Laura Flessel (Escrime) "Quand on a goûté à des JO, qu'on a la santé et le plaisir, eh bien on y retourne !"

"La Guêpe" s'est qualifiée pour ses cinquièmes Jeux olympiques ! Performances, rage de vaincre, vie de famille, souvenirs olympiques... L'épéiste Laura Flessel, qui a fêté ses 40 ans il y a peu, nous a livrés quelques confidences.

L'Internaute Magazine : Comment parvenez-vous à vous motiver pour aller une 5e fois aux Jeux ? N'y a-t-il pas de lassitude ?

Laura Flessel : Non, car je me remets en question en permanence. Ce ne sont pas les mêmes personnes en face, ce ne sont pas les mêmes nations. Je prends plaisir à m'entraîner, et c'est très dur. J'accepte l'adversité, j'accepte que des filles viennent bousculer la suprématie mondiale. Elles nous font dégringoler pour rebondir. Ces changements régénèrent chez moi l'envie de repartir.
Quand on a goûté à des Jeux olympiques et qu'on a la santé, la technique, la stratégie et le plaisir, eh bien on y retourne ! C'est vrai que je suis une éternelle insatisfaite mais j'ai commencé la compétition sur le circuit international relativement tardivement. J'ai vécu ma maturité sportive à 25 ans, l'âge où j'ai été championne olympique. Donc quelque part, ma santé a été préservée. J'ai 15 ans de retard par rapport aux autres et ça me stimule !

"J'aime la joie que me procure l'escrime et j'aime communiquer... ou contaminer, comme on veut !"

Aujourd'hui, je sais que ce sont mes derniers Jeux, je savoure toutes les compétitions, j'accepte la dureté de l'entraînement, et surtout je me fais plaisir. J'aime rechercher le dernier mot, avoir ce travail psychologique de dompter la peur et le stress. Je suis comme ça dans la vie, j'aime la joie que me procure l'escrime et j'aime communiquer... ou contaminer, comme on veut [sourire]. Je me régénère au contact des jeunes, des plus forts, du monde handisport... Je tire profit aussi de la bonne santé de ma fille, de son énergie, du côté calme et serein de mon mari. Je fais plaisir, et ça me donne envie de procurer encore plus de plaisir.

Ce n'est pas trop dur de gérer à la fois une carrière professionnelle trépidante et la vie de famille ?

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Laura Flessel est qualifiée en individuel à l'épée pour les JO de Londres 2012. © Marie Rialland / L'Internaute Magazine

Tout est difficile dans la vie. Quand on se lève à 6h et qu'on doit aller déposer son enfant à la nourrice et aller travailler en entreprise ; qu'on finit à 19h et qu'on doit reprendre le métro ou le RER, qu'on arrive à 20h-21h, c'est difficile de concilier la vie de famille et la vie professionnelle. Dans le sport de haut niveau, c'est pareil. On est obligé d'avoir un rythme d'entraînement soutenu ; on a des compétitions en permanence ; il y a toujours un classement international qui nous met la pression ; à l'intérieur de nos équipes on a des jeunes qui progressent, donc on est sous tension. Quand on a une famille, c'est encore un autre rythme de vie. On est obligé de quitter sa famille, de trouver une programmation qui nous permette de vivre tout à 200 %.
Je suis une passionnée, une boulimique de la vie et j'ai appris très vite à faire des "bi-projets". Lorsqu'avec mon mari on a décidé de connaître les joies de la maternité et de la paternité, ça a fait un triple projet. Ce n'est pas facile mais il y a pire que nous. Et lorsqu'il y a réussite, cela procure une joie intense. Donc je ne me plains jamais et je savoure la chance quand même d'être sportive française.  

Vous parlez de votre fille, qui a énormément d'énergie. Est-ce qu'elle est fière de sa maman ? Etes-vous un modèle pour elle ?

Je suis encore en activité mais j'ai conscience d'avoir marqué ma génération, ma discipline, et d'avoir démocratisé l'escrime. Ma fille va avoir 11 ans en juin. Forcément elle s'est rendue compte de ce que sa mère a réalisé dans sa passion, elle est fière. Mais surtout, elle a sa propre personnalité. Et c'est ce qui est bien. Elle connaît la valeur du travail, du partage. Elle a ses activités à elle (la natation synchronisée, la natation "classique"), ses copines... Elle ne se cache pas derrière le miroir de sa maman. Et ça, pour moi, c'est notre plus belle réussite avec mon mari. Elle sait partager, elle sait écouter, elle n'est pas tourmentée. 

"Si j'ai continué jusqu'à Londres, c'est aussi parce que ma fille avait envie de vivre les Jeux"

Elle n'a qu'une hâte, c'est de faire les Jeux. Parce qu'à Athènes elle était petite. Elle revoit les photos mais ne se souvient pas. Elle a vécu intensément les championnats du monde en 2010 à Paris, elle a vécu les championnats d'Europe l'année dernière à Leipzig (sa venue, c'était ma surprise !) En grandissant, elle se rend compte des sacrifices qui sont derrière. Et donc c'est l'une de mes fans n°1. J'adore ! Si j'ai continué jusqu'à Londres c'est parce que justement elle avait envie de vivre les Jeux à part entière. Elle a déjà son slogan, ses t-shirts. C'est une groupie ! [rires] Elle est prête alors que sa mère ne l'est pas encore ! Cette année, elle a vu que rien n'est acquis. Elle sent quand le stress va crescendo et c'est elle qui nous fait des chorégraphies, qui danse, qui chante... Lorsqu'elle voit vraiment que la pression est à son paroxysme, elle me détend, me fait oublier la compétition et me fait retourner dans la vie de maman. C'est fort agréable de pouvoir sortir d'un monde, en réintégrer un autre et partir pour les JO. Donc voilà, c'est une réussite familiale ! [rires]

Quelles sont vos plus belles émotions olympiques ?

J'ai eu la chance de vivre plusieurs cérémonies d'ouverture. Et il y en a une particulièrement qui m'a touchée. C'est lorsque Mohamed Ali a allumé la flamme à Atlanta en 1996. C'est un grand champion qui a marqué son époque, qui a insufflé l'envie de la réussite, de par son profil et ses prises de position. Aujourd'hui, il est atteint de la maladie de Parkinson. Mais il a montré ce jour-là à des milliards de personnes que tant qu'on était vivant, debout, tout était possible. Il a insufflé une telle énergie à l'intérieur du stade pour la cérémonie d'ouverture qu'on en a versé des larmes. Alors qu'on était heureux ! C'était des larmes de joie. On s'est dit : tant qu'il y a de la vie, on peut se battre. C'était une merveilleuse image que je garde.

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Laura Flessel a intégré le Team BMW Performance en vue des JO. © Marie Rialland / L'Internaute Magazine

Espérez-vous être désignée porte-drapeau de la délégation française à Londres ?

Le porte-drapeau c'est le chef d'orchestre d'une équipe, c'est celui qui insuffle un rythme dynamique et motivant. Il y a eu plein de sportifs qui l'ont fait qui disent "Si c'était à refaire, on serait les premiers à postuler". On est fier de sa nation ou on ne l'est pas. Moi je suis fière d'être Française. J'ai voyagé, j'ai visité de nombreux pays à l'étranger, et à chaque fois je suis contente de revenir en France. La Marseillaise sur les podiums, c'est magnifique. Ce sont des millions de Français qui se reconnaissent à travers nous. Donc du coup, si on est porte-drapeau c'est qu'on répond à des valeurs de solidarité, de fraternité, de cohésion et de performance. Si c'est moi, ça sera génial !

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