Blandine Le Callet "C'est un livre sur le surgissement de l'impossible"

Doit-on voir dans cette séparation, qui se manifeste physiquement dans le roman, une allégorie de l'exclusion, d'un certain hermétisme à l'intégration ?

Ce mur qui est matériel dans le roman et encore symbolique aujourd'hui, c'est, dans mon esprit, la séparation entre le cœur des mégapoles riches et les lointaines banlieues, c'est aussi la séparation entre l'Occident opulent et le Tiers-Monde.
C'est vrai que je ne suis pas très confiante pour l'avenir, je crois qu'on est en train de préparer une société assez fracturée, où une frange de la population est de plus en plus marginalisée. Dans le monde de Lila K, la ségrégation est bien réelle. Mais, encore une fois, le livre ne prend pas position sur lequel de ces deux mondes est le meilleur.

 

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Blandine Le Callet © David Balicki / Stock

C'est sans doute l'optimisme du livre : les privilégiés se construisent une prison tandis que les exclus ont encore un vrai espace de liberté ?

Oui. Ce roman c'est un livre sur le surgissement de l'impossible. Ce qui était prévu ne se passe pas et il arrive des événements auxquels personne ne s'attendait. La vie de Lila est pleine de surprises. C'est le cas de presque tous les personnages du livre, du chat arc-en-ciel, et de ce monde en général qu'on laisse à la fin dans une grande incertitude.
Au fond, je crois qu'un monde complètement totalitaire ne peut pas fonctionner parce qu'il y a une forme de vitalité dans la société et dans les êtres, qui fait qu'il se produit toujours des choses que rien ne peut prévoir, rien ne peut anticiper.

 

Dans Lila K, les livres sont peu à peu bannis parce que susceptibles de véhiculer des maladies. Les autorités exigent alors la totale numérisation de l'édition. C'est pour vous une forme de censure?

La numérisation est formidable, c'est une grande liberté. Seulement je me rends compte que tout est en place - si un jour un tombe dans un régime plus autoritaire - pour mettre sur pied une censure d'autant plus efficace qu'elle serait invisible. La numérisation est un vrai progrès, quelque chose de très sain même, dès lors que l'on garde à disposition les exemplaires papiers, ne serait-ce que pour vérifier qu'il n'y a pas de falsification.
Vous savez, ce thème de la censure est développé dans ce livre parce qu'on se rend compte que les censeurs sont déjà un peu à l'œuvre aujourd'hui. La cigarette que l'on enlève de la bouche de Malraux, etc., on est déjà dans la falsification, au nom de la santé publique... Les dérives sont de plus en plus à portée de main, avec la numérisation et tous les logiciels qui nous permettent de toucher en un clin d'œil à l'intégrité d'une œuvre. Il faut donc être très vigilant.