Ahmed Agne, de retour à la fantasy: "j'étais un éditeur frustré"

Ahmed Agne, de retour à la fantasy: "j'étais un éditeur frustré" La fantasy revient en force au catalogue des éditions Ki-oon. Le 3 mars avec Frieren, et le 7 avril avec Ranking of Kings. Deux titres à fort potentiel qui offrent une approche originale de schémas de ce genre que l'on pensait éculés. Ahmed Agne, directeur éditorial et cofondateur des éditions Ki-oon, explique à LInternaute.com pourquoi le retour de ce genre dans son catalogue lui tient particulièrement à cœur.

Après avoir passé un cap en publiant des shônen à succès (My Hero Academia, Jujutsu Kaisen) et lancé une collection autour de Lovecraft, l'éditeur Ki-oon revient à ses premières amours : la fantasy. Le genre avait contribué à l'essor de l'éditeur il y a déjà quinze ans avec Übel Blatt.

Ces dernières années, au gré des évolutions du catalogue du plus gros éditeur indépendant de mangas en France, aucun titre majeur de fantasy ne s'y est frayé un chemin. Mais avec Frieren, un manga signé Kanehito Yamada (scénario) et Tsukasa Abe (dessin) qui a remporté en 2021 le célèbre prix Manga Taisho et le 25e prix Tezuka du meilleur nouveau mangaka et écoulé en moins de deux ans plus de 4,8 millions d'exemplaires, et Ranking of Kings de Sôsuke Tôka, dont l'adaptation animée (disponible sur Wakanim et Crunchyroll) ne cesse de captiver les fans, l'éditeur s'apprête à publier deux mangas taillés pour titiller le top des ventes. Pourquoi et comment l'éditeur signe ce retour en grâce d'un genre majeur à son catalogue ? Entretien exclusif avec Ahmed Agne, directeur éditorial et cofondateur des éditions Ki-oon.

Linternaute.com : Deux titres de fantasy très originaux arrivent dans votre catalogue. Pourquoi et comment ces deux titres vous ont tapé dans l'œil et le cœur ?

Cécile (NDLR : la cofondatrice des éditions Ki-oon) et moi même sommes de grands fans de fantasy. Quand on s'est rencontrés en 1995 à la faculté des langues orientales, plus que les mangas, c'est cet amour de la fantasy qui nous a rapprochés. Nous sommes tous les deux des mordus de Tolkien, David Eddings et consorts. Nous dévorions les ouvrages de fantasy et de littérature de l'imaginaire.

© Sousuke Toka 2019 / KADOKAWA CORPORATION

Quand nous avons annoncé en 2003 la création des éditions Ki-oon, le premier champ éditorial que nous souhaitions défricher était la fantasy. À cette époque, en manga, il y avait beaucoup de mangas héritiers du style popularisé par l'œuvre de Tolkien et les jeux vidéo  au Japon, et très peu de ces récits étaient disponibles en France. C'était l'âge d'or du genre chez Kadokawa avec des titres comme Slayers, Lodoss et Orphen, qui sont arrivés dans l'hexagone en anime et pas en manga. C'était un manque majeur selon nous. Mais avant de pouvoir travailler avec un éditeur majeur, nous devions faire nos preuves. Element Line, le premier manga que nous avons publié, avec un mangaka indépendant, est un manga de fantasy.

J'étais un éditeur frustré

J'ai toujours suivi ce genre avec beaucoup d'intérêt et d'affection. Dans le catalogue, on a réussi à récupérer des séries marquantes comme Übel Blatt et The Arms Peddler, qui ont été de gros succès commerciaux. Le premier a passé le million d'exemplaires vendus et le second, malgré un départ contrarié (NDLR : l'auteur est tombé malade et la publication a été mise en pause), n'a pas perdu son lectorat. C'est un genre pour lequel mon appétence ne s'est jamais tarie.

Linternaute.com : pourquoi cette discrétion dans votre catalogue ces dernières années ? 

Le Japon est un pays où les effets de mode sont très importants et parfois aussi cruels que rapides. Dans les années 2000, la fantasy est devenue un genre qui n'était plus à la mode au Japon, contrairement aux années 80-90. C'est même devenu le genre qu'il fallait absolument éviter, au même titre que la science-fiction. Mais ce genre est revenu à la mode fin 2010 via les isekai (NDLR : genre où le protagoniste se retrouve téléporté ou réincarné dans un monde de fantasy, ce faisant, il hérite en général de pouvoirs très puissants). Aujourd'hui au Japon, les isekai trustent la majorité de la production de mangas avec elfes, dragons, héros et consorts. Je n'ai rien contre ce genre particulièrement, mais c'est difficile de faire original parce que ce sont des concepts et des schémas narratifs qui sont extrêmement proches les uns des autres. De plus, c'est de la littérature pour fans extrêmement pointus, un lectorat qui n'a pas de problème à relire les mêmes choses, à suivre les mêmes tropes avec de légers twists. Dès lors, il est difficile de faire original dans ce genre-là d'autant plus que la fantasy vue par les Japonais est déjà très normée. J'étais un éditeur frustré ces derniers temps. Même si j'ai quelques titres isekai au catalogue, je n'ai pas vocation à devenir un éditeur qui en publie dix par an. Et au pic de cette frustration paraissent au Japon quasi simultanément Frieren et Ranking of Kings. Deux œuvres atypiques et originales comme je n'en avais pas lues depuis bien trop longtemps dans ce genre que j'affectionne tant.

Frieren ne voyage pas pour devenir plus puissante, mais pour apprendre à connaître les gens et mieux profiter des bonheurs du quotidien.

Avec Frieren, on joue avec les codes de la fantasy à la japonaise où le héros constitue sa troupe, franchit les étapes, l'adversité, se retrouve devant le dernier boss et le défait dans un feu d'artifice narratif final. Dans Frieren, l'histoire commence quand la troupe des héros a battu le dernier boss, et aborde la question de ce qu'il se passe après.

SOSO NO FRIEREN ©2020 Kanehito YAMADA,Tsukasa ABE / SHOGAKUKAN

C'est une odyssée introspective, presque un manga de développement personnel. Quelque chose que je n'avais jamais vu et jamais lu en fantasy, peu importe le médium. Ainsi le lecteur revient dans un univers qui lui semble familier, comme une chaumière avec le feu dans le salon, mais avec une manière de traiter les interactions entre les personnages et de voir l'évolution du protagoniste qui est complètement en opposition avec ce qu'on a l'habitude de voir en fantasy. En effet, Frieren ne voyage pas pour devenir plus puissante, mais pour apprendre à connaître les gens et mieux profiter des bonheurs du quotidien.
C'est complètement nouveau et c'est la raison pour laquelle au Japon tout le monde a été pris de court par ce manga que l'on commence à lire en se disant que c'est un titre sympa avec une elfe. C'est extrêmement beau, presque mignon au début, et à la fin du premier chapitre on se prend une véritable claque. Le jeune héros fringant est devenu vieux et il est mort. Quel twist incroyable.

SOSO NO FRIEREN ©2020 Kanehito YAMADA,Tsukasa ABE / SHOGAKUKAN

Le manga moderne vise beaucoup plus, voire trop, le public qu'il cherche à attraper dans son magazine de prépublication.

Ranking of Kings est un manga de fantasy qui est un mélange de fable, de conte pour enfant et de shônen initiatique comme on pouvait en voir dans les années 80 aussi bien en manga qu'en anime. Ce genre d'aventures très universelles, très grand public au sens noble du terme. Je pense évidemment aux aventures comme Les Mystérieuses cités d'or : un voyage initiatique qui ne reposait pas forcément sur le combat, mais sur l'exploration, la découverte, le développement de la relation d'amitié. Mais aussi les adaptations de grands classiques de la  littérature comme Le Tour du monde en 80 jours. Il y avait une vision de l'aventure qui n'est plus si présente dans le manga moderne qui vise beaucoup plus, voire trop, le public qu'il cherche à attraper dans son magazine de prépublication.

C'est rare de voir aujourd'hui des mangas qui s'adressent au grand public avec des personnages principaux qui sont des gamins. Aujourd'hui, le héros doit être élancé, bien habillé, être classe, le syndrome du héros kakoi. Le gamin comme on pouvait en avoir dans les années 80, avec un personnage comme Arale dans Dr Slump, est devenu rare, même si c'est un peu revenu avec Anya dans Spy x Family.

Quand on achète un manga il faut non seulement l'aimer mais aussi avoir  un plan, une vision pour l'aider à s'implanter en France

Ranking of Kings est un manga qui réussit incroyablement bien le mariage de la naïveté, de l'optimisme et des bons sentiments que l'on peut trouver dans les grands classiques des shônen initiatiques, et en même temps il y a une richesse et une profondeur de la gestion des relations géopolitiques, dans la cruauté des liens familiaux. De prime abord cette œuvre paraît très naïve, mais recèle d'une profondeur insoupçonnée et d'une noirceur qui se complètent et se marient parfaitement bien.

Linternaute.com : Gloutons et Dragons est un manga qui a lui aussi révolutionné la fantasy...

En effet, j'adore ce titre publié aux éditions Casterman en France. Il est publié au Japon dans un magazine et un éditeur avec qui je travaille très bien, sauf que quand on achète un manga, il faut non seulement l'aimer mais aussi avoir un plan, une vision pour l'aider à s'implanter en France. Pour Dungeon Meshi (NDLR: le nom en japonais de Gloutons et Dragons) je ne savais tout simplement pas comment le traiter. Je le lis avec plaisir mais s'il y a des aspects que je me vois défendre facilement, il y a des facettes pour lesquelles je n'ai pas d'idée. C'est tellement atypique. Encore plus que Ranking of Kings. Il ne faut pas se forcer à publier un manga juste parce qu'on le trouve sympa, il faut aussi avoir un plan pour lui garantir une certaine visibilité.

SOSO NO FRIEREN ©2020 Kanehito YAMADA,Tsukasa ABE / SHOGAKUKAN

Linternaute.com : La "slow" fantasy à la Frieren, et l'aspect pseudo-naïf avec Ranking of Kings, détonnent dans votre catalogue où trône plutôt de la dark fantasy. Est-ce une nouvelle tendance éditoriale ?

S'il y avait un successeur spirituel de Berserk qui devait émerger au Japon, je serais évidemment enthousiaste et intéressé. Dans le cas de ces deux licences, il s'agit simplement d'un bon alignement des planètes qui fait que ces deux titres là sont tombés en même temps et que je les ai trouvés géniaux dans des genres différents. Il n'y a pas une volonté éditoriale de ma part de faire de la fantasy plus légère, feel good, ni même l'inverse.

Si l'on regarde le catalogue Ki-oon, ces titres ne sont pas incohérents. Il y a un aspect tranche de vie dans Frieren qui se retrouve dans beaucoup de mangas que j'ai publiés: Aria, Barakamon, BL Métamorphose… J'aime le genre de la tranche de vie et je crois que le public français commence enfin à l'apprécier à sa juste valeur. Il s'agit simplement d'un mariage très heureux de deux thématiques qui sont chères à mon cœur.

Nous préparons un lancement digne d'un blockbuster pour Frieren

SOSO NO FRIEREN ©2020 Kanehito YAMADA,Tsukasa ABE / SHOGAKUKAN

D'un côté la tranche de vie commence enfin à percer, et de l'autre il devient aussi moins dangereux de publier de la fantasy. Nous préparons un lancement digne d'un blockbuster pour Frieren. On croit énormément en ce titre. Pour nous il s'agit d'un enjeu fort aussi bien éditorialement que commercialement. Il y a dix ans je l'aurais publié avec autant d'enthousiasme mais avec beaucoup moins de certitudes commerciales. Il commence à y avoir suffisamment de profils de lecteurs différents en France pour que même un genre qui était jugé un peu casse-gueule commercialement il y a encore quelques années, comme la tranche de vie, puisse créer des succès. Spy x Family le montre très bien. Une série avec un côté comédie familial, où le fil rouge narratif n'est pas toujours super présent, peut aujourd'hui être un véritable un carton.

Linternaute.com : c'est quoi un lancement blockbuster, aujourd'hui ?

Il faut savoir que nos définitions ont complètement changé ces deux dernières années. Nous avons acheté Frieren en 2020, le marché n'a plus rien à voir avec ce qu'il était à l'époque. Toutes nos projections ont été revues à la hausse. En 2020, le marché du manga a eu une croissance de 18,5% (33% pour Ki-oon) et en 2021 de 107,5% (135,6% pour Ki-oon). Vu l'emballement incroyable qu'il y a eu sur les ventes de fond et le lancement de nouveautés, je n'ai pas du tout les mêmes perspectives et ambitions en termes de lancement pour Frieren et pour Ranking of Kings que ce que j'avais au moment de leur achat en 2020. Pour Frieren, nous avons un premier tirage à 120.000 exemplaires. Pour le mettre en perspective, le premier tirage de My Hero Academia était à 85.000 exemplaires. Concernant Ranking of Kings, nous avons un tirage très ambitieux de 50.000 volumes.

Quel que soit le démarrage de Frieren, même s'il est moyen, c'est une série sur laquelle on a beaucoup de certitudes sur le long terme. On connaît la qualité du titre, on sait l'importance qu'elle revêt pour son éditeur japonais (NDLR : Frieren est le plus gros succès d'un nouveau duo d'auteur depuis plusieurs décennies chez Shogakukan). Tout ce qui va être déployé au Japon pour pousser le titre finira par arriver chez nous, je ne suis aucunement inquiet pour le succès de ce titre.

SOSO NO FRIEREN ©2020 Kanehito YAMADA,Tsukasa ABE / SHOGAKUKAN

Linternaute.com : Pourquoi attendre presque deux ans pour publier cette série à si fort potentiel ?

Quand on a un coup de cœur, on a envie de le sortir dans les meilleures conditions possibles. Et pour un titre comme Frieren, la première condition c'est d'avoir suffisamment de tomes parus au Japon pour pouvoir s'assurer un rythme de parution soutenu. Ce qui est de nos jours de moins en moins possible parce qu'on doit acheter les titres de plus en plus tôt et les lancer de plus en plus vite. Moi j'aime pouvoir proposer 5 à 6 tomes la première année, la même chose la deuxième et rattraper petit à petit le rythme de publication japonais. C'est un luxe qui aide à installer une série, mais qui devient très difficile à assurer. Aujourd'hui, les lancements sont tellement importants et il y a tellement de choses à déployer pour convaincre les libraires, les journalistes, les lecteurs, que c'est aussi du temps qu'on s'achète pour réfléchir et bien travailler. C'est très difficile de trouver les meilleurs arguments quand, la tête dans le guidon, on manque de recul. Je préfère avoir le temps de la réflexion.

© Sousuke Toka 2019 / KADOKAWA CORPORATION

Pour Ranking of Kings, vu que c'est un titre que j'adore à tous points de vue, mais qui est très atypique dans sa forme et dans son fond, j'avais envie de le lancer dans la foulée de la diffusion de la première saison de l'anime pour mettre toutes les chances de notre côté. Pour que les qualités scénaristiques et de développement des personnages de la série ne fassent aucun doute et que tout le monde puisse dire qu'on peut y aller les yeux fermés. Sans s'arrêter à un préjugé graphique trop réducteur.

Linternaute.com : Au-delà de l'explosion du marché, il y a aussi la pénurie de papier et l'embouteillage chez les imprimeurs. Quels impacts pour des lancements de blockbusters ?

C'est en effet très compliqué en ce moment. On est obligé de fractionner la production, on ne peut plus tout imprimer chez le même imprimeur à cause des pénuries et des délais. Et notre choix d'imprimeur est limité chez Ki-oon, car nous travaillons avec un papier qui a un fort grammage et une bonne main, un blanc qui jaunit beaucoup moins avec le temps et le soleil. Je refuse de changer de papier, même si ça nous simplifierait la logistique. On ne transige pas sur la qualité, même ponctuellement. Surtout que nos lecteurs sont sur une logique de collection, on ne peut pas avoir 16 tomes en super qualité et d'un seul coup 4 tomes de moins bonne facture. Cela implique qu'il y ait des ruptures de stock ou de repousser des sorties. Dans ce cas, nous repoussons surtout des titres que nous n'avons pas encore annoncés, certains de manière assez importante, pour privilégier les séries en cours de publication. Il nous arrive pour les séries en cours d'avoir une ou deux semaines de décalage mais les lecteurs ne nous en tiennent pas rigueur.

SOSO NO FRIEREN ©2020 Kanehito YAMADA,Tsukasa ABE / SHOGAKUKAN

L'autre impact est que nous avons considérablement augmenté nos premier tirages, surtout pour les nouveautés. Le jeu de l'édition, c'est de faire un premier tirage pour garantir la mise en place et un certain nombre de mois de stock et après on réimprime. Mais aujourd'hui c'est tellement dur de prévoir les réimpressions, de les avoir en temps et en heure, qu'on préfère imprimer beaucoup plus pour avoir la garantie d'avoir du stock pendant plus longtemps. Mais même avec ça ce n'est pas toujours suffisant. Tous les éditeurs de mangas sont confrontés aujourd'hui à ces problématiques.

Linternaute.com : Comment avez-vous pitché ces deux mangas à vos commerciaux ?

Il n'existe aucun titre miroir de Ranking of Kings, il est bien trop atypique. Je ne sais pas de quel bouquin je pourrais le rapprocher. On donne d'autres arguments, avec l'adaptation anime qui est faite par le studio WIT. Une référence de qualité et connue du grand public depuis leur travail sur la première saison de L'Attaque des Titans. Ils ont eu un coup de cœur phénoménal sur Ranking et ont décidé d'en faire un enjeu majeur pour leur studio.

C'est aussi un enjeu pour Wakanim qui a mis beaucoup de moyens pour soutenir la première saison et ne s'arrêtera pas là. Le simulcast en VF fait appel à de grands noms du milieu du doublage. On donne tous les arguments pour expliquer que même si le bouquin n'a pas de référence dans un genre populaire en ce moment, il y a plein d'éléments périphériques qui nous confortent dans l'idée qu'aussi atypique qu'il soit, il a toutes les chances de devenir un grand succès.

 SOSO NO FRIEREN ©2020 Kanehito YAMADA,Tsukasa ABE / SHOGAKUKAN

Pour Frieren, je n'ai pas donné de titre miroir. C'est difficile de faire une comparaison avec L'Atelier des sorciers parce qu'il n'est pas dans un magazine hebdo, ce n'est pas le même public, pas la même cible éditoriale. Les attentes pour Kodansha autour de L'Atelier des sorciers ne sont pas comparables à celles de Shogakukan pour Frieren. Vu les enjeux, il y aura très probablement à un moment un anime qui sera ultra qualitatif et porteur pour la série. Il y a déjà beaucoup de merchandising qui est développé. Donc on donne d'autres arguments, on parle de l'histoire du Shônen Sunday, on dit que ça fait 30 ans qu'ils n'ont pas eu un succès à cette hauteur-là pour un nouvel auteur. On dit que le manga vient de remporter le prix Taisho. On dit que ça a été élu meilleur manga de l'année au Japon. Que le titre à déjà été écoulé à 5 millions d'exemplaires avec seulement 6 tomes, ce qui est phénoménal, même à l'échelle du Japon. On donne plein d'arguments éditoriaux pour montrer que ça va être un gros enjeu pour nous. On a acquis une certaine légitimité auprès de la distribution et des libraires pour ce qui est du lancement des séries à fort potentiel.

C'est la première fois que nous obtenons les droits d'une bande-annonce réalisée par l'éditeur japonais. Ce trailer capte merveilleusement l'esprit dans la série aussi bien dans la musique, que dans le découpage, le rythme et je voulais absolument l'avoir. Il a tellement d'âme que je ne me voyais pas communiquer avec un autre trailer que celui-ci. On a eu de la chance, l'éditeur a accepté de nous le céder. Très souvent il y a des trailers au Japon qui ne matchent pas avec notre marché. Ou bien il est arrivé aussi que, pour des raisons de droits - souvent musicaux -, il ne soit pas possible de licencier un trailer.

De plus en plus de mangas déjouent les pronostics qui déclarent que certains genres sont voués à l'échec

De plus en plus de lecteurs sortent de leurs zones de confort. Il y a une plus grande variété des profils d'acheteurs de manga. Évidemment, les blockbusters de type nekketsu (NDLR: manga initiatique de type shonen où le héros va se dépasser pour réaliser son rêve) sont au sommet du top des ventes mais, plus très loin derrière, il peut y avoir des titres plus originaux qui percent. D'autant plus qu'au Japon cette distinction-là est beaucoup moins forte que chez nous.

Au Japon, les ventes du Light Novel et du manga des Carnets de l'apothicaire culminent à 13 millions d'exemplaires. Il y a déjà plein de développements divers et variés et on peut légitimement estimer que d'autres bonnes nouvelles vont arriver sur ce titre. Cela va nous aider à franchir des étapes, à briser un plafond de verre. De plus en plus de mangas déjouent les pronostics qui déclarent que certains genres sont voués à l'échec.

© Sousuke Toka 2019 / KADOKAWA CORPORATION

Linternaute.com : quelles actions de communication prévoyez-vous pour ces blockbusters ?

Il n'y a pas grande chose que l'on puisse publiquement divulguer pour l'instant. Mais comme le manga a explosé sur la scène grand public, de manière logique les efforts que les éditeurs font pour lancer des séries qui sont d'énormes enjeux commerciaux pour eux se rapprochent de plus en plus de ce que peut faire un éditeur de jeux vidéo pour un lancement important. Cela implique des actions coup d'éclat et des choses qui sortent de l'ordinaire, que les éditeurs doivent ajouter dans leur arsenal marketing. Du coup, on a tous musclé nos budgets mais c'est raccord avec l'explosion et le potentiel du manga en France.

Pour Frieren, sans trop rentrer dans le détail, pour insister sur l'aspect qualitatif de la série, on a proposé aux libraires quatre stands acryliques, super qualitatifs de 60 cm de haut, et qui sont des outils qui vont durer dans le temps. On n'est pas juste dans le carton que l'on déballe pour la sortie du manga et qui un mois plus tard ne tient plus debout. Comme cette série va durer et monter en puissance, on voulait qu'ils aient un matériel dont ils puissent se servir sur le très long terme. Ce sont des choses belles et solides. Nous avons aussi prévu des présentoirs événementiels avec éclairage LED qui mettront merveilleusement bien en valeur le manga en librairie. Les planètes sont toutes alignées pour faire de ce lancement un succès.

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