"Je recherche le contact intime avec la nature sauvage"

"Je recherche le contact intime avec la nature sauvage" Instigateur de l'exposition "Latitudes animales", Tony Crocetta est venu répondre à vos questions sur son implication pour sauver la biodiversité.

Quel est l'animal que vous rêvez de photographier ?
Tony Crocetta Sans aucun doute, un léopard noir qui hante les hautes forêts d'altitude du parc des Aberdares, au Kenya. En fait, j'ai déjà eu l'occasion de l'apercevoir un matin... mais je n'ai pas eu le temps de dégainer !


Mise à part la patience, quelle est la principale qualité d'un photographe animalier ?
Peut-être la réactivité. Lorsque l'on photographie des animaux sauvages, difficile de prévoir leur comportement dans les instants qui suivent. Un déclenchement tardif, c'est une photo ratée... que l'on n'aura plus jamais aucune chance de recommencer...


Y a t-il un animal en particulier dont la situation critique vous touche plus particulièrement ?
J'évoquais il y a quelques semaines le cas du guépard avec mon ami Michel Denis-Huot. Cet animal sera sans doute l'un des tous prochains à disparaître dans les décennies à venir. La démographie galopante des êtres humains, la raréfaction des proies et la compétition avec d'autres prédateurs laissent malheureusement peu d'espoir.

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Tony Crocetta © L'Internaute Magazine / Cécile Debise


Comment est née l'idée de votre exposition "Latitudes animales" ?
Je suis parti du constat suivant : les photographes animaliers sont les premiers témoins de la perte dramatique de notre biodiversité à l'échelle mondiale. Associer les plus grands noms de la photographie animalière française à un projet d'exposition était gage de réussite.


Votre exposition regroupe de très talentueux photographes. Vous connaissiez-vous avant de mettre au point le projet ?
Oui, bien sûr. Le monde de la photo animalière n'est pas si grand et en fait, il y a peu de vrais professionnels qui vivent de cette activité. Nous nous rencontrons parfois sur le terrain, le plus souvent lors de festivals de photographie à vocation nature.
 

Avez-vous remarqué une prise de conscience accrue ces dernières années en matière de protection de la faune sauvage ?
Une prise de conscience certainement... mais malheureusement pas un changement des comportements ! Nous ne sommes plus dans le discours où l'on disait : "attention, si on ne fait rien, beaucoup de choses vont disparaître". Aujourd'hui, des pans entiers de la biodiversité partent en fumée... et il ne semble pas que cela inquiète beaucoup les dirigeants de trop nombreux pays.


Avez-vous déjà du vous mettre en danger pour réaliser certaines photos ?
En fait, s'il y a danger, c'est que le photographe a fait une erreur de jugement. C'est arrivé quelquefois, et, croyez-le bien, je le regrette. Cela fait partie de l'expérience. Pour anecdote, j'ai bien failli laisser la vie il y a quelques temps au Népal. Pour vouloir photographier de trop près un bébé rhinocéros unicorne... Je me suis fait charger par sa mère en furie !


J'aime beaucoup la photo de l'anaconda, avec la mâchoire grande ouverte. A quelle distance étiez-vous ?
De mémoire, à moins de deux mètres. J'ai pu m'approcher ainsi car l'animal venait d'ingurgiter une proie (un iguane) et je n'étais donc pas en danger direct.


Pratiquez-vous également la photo sous-marine ? Le constat n'est-il pas plus alarmant encore au fond des océans ?
J'ai cessé de plonger voilà plusieurs années, surtout pour me spécialiser disons dans la photo davantage terrestre. Cependant il m'arrive encore de promener un boîtier sous la surface, de l'océan ou d'une rivière, pour aller chercher des espèces aquatiques. Mais c'est toujours en apnée et je ne pratique plus la plongée classique.


Racontez-nous vos débuts. Comment avez vous démarré dans ce métier ?
Difficile de répondre succinctement à cette question. En fait tout a commencé presque par hasard, alors que je traversais un parc animalier dans le nord du Bénin. J'ai photographié, pour la première fois alors, des éléphants, des gazelles, des babouins. Les photos étaient très mauvaises bien sûr, mais j'ai découvert ce jour-là l'alchimie de mes trois passions : la photographie, le voyage... et le contact intime avec la nature sauvage.


Vous arrive-t-il de photographier des animaux en France ? Quels sont les meilleurs coins d'après vous ?
C'est vraiment très rare en ce qui me concerne. Je suis plutôt spécialisé dans les milieux tropicaux... J'habite la région parisienne et, de ce coté-là, il y a bien peu de sujets à se mettre sous l'objectif. Je me rends parfois dans le parc du Marquenterre, en baie de Somme, mais pas pour un travail significatif.


Comment choisissez-vous vos sujets ?
Au coup de cœur. Souvent, ça commence par une émission télévisée, un surf sur la toile, une brève dans un magazine, le contact avec un biologiste sur le terrain...


Quel matériel utilisez-vous ?
Je suis un "canoniste" convaincu depuis toujours... Actuellement, j'utilise un CANON EOS 1 D Mark II pour sa rapidité d'action surtout (8 images secondes). Je ne devrais plus tarder à acquérir le boîtier de la nouvelle génération. Mes objectifs favoris sont le 70/200 f:2,8 et le 500 f:4 de la même marque, deux superbes optiques stabilisées, qui augmentent considérablement les chances de réussite.

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Le caïman à lunettes © Tony Crocetta


Y a-t-il une photo dont vous êtes particulièrement fier, de par la difficulté qu'elle a représentée ou par sa beauté ?
C'est toujours une question difficile, car en choisir une sous-entend d'en écarter d'autres qui méritent tout autant une place sur la plus haute marche du podium. Mais il s'agit sans doute d'une photographie d'un comportement particulier du caïman à lunettes qui chante, par infrason, pour exprimer à la fois un comportement territorial et sa disposition au temps des amours. En faisant cela, des petits "geysers" se forment à la surface. A ma connaissance, ce comportement n'avait jamais été photographié auparavant.


Quelle est votre anecdote la plus cocasse ?
Le jour où j'ai pénétré à l'intérieur d'un banc de barracudas au large de l'île de Sipadan, en Malaisie. Ils se sont mis à tourner autour de moi. Un moment aussi fort que rare... Mais c'était en fin de plongée et j'avais déjà explosé les 36 vues que me permettait la technologie de l'époque !


Quels conseils donneriez-vous aux apprentis photographes qui voudraient se lancer dans la photographie animalière ?
De la faire uniquement par passion, comme si c'était un loisir, et surtout de persévérer. La principale difficulté en photographie animalière est l'approche du sujet. On peut mettre beaucoup de temps à apprendre la façon d'approcher des animaux sauvages, parfois dangereux, jusqu'à ce qu'ils soient à portée d'objectif. Surtout aussi, de se munir d'une bonne dose de philosophie devant les échecs inéluctables...


Vous arrive-t-il de perdre un peu espoir et de vous dire que vous vous battez contre quelque chose d'inéluctable ?
Souvent, oui... Mais je ne peux finalement jamais me résoudre à penser que c'est "foutu". Je pense que malheureusement bien des choses vont disparaître à court terme... Mais je fais confiance aux nouvelles générations pour œuvrer d'une façon plus sensée qu'aujourd'hui. Et, de toute façon, elles n'auront guère le choix.

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Tony Crocetta © L'Internaute Magazine / Cécile Debise


Avez-vous dû poser un jour votre appareil pour venir en aide à un animal ?
Pas vraiment... Mais il m'est arrivé quelquefois de donner un coup de main lorsque la nature me semblait trop cruelle ou lorsque les hommes sont à l'origine d'une chose qui ne devrait pas arriver... comme ce pélican blanc qui était captif de lignes de pêcheurs en République Centrafricaine. Pour répondre précisément à votre question, je pense qu'en aucun cas un photographe ne doit intervenir dans l'ordre naturel des choses, même si parfois la prédation peut nous apparaître insoutenable.


Comment peut-on vous aider et servir votre cause ?
En consommant moins et mieux... et, puisque l'heure est au militantisme, pourquoi ne pas adhérer à une association de protection de la biodiversité, comme Noé Conservation par exemple ? Peut-être aussi en venant nous voir lors de l'exposition "Latitudes animales".

Merci à vous tous pour votre intérêt pour ce chat, résolument orienté biodiversité et photographie. Parler, même par l'intermédiaire d'un clavier, n'est peut être pas grand chose... Mais cela fait tout de même avancer les choses !