Un déjeuner chez Alain Passard : au paradis des légumes

Un déjeuner chez Alain Passard : au paradis des légumes Linternaute.com a été convié à goûter à l'excellente cuisine du chef Alain Passard dans son restaurant parisien L'Arpège, triplement étoilé depuis 1996. Une ode aux légumes dont les papilles se souviendront toute une vie.

On pénètre dans le temple d'Alain Passard, L'Arpège, par une porte lourde mais discrète de la rue de Varenne, dans le 7e arrondissement de Paris.  La déco, inchangée, dans un style Paquebot Art déco des années 30 à la fois chic et sobre, est tout à fait adaptée à la clientèle du quartier, à proximité des ambassades et des ministères. Pas de silence pesant dans la salle lumineuse et intimiste, une ambiance joyeuse y règne. On assiste aux allers et venues du chef depuis la cuisine, qui tient à saluer tout le monde et s'assurer que tout va bien, toujours le sourire aux lèvres. Alain Passard est un chef atypique dans le paysage de la haute gastronomie française, qui sait accueillir ses hôtes sans chichi et qui prend le temps d'échanger sur sa cuisine, toujours animé d'une grande passion. Le service est jeune, souriant et sans trop de manières. Nous sommes loin des traditionnelles tables guindées à l'ambiance monacale et tant mieux ! Alain Passard, virtuose du potager (et musicien de jazz à ses heures perdues) signe une cuisine à la fois raffinée et simple, aux saveurs intactes pour le palais. Le sens de la vue n'est pas en reste : tous les plats sont travaillés de manière très graphiques et les couleurs des légumes sont sublimées. On sort du restaurant parisien 5 heures plus tard, des étoiles plein les yeux. Chaque client part avec un opinel gravé au nom de L'Arpège en guise de cadeau.

Rencontre avec un virtuose de la cuisine légumière

Linternaute.com : Qu’est-ce qui a provoqué chez vous le déclic pour la cuisine ?

Alain Passard : La gourmandise. A 14 ans, j'avais une passion pour la table. Quand j'étais enfant, j'avais toujours cette peur terrible de mourir de faim. J'ai eu une chance fantastique, c'est que mon père était musicien, ma mère était couturière, ma grand-mère était cuisinière et faisait table d'hôte, et j'avais un grand-père qui était sculpteur, vannier et rotinier. La main était partout. Et donc très très tôt j'ai eu envie de me servir de mes mains.

Combien de personnes travaillent dans l’établissement ? Pour combien de couverts ?

50 personnes pour une centaine de couverts.

Quel est le rythme de la brigade qui travaille en cuisine. Combien de temps avant le service arrivent les chefs, etc. ?

C'est variable, je ne m'en occupe pas. Je leur laisse une certaine liberté. C'est important de leur donner cette initiative d'organiser leur journée. J'ai trois seconds de cuisine, ce sont eux qui gèrent. Aujourd'hui, je m'occupe de la créativité.

Vous approvisionnez-vous uniquement dans vos potagers pour les légumes ?

Absolument, on produit 50 tonnes !*

Et pour le reste ?

On achète très peu de choses, quelques coquilles Saint-Jacques et un peu de homard venus de Bretagne, d'où je suis originaire.

Vous ne cuisinez plus de viande rouge ?

Depuis 2001 très peu, uniquement sur commande. Mais si l'on souhaite une belle côte de boeuf, je peux la préparer.

Quels sont les produits que vous préférez travailler ?

Je travaille ce qu'il y a dans le jardin. C'est la nature et les saisons qui dictent ma cuisine. En ce moment, ce sont les asperges, les petits pois etc. En juillet ce sera les tomates. C'est mon fil conducteur. Je remets entre les mains de la nature ma créativité.

Utilisez-vous des épices rares pour vos plats ?

Il n'y en a pas. Je veux que tout ce qui rentre à l'Arpège ait un passeport, une identité, une provenance et un savoir-faire derrière. Une carotte, elle rentre, je sais que c'est le savoir-faire de mes jardiniers, une volaille c'est le savoir-faire de mon éleveur Pascal Cosnet. Tout est comme ça, tout est passé au peigne fin.

Votre pire souvenir culinaire ?

Le pire ? Il n'est pas encore venu et je ne l'espère pas ! Je suis très vigilant, je fais très attention.

Et le meilleur ?

Celui de ma grand-mère. Quand elle me faisait ses coques au curry avec une petite pointe d'ail frais et de persil.

Si la musique devait être un plat ?

Un vol-au-vent.

A l'inverse, quel type de musique vous inspire une création culinaire ?

Le titre People Time du musicien de jazz Stan Getz.

Qu'est-ce qui vous a fait aimer la musique ?

Mon père. Il était clarinettiste, saxophoniste, batteur et joueur de scie musicale.

Quel livre vous donne envie de cuisiner ?

L'autobiographie d'un grand musicien : John Coltrane : sa vie, sa musique

Que pensez-vous de l'émission Top Chef ?

C'est une formidable aventure pour ces chefs. Mais je ne pourrais y participer car je passe mon temps aux fourneaux !

Que pensez-vous de ces affaires de violences en cuisine (Joël Robuchon, Yannick Alléno) ?

Alléno est un ami, je ne crois pas à ces allégations.

Qu’est-ce qui fait votre force ?

Ma créativité ne vieillit pas, elle est même en train de rajeunir. Chez tous les passionnés du geste, la créativité ne prend pas une ride.

*Le chef possède trois potagers dans la Sarthe, deux dans l'Eure et un verger dans la baie du Mont-Saint-Michel.