Edouard Lagabrielle (Photograhe fee-lance) Tout anticiper pour ne pas avoir de mauvaises surprises
Photographe free-lance, Edouard Lagabrielle a exposé ses photos de sports urbains à l'espace Citadium pendant le mois d'octobre 2008. Explications sur la réalisation des ces photos de rues peu communes...
D'où vous est venue l'idée de réaliser ces photographies ? Comment avez-vous découvert ce milieu ?
Tout est parti d'une commande de l'agence de communication Magic Garden Agency, pour la marque Reebok. Ils avaient besoin de photos d'un événement de street basket et je voulais tester un rendu qui me trottait en tête. On m'a donné carte blanche et j'ai donc pu faire un essai sur du basket.
Au vu du résultat, j'ai voulu continuer à faire le même type d'image sur d'autres sports urbains.
Ne m'étant jamais vraiment intéressé aux sports urbains, j'ai commencé par faire un gros travail de recherche. J'ai rencontré des danseurs, des skateurs, des pratiquants de l'art du déplacement. Peu à peu j'ai découvert leur sport mais également leur motivation, leur spécificité, leur façon de voir et d'utiliser la ville. Et j'ai commencé à entrevoir ce que pourrait donner un travail sur ce sujet.
Pourquoi avoir choisi une atmosphère si sombre ? Que vous évoquent ces ambiances urbaines ?
Au travers de ces photos, je voulais souligner, magnifier, la beauté des gestes et des corps en mouvement. Les sportifs / artistes devaient nous apparaître tels des super-héros jouant dans et avec la ville.
Il fallait pour cela qu'ils se détachent franchement de leur environnement, tout en l'utilisant. Ces super-héros devaient être plus lumineux, plus coloré, plus brillants que tout ce qui les entourait.
"Au travers de ces photos, je voulais souligner, magnifier, la beauté des gestes et des corps en mouvement."
J'ai donc choisi de les faire évoluer dans une ville à l'atmosphère sombre, froide, impersonnelle. Une ville inquiétante pour le commun des mortels mais pas pour ceux qui maîtrisent ces sports et qui la voient comme un terrain de jeux, un espace d'expression.
Quels sont vos axes de travail ? Vos sujets de prédilection ?
L'humain sous toutes ces formes est de loin le sujet qui m'intéresse le plus. C'est un sujet dont on n'a jamais fait le tour et qui réserve toujours des surprises. De plus, travailler avec des modèles, des comédiens, des sportifs ou n'importe quelle autre personne est toujours un moment magique d'échange, d'enrichissement mutuel et de connivence.
L'expérience de travail la plus exaltante est de trouver les petites astuces qui amèneront la personne là où vous voulez qu'elle soit : créer un univers et réussir à le matérialiser pour que la personne naie pas à jouer un rôle mais juste à le vivre. Quand cela fonctionne bien et que, sans avoir à lui demander, la personne vous donne ce que vous voulez en y ajoutant sa personnalité, la photo devient magie.
Pourquoi avoir choisi de travailler en numérique ? Faîtes-vous beaucoup de retouche sur vos photos ?
Le choix du numérique pour cette série s'est imposé à moi comme une évidence.
Toutes les photos étant faites dans le mouvement, je savais à l'avance qu'il faudrait faire un grand nombre de prises pour avoir " La photo ". Avec le numérique, il n'y a pas de limite. J'ai l'esprit tranquille sachant que je pouvais shooter autant de fois que nécessaire pour avoir la bonne image.
Le numérique a également le gros avantage de permettre un contrôle immédiat des images. Je voulais être sûr d'avoir la bonne image en boîte avant de passer au spot suivant.
Pour ce qui est de la post-production, elle est assez sommaire car l'essentiel est fait à la prise de vue. Je n'ai plus qu'à faire un réglage des courbes et effacer parfois quelques défauts gênants.
"Les danseurs, comme les skateurs et plus encore les tracers utilisent cette ville comme terrain de jeux."
Vos photos semblent présenter des scènes de duels entre la ville et les danseurs/skateurs : personne d'autre n'y figure. Pourquoi ?
Je ne parlerai pas de duels mais plutôt d'apprivoisement ou de réappropriation. Les danseurs, comme les skateurs et plus encore les tracers utilisent cette ville comme terrain de jeux. Ils en modifient les usages pour en faire un objet ludique. Ils cherchent dans cet environnement d'autres façons de se déplacer, de bouger, de se montrer. Ils font de la ville leur complice.
En effet, personne d'autre n'apparaît sur les photos car je voulais que toute l'attention du spectateur se porte sur les sportifs/artistes.
Comment se sont passées les prises de vue, comment choisissez-vous les figures et expression de vos sujets ?
Avant de me lancer dans les prises de vues, je fais toujours un gros travail de préparation en amont.
Pour la série URBAN MOVES, quelques mois ont été nécessaires pour me plonger dans l'univers des sports urbains, pour rencontrer et discuter avec les sportifs qui sont sur les photos et affiner avec eux le projet.
Les repérages m'ont également nourri dans la conception du projet. Ils m'ont permis d'envisager plus concrètement avec les teams ce qu'ils pourraient faire devant l'objectif.
"Avant de me lancer dans les prises de vues, je fais toujours un gros travail de préparation en amont."
Après toute cette phase de conception, il a fallu régler tous les aspects de la production dans les moindres détails : mise en place de partenariats pour financer le projet, demandes d'autorisations administratives, préparation de la logistique, du planning de prises de vues...
J'attache beaucoup d'importance à la préparation car je veux avoir l'esprit tranquille pendant les prises de vues, avoir tout anticipé pour ne pas avoir de mauvaise surprise. Je peux ainsi me concentrer uniquement sur l'artistique.
Quatre journées de prises de vues ont été nécessaires pour faire les photos de la série, une journée pour la break dance, un journée pour le skate et deux journées pour l'art du déplacement qui demandait plus de temps en mise en place et réglages.
Très tôt le matin l'équipe arrive sur place. On décharge le matériel du camion. Autour d'un café préparé par Simon, mon cher régisseur, je briefe Vincent, Fred et Jérémie qui m'ont assisté sur ces prises de vues.
Pendant que la première mise en place lumière se prépare, je règle le stylisme avec Camille. Avec les sportifs, on voit par quoi on va commencer. Je les laisse ensuite entre les mains de Béatrice pour le make-up.
Après quelques tests et peaufinages de la lumière, tout est en place pour commencer.
Pendant la prise de vues, je m'entends avec le modèle sur un mouvement à réaliser puis je le laisse relativement libre. Malgré la préparation rigoureuse, j'aime me laisser surprendre par ce que peut me donner le modèle, lui laisser le temps d'affiner son mouvement, de le travailler. De temps en temps, je corrige certaines attitudes, demande des petites variations de trajectoire. Si l'expression de visage ne me convient pas, si par exemple on sent trop l'effort dans les traits, j'oriente le modèle vers quelque chose de plus photographique.
Pour certains mouvements, une dizaine de prises sont suffisantes pour avoir la bonne image, sur d'autre, plus complexes ou plus difficiles, je peux m'attarder plus longtemps et faire beaucoup plus de prises. Mais j'essaie de toujours garder le côté ludique de la prise de vues pour ne pas lasser le modèle, pour que tout cela ne soit qu'un jeu pour lui.
Quelques chiffres :
- 4 journées de prise de vues
- 4 pratiquants de l'art du déplacement, appelés des tracers
- 4 skateurs
- 6 break dancers
- une équipe technique de 9 personnes
- 3.000 photos
- 36 Go de photos
Et le matériel utilisé pour ces prises de vues :
- Canon EOS 1Ds Mark II (16,7 millions de pixels)
- Canon EF 15mm f/2.8 Fisheye
- Canon EF 16-35mm f/2.8
- 3 générateurs Profoto Pro-7B2/R
- Torches Profoto Prohead
- Torche Profoto ProTwin (bi-tubes)
- Torche Profoto MultiSport (Fresnel)
- Boite à lumière, drapeaux, pieds win-up...
Avez-vous d'autres projets photographiques ?
Deux projets sont en préparation :
Le premier est une sorte de suite de la série URBAN MOVES bien qu'il ne s'agisse pas de sports urbains.
Je dis " suite " car l'idée est née de ce travail et plus particulièrement des photos où les modèles ont des attitudes très aériennes. Il y aura certains points de similitude comme le travail de la lumière sur les modèles, le mouvement, les arrières plans architecturés avec probablement des intérieurs en plus.
En revanche le sujet de la série ne sera pas ancré dans le réel comme c'est le cas pour URBAN MOVES. Je représenterai quelque chose de plus idéalisé, voir onirique...
Le second projet est très différent. C'est un travail de portrait à la chambre polaroid 4x5 pouces de personnes que je côtoie ou croise au quotidien. Ce projet sort de mes habitudes, car les prises de vues seront peut préparées, simples et très courtes : une lumière neutre, un fond blanc, toujours le même cadrage et seulement deux photos à chaque fois (une photo pour le sujet, l'autre pour moi).
J'entreprends ce travail comme une sorte d'expérimentation sur la spontanéité, l'instantanéité et l'image de soi... mais je n'ai aucune certitude quant à l'endroit où ce travail va m'emmener.