Chili : au bout de la piste, Caleta Tortel

Tout au bout de la Carretera austral, au Chili, par 47deg 47' 49'' de latitude Sud et 73 deg 31' 59'' de longitude Ouest, fouetté par les vents, Caleta Tortel s’accroche aux falaises grises du golfe de Penas – ou golfe des Chagrins – par un délicat treillis de cyprès. Les sept kilomètres de passerelles de bois longent les eaux sombres du Pacifique, escaladent la roche et se perdent entre ciel et terre.

 
Patagonie australe, novembre-décembre 2010. Le printemps dans l’hémisphère Sud. Nous faisons une boucle de quatre semaines en voiture de location, une Chevrolet Corsa Sedan, à partir d’Ushuaia. Nous avons passé plusieurs jours à Buenos Aires, puis pris un vol intérieur avec LAN argentinas. Remontée par la Ruta 40 au pied des Andes, passage au Chili au niveau de Chile Chico. Commence ensuite la descente le long du splendide lac General Carrera, d’un bleu outremer soutenu, bordé d’églantiers en fleur, par une piste vertigineuse et souvent difficile, sans protection aucune, ponctuée de descentes « peligrosas » (dangereuses).





Le vent est omniprésent. Déchaîné, rageur, tout droit venu des Quarantième Rugissants et des Cinquantièmes Hurlants qui balaient la Patagonie tout entière.






Fechuda, Puerto Guadal… Les grands lupins jaunes succèdent aux églantiers, les ibis à face noire picorent les étendues herbeuses au bord de l’eau, guanacos et chevaux broutent les bas-côtés. Le lac cède maintenant la place au río Baker dont la couleur est d’un bleu encore plus extraordinaire, un bleu que nous n’aurions même jamais pu imaginer, un bleu qui n’existe pas…






Nous faisons une halte pour la nuit à Cochrane, à l’agréable residencial Cero a Cero, puis repartons le lendemain par la Carretera austral, ou Ruta N° 7, principal axe routier de la Patagonie chilienne, en fait 1240 kilomètres de gravier et de caillasse truffés de nids-de-poules ou plutôt de nandous – un cousin de l’autruche –, redoutables pour les pneus.
Quatre-vingt-quinze kilomètres plus bas, durant lesquels nous traversons de véritables jardins tropicaux, où fuchsias arborescents, bambous, noisetiers du Chili (Guevina avellana) se mêlent aux feuilles géantes de la Gunneria tinctoria, nous empruntons une déviation de vingt-cinq kilomètres, ouverte seulement en 2003, pour Caleta Tortel, autrement dit le bout du monde.






Caleta Tortel, 512 habitants, cinquante-cinq ans d’existence, domaine exclusif du cyprès de las Guaitecas (Pilgerodendron uviferum). Ici tout, absolument tout, est en bois. En 1920, les colons, qui recherchaient des terres cultivables, mirent le feu aux forêts des Indiens Alakalufs et se servirent ensuite des arbres immenses qui n’avaient pas complètement brûlé pour construire leurs barques et leurs habitations.

Un parking, à l’entrée, où sont garés des pick-up de tous âges, un chien timide aux yeux bleus, une porte et, derrière, une passerelle vers l’inconnu. Nous prenons le nécessaire pour vingt-quatre heures et partons à la recherche de la Residencial Estilo de Javier Pinilla.








Nous escaladons, descendons, tournons et retournons, virons à angles aigus, droits ou obtus, dans ce labyrinthe graphique qui surplombe le golfe ; dépassons les œuvres des sculpteurs locaux,







des places sur pilotis, le « jardin public » – un toboggan et des balançoires sous les arbres agrippés à la falaise – et arrivons chez Javier Pinilla.







  




Elle allume du feu dans le poêle à bois pour réchauffer la pièce glaciale et nous propose du saumon fraîchement pêché pour le soir. Enfin casés pour la nuit, avec l’assurance d’avoir l’estomac plein, l’appareil photo à l’épaule et le sac sur le dos, nous voici repartis pour l’extrême pointe de Tortel.

Tout au bout, la plage, déserte, grise et ventée. Glaciale. Une barque échouée ici ou là, mais aucun signe de vie.





Le ciel devient menaçant et il nous paraît plus prudent de refaire en sens inverse les kilomètres qui nous séparent du poêle brûlant… Un veau est couché sur le pas de porte d’une maison, nous apprendrons que sa mère est morte au campo, non loin du village, et qu’il est là en attendant d’être sevré. Plus loin, le pépiniériste : de longues jardinières de bois alignées sur des tréteaux, collées les unes aux autres et remplies de… fraisiers ! Juste des fraisiers.

En rentrant, la maison est vide et le poêle éteint. Par la fenêtre, nous apercevons au-dessous le bateau-taxi qui fait des allers-retours incessants. Javier est partie à la bibliothèque consulter ses mails. Tortel n’a pas le téléphone, seulement la radio, l’électricité est capricieuse, mais on peut avoir accès à Internet si on a de la chance. Les jeunes vont maintenant au lycée à Cochrane. Avant 2003, tout se faisait par bateau depuis Puerto Vagabundo, sinon à cheval, voire à pied.

Au repas du soir, que nous partageons avec un couple de Chiliens, le saumon est délicieux.

Le lendemain, nous quittons la residencial Estilo et Javier Pinilla si aimable. En passant devant la minuscule maison peinte en blanc et rouge des « bomberos » (les pompiers), nous nous demandons ce qui se passerait si un incendie se déclarait…



 



Sur le parking, le chien aux yeux bleus nous attend près de la voiture. Nous rangeons nos sacs et repartons vers le nord et la Carretera austral.

Infos pratiques


Monnaie : Au 14 mai 2012 : 1 € = 625,049 CLP (pesos chiliens) Location de voiture : La voiture, une Chevrolet Corsa, a été louée par l’intermédiaire d’Argentina Excepción (une agence spécialisée pour voyage personnalisés haut de gamme mais par qui on peut aussi louer des voitures). Après des semaines de recherches, c’est eux qui étaient les moins chers sur la Patagonie et les plus sérieux. Et, ce qui ne gâte rien, d’une amabilité à toute épreuve. Joignables 24 h/24, 7j/7, en français:

http://www.argentina-excepcion.com/

Hébergement chez l’habitant A Cochrane : Residencial Cero a Cero, calle Lago Brown 464. E-mail : ceroacero@gmail.com Très bien, 20 000 CLP (pesos chiliens) la nuit avec délicieux petit déjeuner.

A Caleta Tortel : Hospedería Residencial Estilo, Javier Pinilla Gomez, secteur Centre. E-mail : tortelhospedajeestilo@yahoo.es Ou : pinilla1470@gmail.com

Belle maison en bois clair. 10 000 CLP la nuit, 6 000 pour le repas du soir. Salle de bains partagée, petit déjeuner inclus. Pas de chauffage dans les chambres, comme presque partout au Chili.