France - Maroc : un match historique... et très politique

France - Maroc : un match historique... et très politique Les exploits du Maroc dans cette Coupe du monde 2022 ont généré un élan d'enthousiasme rare, partagé par la plupart des pays arabes. Et la confrontation avec la France donne encore une autre dimension à cette ferveur.

La confrontation entre le Maroc et la France, ce mercredi 14 décembre, en demi-finale de Coupe du monde de football, revêt une dimension bien plus large que le seul cadre sportif. L'histoire complexe entre les deux nations, l'importance de la communauté marocaine en France (Français d'origine marocaine ou bi-nationaux dans l'Hexagone) font de cette rencontre un fait d'actualité majeur. Preuve en est, le flot de commentaires de personnalités politiques saluant, qui un grand moment de partage, qui un moment de tensions déjà écrit.

Il faut dire que lorsque le Maroc affronte la France sur un terrain de football, s'instaure pour 90 minutes une rivalité entre deux nations qui n'ont pas tout démêlé de leur passé commun ni des traces qu'ont laissé colonisation, décolonisation, immigration des années 1960 et rapports de force économiques déséquilibrés. Par ailleurs, le Maroc incarne dans cette compétition la fierté du monde arabe : ne pas la percevoir serait ne pas comprendre ce qui se joue. Si l'on tâche de synthétiser un peu, on pourrait convenir que ce match France-Maroc fait rejaillir 3 points ou questions sensibles.

1/ Une revanche symbolique sur la France ?

C'est le couplet qui est mobilisé par l'extrême droite, dès lors que la France affronte une nation qui fut colonisée par Paris. Rappelons que le Maroc fut un protectorat français pendant plus d'un demi-siècle... Les incidents survenus dans certaines communes après la victoire du Maroc face à l'Espagne ont donné du grain à moudre à ceux qui se sont convaincus que la France était en train de perdre une "guerre de civilisation", celle qui s'inscrit dans la fantasmée histoire du "grand remplacement" des autochtones par la communauté musulmane.

Sur France 2, lundi 12 décembre, le RN Sébastien Chenu, vice-président de l'Assemblée nationale, mettait déjà une pièce dans la machine à suspicions : "Il ne faudrait pas que le match sonne comme une revanche politique ou historique. Or, on a un peu ce sentiment quand on voit les altercations qu'il y a pu avoir. Probablement que certains sont Français parce qu'il y a un certain nombre d'intérêts à l'être mais qu'ils ont le cœur qui bat pour un autre pays. (…) Cela pose la question de l'assimilation". Même son de cloche chez Jordan Bardella, sur RMC le même jour, considérant que les débordements survenus - et qui surviendront immanquablement comme après de nombreux matchs de foot à enjeu - relevaient de "trente ans d'échec de la politique d'immigration, et notamment d'assimilation".

2/ La suspicion d'une communauté marocaine qui n'aime pas la France

Au fond, le procès fait aux immigrés marocains ou aux Français d'origine marocaine est le suivant : s'ils soutiennent le Maroc plutôt que la France dans cette Coupe du monde, c'est qu'ils ne sont pas assez intégrés et qu'ils n'aiment pas assez la France. Dommage que les tenants de cette analyse bas du front ne voient pas ce qui se dégage de cet enthousiasme pour l'équipe du Maroc : jamais une équipe marocaine n'a autant brillé dans un sport collectif à ce niveau, et tous les amoureux de sport ont été un jour emportés par la joie communicative et l'énergie inspirante des petits Poucets.

Qu'il y ait dans tout cela une tension identitaire, l'expression d'un malaise à l'égard du modèle d'intégration français, ou des questions à se poser sur le sentiment d'appartenance à la communauté d'esprit tricolore, c'est très probable. Mais ne voir que cela serait n'observer ce qui se passe que par le petit bout de la lorgnette : les performances des Marocains donnent la possibilité à ceux qui se sentent proches de ce pays de communier autour du succès, de la victoire. Ils profitent d'un éclairage rare, dont sont souvent privés les immigrés marocains dans les représentations collectives.

3/ La question palestinienne portée par le Maroc

Les Lions de l'Atlas - comme sont surnommés les joueurs du Maroc - sont parvenus dans ce Mondial à créer un nouveau sentiment de fierté, de ferveur fraternelle dans le monde arabe. "Pour la première fois depuis longtemps, les peuples arabes mettent leurs différences de côté. Moi-même, je ne suis pas un grand fan de football en temps normal, mais, depuis quelques jours, cette passion est contagieuse", résume auprès du Monde Faisal Abbas, directeur de la rédaction du journal anglophone saoudien Arab News.

Il n'a échappé à personne que plusieurs joueurs du Maroc ont brandi des drapeaux palestiniens, à commencer par le défenseur du PSG, Achraf Hakimi, après la victoire contre le Canada puis contre l'Espagne. Dans les tribunes, de plus en plus rouges et vertes, - les couleurs de l'équipe marocaine -, les marques de soutien à la Palestine sont manifestes. Ce qui a émergé là, au Qatar, est bien entendu observé avec une curiosité enthousiaste dans les territoires palestiniens. Les exploits sportifs des Marocains ont généré des scènes de liesse dans les grandes villes de Cisjordanie et à Jérusalem-est.

Ce soutien à la cause palestinienne aura-t-il des répercutions politiques ? C'est peu probable, mais il dit quelque chose de la manière dont les peuples arabes considèrent ce sujet : la question des territoires occupés par Israël mobilise et demeure extrêmement sensible, alors qu'elle n'est que très peu abordée dans les échanges internationaux entre les grandes puissances.