l'album et l'écouter en même temps qu'ils le lisent.
Dès le début vous avez eu l'idée d'un QR Code par page ?
Au début, mon idée était de scanner les pages avec son téléphone et que ça déclenche une lecture audio à la volée. Mais il y avait deux gros défauts à cette idée. Premièrement un coup et une difficulté technologique très forte. Deuxièmement, ça gênait, in fine la lecture car on ne regardait pas la page qu'à travers l'image de son téléphone. C'est mon équipe qui m'a suggéré l'idée d'avoir un QR Code pour déclencher la lecture.
D'ailleurs dans le premier prototype il fallait appuyer sur play à chaque bulle, c'était trop fastidieux et ça gâchait l'expérience de lecture. Puis on s'est dit qu'on ne remettait le bouton play que si on changeait d'interlocuteur dans l'album. Et qu'on changeait le picto à ce moment-là sur le téléphone. Il ne faut pas oublier que l'on s'adresse à des enfants. Il faut les guider et lors de nos tests on s'est aperçu que les enfants adoraient ce côté interactif.
Vous avez fait beaucoup de tests ?
On s'est vite arrêté sur deux versions, un mode lecture de la page entière d'un coup pour les adultes et un mode personnage par personnage pour les enfants.
On a testé sur une grosse dizaine de personnes et la mayonnaise a bien pris.
Comme c'est un lecteur ligne, si on a une idée pour l'améliorer à postériori rien ne nous en empêchera. Même si, trouver un équilibre qui satisfait tout le monde est très difficile.
Christophe Cazenove, l'auteur des Sisters, au début du projet m'a dit " c'est dommage que sur le lecteur on ne voit pas la case en entier". mais si on montre la case en entier alors le support papier devient superflu. Or pour moi l'album physique est la base primordiale. Hors de questions que l'on en fasse abstraction.
C'est donc un album enrichi et non pas un album audio ?
Tout à fait. On peut parler de best of enrichi. L'audio ne doit pas être autosuffisant. On n'est pas dans un livre audio. On est dans un format que l'on a souhaité interactif. Et je pense que l'on est les premiers à avoir fait ce type d'album enrichi.
On ne s'est pas arrêté aux voix d'ailleurs, on a ajouté des bruits, pour retranscrire toutes les onomatopées si importantes aux albums BD.
Toute la production a été gérée en interne ?
Pas du tout, on a géré l'aspect technique mais pour tout ce qui est du son j'ai contacté le studio Blind que j'avais pu rencontrer lors du festival d'Angoulême. Au début je leur avais demandé de m'inclure dans le processus de sélection du casting des voix, mais très vite je me suis déclaré incompétent sur ce point et leur ai donné carte blanche. Sauf bien sûr pour les voix des Sisters. De même pour les musiques et les bruitages. On les considère comme auteurs du projet, ils ont des droits d'auteur au même titre que les auteurs de la BD.
À entendre votre amour des créateurs, vous excluez tout usage de l'IA dans ce type de projets ?
C'est une évidence. On ne l'a pas mis dans les contrats mais c'est un enjeu moral. Il est hors de question que l'on s'attaque à l'âme des projets avec de l'IA. Ne nous trompons pas cependant, l'IA peut être un outil, mais pas une finalité en soi.
Par exemple, quand j'ai ma casquette de scénariste, chatGPT peut me faire gagner du temps sur la phase de recherche et documentation. Par exemple pour la série Les gendarmes il m'arrive de chercher des anecdotes de hold-up ratés. Et là chatGPT m'extrait une liste, qui peut nous nourrir en tant que scénariste.
On peut éventuellement bidouiller une illustration pour expliquer l'idée que l'on a en tête pour une couverture ou autre, pour vérifier si ça marche bien ou même pour transmettre une commande à un illustrateur.
L'IA en tant qu'outil oui, mais pour tout ce qui est création : voix, dessin, il est hors de question que chez Bamboo on utilise l'IA au détriment des artistes.
On a validé avec l'association Les nouveaux éditeurs, une charte justement pour reconnaître et exclure les scénarios rédigés par l'IA. On s'est rendu compte d'ailleurs qu'on recevait déjà 11% de scénario avec du contenu généré par IA.
Comment avez-vous choisis quels albums réaliser en premier parmi l'étendue de vos collections ?
L'idée initiale étant venue avec Les Sisters, le choix était assez évident. C'est aussi l'année des 25 ans de la série " Les Profs". On travaille toute l'année très fortement la communication autour de cette série, d'autant plus qu'il y a la traction liée aux films. Même si on n'avait pas le budget pour avoir les comédiens du film pour ce projet évidemment. Nous voici donc avec un choix de deux licences pour cette belle aventure. Il reste à ce moment à choisir quoi mettre dans ces albums. Tout de suite on a eu l'idée de partir sur des best-of mais la sélection n'est pas juste une liste par popularité de gags. Nous avons choisi les gags qui se prêtaient, selon nous, le mieux à un enrichissement par l'audio. On a privilégié les planches où il y a une grande émotion qui transite, que ce soit par la surprise de la petite Marine, d'une onomatopée rigolote sur Les Profs, ou autre.
À quel moment vous êtes-vous dit "on tient un truc super chouette" ?
Assez vite, le but était que les gamins oublient au maximum le smartphone lors de l'usage. Et en ça, on répond très bien à cette problématique. Avec ce projet, on ne souhaite pas convertir des lecteurs de BD aux smartphones, mais au contraire, ramener des gamins accros aux écrans vers des bandes dessinées traditionnelles. On a un devoir vis-à-vis des parents.
J'ai été conquis dès le 2e ou 3e essai, alors qu'on n'avait pas encore tous les sons, et que l'étalonnage des bruitages n'était pas terminé. Ce qui a achevé de me convaincre c'est quand j'ai pu voir l'enthousiasme des équipes de Blind et des comédiens de doublage. J'ai pu assister à plusieurs enregistrements et on sentait que tout le monde s'amusait sur ce projet. On arrive à ce produit hybride qui n'est ni un film, ni un dessin animé mais qui est plus qu'une BD.
C'est un projet amené à se reproduire ?
On l'espère. Cela dépendra des ventes. On a déjà fait plusieurs fois des essais comme les " Best or" ou les "BD 3D" avec des lunettes. Mais au final, c'était plus des gadgets, mais on en a quand même vendu 300 000 exemplaires. Donc, cette fois avec une innovation bien plus palpitante nous avons des espoirs assez élevés. D'autant plus que ces albums enrichis sont vendus au même prix qu'un album normal.
Quelle a été la réaction des auteurs ?
Ils ont trouvé ça bien. Si je peux me permettre de me moquer un peu, les plus anciens - Pierre et Gilles - n'avaient même pas vu le QR Code. Et juste apprécié le choix de best-of. Sur Les Profs, comme ce ne sont pas les voix auxquelles nous sommes habitués suite aux films, il y a un petit temps d'adaptation. Sur Les Sisters tout le monde a applaudi tout de suite.
Quel accueil des jeunes lecteurs ferait de ce projet un succès ?
Le dessin animé Les Sisters est un réel carton, mais pleins d'enfants ignorent l'existence de la bande dessinée. Ce projet peut être un moyen de permettre à ce potentiel lectorat de découvrir les albums. On pourrait peut-être arriver à toucher les plus jeunes avec ce type de projet, la tranche 4 à 7 ans. J'espère aussi que ces BD audios pourront accompagner les enfants dans leur apprentissage de la lecture. Je rêve que les écoles s'emparent de ces bd audios et nous recommandent. Ce serait une validation pédagogique.
L'idéal est d'aller au-delà de la simple conquête d'un nouveau lectorat. Si l'on peut être utile tout en rapprochant les téléspectateurs et les lecteurs, alors on aura réussi notre pari. Sur l'univers des profs, le pari est un peu plus risqué, la cible éditoriale étant un peu plus âgée. On perd la partie éducative, je ne pense pas qu'un adulte décide de montrer un album audio des profs à un enfant de 5-6 ans.
Mais ça s'inscrit dans une dynamique de collection. Donc il faut voir ces albums comme un ensemble. On a mis des ambitions en termes de vente assez élevé. On vise au moins autant que pour les "Best of", d'autant plus qu'un album des Sisters se vend généralement au-dessus des 30 000 exemplaires. Pour Les Profs on vise entre 10 et 15 000 albums écoulés.
Vous attendez les ventes pour éventuellement enrichir cette collection ?
On a déjà 4 autres albums audio en tête pour 2026. Une seconde compilation pour Les Sisters et Les Profs. Mais on aimerait ajouter à ça des BD où l'on apprend en s'amusant, comme les dinosaures par exemple. Cela donnerait une double casquette éducative. On a aussi en tête d'adapter " Les cop's" car on trouve qu'il y a pas mal de gags qui pourraient être sublimés par l'ajout du son à l'image. Voire changer la tonalité d'un gag.