L'Internaute Magazine a reçu
en chat Michèle Lesbre le 10 octobre à 14h. L'auteure a répondu
avec la plus grande franchise à vos questions.J'ai
beaucoup aimé votre roman "Le Canapé rouge". Pouvez-vous m'expliquer comment l'idée
vous est venue d'écrire cette histoire ?
Michèle Lesbre
: D'abord j'ai bien sûr fait ce voyage il y a cinq ans, sans savoir que j'écrirais
un roman où ce voyage aurait sa place. Après, c'est tout le mystère qui précède
l'écriture, les idées se mettent en place et j'ai attendu que les personnages
prennent forme. Voilà.
Pourquoi le titre de "Le Canapé
rouge" ? Est-ce qu'il fait écho à une sorte de thérapie ? Je m'explique, l'héroïne
fait un voyage et elle réfléchit à sa vie. Or, l'idée du canapé rouge me fait
penser à une thérapie. Est-ce que j'ai tort ou pas ?
Pourquoi
"le Canapé rouge" ? Parce que lorsque j'ai su que j'allais écrire ce
roman où mon voyage en Sibérie trouverait sa place, j'ai eu cette image du canapé
au fond d'un long couloir, un point fixe, le voyage immobile de Clémence. Parfois
une image suffit à faire un titre.
Pourquoi un canapé
rouge ? Il aurait pu être noir ou beige ! Le rouge a-t-il une importance ?
J'aime le rouge, c'est pour moi la couleur de la vie, de l'amour. C'est une couleur
vive, éclatante, et puis peut-être aussi c'est celle des drapeaux rouges qui flottaient
dans certaines manifestations des années 70...
Vous êtes
allée où en Russie ?
J'ai fait exactement le même voyage
que la narratrice, jusqu'à Irkoutsk et sur les bords du lac Baïkal, mais aussi
à Saint Petersbourg et à Moscou.
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| Photo
© L'Internaute Magazine/ Cécile Genest | |
Qu'est-ce qui vous a séduite dans votre voyage ?
Il
y avait longtemps que je rêvais de ce long périple en train. J'aime beaucoup le
train, et puis la Russie, son histoire, sa littérature et son cinéma m'ont toujours
passionnée, et enfin, c'est un voyage mythique.
Y a-t-il
un peu de vous dans Anne, l'héroïne de votre roman ?
Je
peux dire comme beaucoup d'auteurs, "je ne suis pas mes personnages mais ils sont
un peu moi" je n'ai pas envie d'écrire le roman de ma vie et de plus la fiction
est pour moi ce qui me permet d'être au plus près de moi, car elle donne une grande
liberté et surtout l'imaginaire ouvre les portes de l'inconscient. Je ne sais
plus qui a dit "Seule la fiction ne ment pas".
Pourquoi
avoir choisi d'écrire à la première personne ?
J'écris
toujours à la première personne, c'est ma façon d'être au plus près de mes personnages,
de mon personnage principal, c'est ma façon d'être impliquée dans l'histoire.
Je prends tous les risques avec lui ou elle. L'écriture est aussi une mise en
danger.
"On
fabrique des personnages avec son imagination et celle-ci est nourrie du vécu,
des gens croisés ou simplement aperçus parfois. C'est tout un mécanisme assez
mystérieux." |
Gyl a-t-il existé dans votre
vie ?
Non, je ne le connais pas mais beaucoup d'autres
hommes ont sans doute contribué à sa création. On fabrique des personnages avec
son imagination et celle-ci est nourrie du vécu, des gens croisés ou simplement
aperçus parfois. C'est tout un mécanisme assez mystérieux.
Est-ce que Gyl correspond à votre idéal masculin ?
Je n'ai pas d'idéal masculin, j'aime les surprises, les gens inattendus, peut-être
en avais-je un quand j'étais très jeune et je crois bien que c'était James Dean
!
En combien de temps avez-vous écrit ce magnifique roman
?
Pour chacun de mes romans, il y a d'abord tout un temps
de gestation pendant lequel je prends simplement des notes, qui d'ailleurs ne
me serviront pas toutes. Cela dure plusieurs mois, disons quatre ou cinq, puis
je commence à écrire, sans plan car si j'en faisais un, j'aurais l'impression
de l'avoir déjà écrit. Pas de surprise, pas de personnages imprévus qui surviennent.
J'aime écrire comme ça, comme une sorte d'aventure, comme je marche dans une ville
que je ne connais pas et le texte lui-même s'écrit en cinq ou six mois, c'est
variable.
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© L'Internaute Magazine/ Cécile Genest | |
Pourquoi avoir mis une vieille dame dans votre histoire
? L'histoire d'Anne aurait suffit ? Qu'avez-vous cherché à créer en faisant cela
?
La vieille dame est pour Anne une sorte d'échéance qui
se rapproche, celle de la vieillesse, mais leur complicité, la nature même de
cette femme encore pleine de vitalité et de désirs rassure Anne. C'est d'ailleurs
dans cette relation qu'elle trouve aussi le vrai sens du voyage, qui n'est pas
le retour nostalgique sur son passé, sa jeunesse, mais plutôt le constat que tant
que la vie est là il y a encore le désir, pas seulement de l'amour, de la vie
accomplie tout simplement.
Anne et Clémence représentent
un peu l'archétype de la société féminine d'antan. Aujourd'hui, il me semble qu'une
telle relation est plus difficile à vivre. Qu'en pensez-vous ?
Pas du tout, rien n'empêche aujourd'hui de tisser des liens même fragiles, avec
des voisins, des voisines et d'inventer une relation singulière au travers de
lectures, de simples rendez-vous ou d'activités partagées. Sinon autant dire tout
de suite que la solitude est la plus forte, je ne peux et ne veux pas le croire.
"C'est un roman qui refuse le désenchantement,
le cynisme, un roman sur le désir, l'amour de la vie jusqu'au bout et malgré tout,
malgré les amours perdues, les révolutions ratées, les absences..." |
Selon vous, votre roman est-il avant tout une histoire
d'amour ?
Ce n'est pas la seule chose à retenir mais c'est
une des choses à retenir. Je dirais que c'est un roman qui refuse le désenchantement,
le cynisme, un roman sur le désir, l'amour de la vie jusqu'au bout et malgré tout,
malgré les amours perdues, les révolutions ratées, les absences...
Qu'avez
vous ressenti quand vous avez appris que vous étiez sélectionnée pour le Goncourt
?
C'est toujours un peu difficile d'exprimer des sentiments
complexes, car il y a bien sûr une belle surprise mais celle-ci crée aussi une
attente d'une suite et je crois que ce qui me plaît le plus c'est encore
de participer au Goncourt des Lycéens, c'est tout à fait différent pour moi. Bref
c'est au bout du compte très agréable, bien sûr.
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© L'Internaute Magazine/ Cécile Genest | |
Cette année, le Prix Goncourt fait la part belle aux
femmes. Marie Darrieusecq, Delphine De Vigan, Clara Dupont-Monot, Amélie Nothomb,
Lydie Salvayre, Olivia Rosenthal... et vous ! Pensez-vous que l'une d'entre vous
remportera ce prix ? Avez-vous lu les livres des autres candidates ?
Je n'ai aucune idée sur la question et comment pourrais-je en avoir. J'ai lu le
livre de Lydie Salvayre, qui m'a beaucoup plu, il dénonce quelque chose que je
dénonce aussi. Je n'ai pas eu le temps de lire les autres.
Si
vous obtenez le Prix Goncourt, qu'allez-vous faire avec les 10 euros donnés aux
vainqueurs ?
Je boirai plusieurs limonades !
Que
pensez-vous des prix littéraires en règle général ? Est-ce vraiment un plus dans
la vie d'un écrivain ?
C'est une règle du jeu à laquelle
on ne peut échapper, pas plus qu'à la critique et à toutes les présences médiatiques.
Parfois, je rêve d'une période antérieure où les écrivains pouvaient rester dans
l'ombre et la solitude de leur écriture sans se donner en spectacle mais peut-on
vivre à côté de son époque?
"Le texte comme passeur et comme moyen merveilleux
d'exprimer des émotions, des idées, des sentiments que la vie ne donne pas toujours
l'occasion d'exprimer." |
Quel accueil a reçu
votre roman (public et critique) ?
Il a reçu un très bon
accueil des libraires, il y a eu pas mal d'articles et d'émissions de radio, de
télévision aussi mais ce qui me touche le plus, ce sont les échanges avec les
lecteurs dans les librairies où je vais plusieurs fois par semaine, un peu partout.
C'est eux le plus important.
Est-ce que vos expériences
théâtrales influent sur votre écriture?
Je ne pense pas,
mais il reste bien sûr ce rapport au texte, le texte comme passeur et comme moyen
merveilleux d'exprimer des émotions, des idées, des sentiments que la vie ne donne
pas toujours l'occasion d'exprimer. J'ai toujours pensé que les comédiens avaient
une chance incroyable d'endosser des rôles qui les faisaient voyager dans leur
propre imaginaire. Ecrire ressemble à ça.
Quand et comment
écrivez-vous ? Une période de la journée en particulier ? Avez-vous des tics d'écriture
?
Aucun. Je n'aime pas la discipline, j'aime que mon temps
soit libre et j'écris quand c'est le moment d'écrire, n'importe où et n'importe
quand. De toute façon lorsque j'écris un roman je vis avec lui ou c'est l'inverse,
comment savoir ? Je vais acheter mon pain et je suis avec mes personnages,
c'est tout un moment de ma vie qui est mobilisé.
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© L'Internaute Magazine/ Cécile Genest | |
Pourriez-vous nous dire à quoi ressemble une journée
type de Michèle Lesbre ?
Je n'ai pas de journée type, c'est
assez la pagaille, je ne fais pas forcément les mêmes choses chaque jour, j'improvise
autour des obligations de tout le monde, mais j'écoute beaucoup la radio, beaucoup
de musique et je dois consacrer un peu de temps pour marcher dans la ville, c'est
nécessaire pour réfléchir et me sentir présente au monde.
Vous
parlez du mystère qui précède l'écriture. Pouvez-vous nous en dire plus sur la
façon dont vous écrivez vos livres ?
Je prends des notes
pendant plusieurs mois, puis lorsque je commence à sentir en moi ce roman qui
a grandi comme un bébé, je dois lui donner vie et je me mets au travail, je l'accouche,
sans avoir fait de plan en sachant où je veux l'emmener mais en préservant l'aventure,
les rencontres, les choses qui arrivent, comme dans la vie.
Qu'est-ce
que l'écriture vous apporte ?
Elle remplit ma vie, même
quand je ne suis pas en train d'écrire, c'est une façon d'être là, une façon de
me sentir à ma place dans le monde.
"La lumière est toujours l'endroit où je veux
emmener mes romans, ils finissent mais la vie continue" |
"Ecrire,
c'est une forme sophistiquée de silence" a écrit Baricco. Cette formule semble
résumer vos livres, non ?
J'enlèverais le mot "sophistiquée".
C'est tout simplement du silence, et c'est beaucoup. Cela permet enfin d'être
près de soi.
Quel est le plus beau compliment qu'on ait
dit sur un de vos livres ?
Le mot "lumineux"
revient très souvent et c'est celui qui me touche le plus, qu'il s'agisse de mes
romans noirs ou des autres. La lumière est toujours l'endroit où je veux emmener
mes romans, ils finissent mais la vie continue...
Quelles
sont vos références en matière de littérature ?
J'aime
beaucoup d'auteurs d'époques différentes, je ne peux en citer sinon je trahis
les autres mais je peux au moins dire que j'aime les écrivains flâneurs, les écritures
simples, celles qui tentent de comprendre comment fonctionnent la mémoire et le
temps. Mes écrivains favoris sont des écrivains peu lus aujourd'hui : Henri Calet,
Bove, Paul Gadenne, Hardellet, mais aujourd'hui Michon, Pirotte, Modiano, Sebald.
Et mon livre de chevet, celui qui m'accompagnait dans le voyage en Sibérie est
le livre d'entretiens de Vladimir Jankélévitch, Quelque part dans l'inachevé,
c'est un philosophe poète. Mais la question mériterait des pages de réponse...
Parmi
tous les livres que vous avez écrits, il y en a bien un que vous affectionnez
tout particulièrement ?
NON, parce que j'ai l'impression
d'en écrire un seul dont chaque roman serait sinon un chapitre du moins un élément.
Je travaille beaucoup sur le temps, tous les temps qui nous construisent, c'est
dans tous mes romans et cela continuera sans doute tant cette alchimie des temps
reste un mystère...
Vous avez écrit dans" La Petite
Trotteuse" : " il faut se contenter de ce doute, où tout parait...suspendu
devant nous", c'est aussi votre façon d'être ?
Oui, d'une
certaine façon. C'est une façon aussi de laisser à l'autre le bénéfice du doute.
Admettre qu'on ne peut tout savoir de quelqu'un même proche, c'est admettre la
différence et dans la période, je tiens beaucoup à cette notion. C'est aussi penser
que l'amour ce n'est pas tout savoir de l'autre mais c'est le chemin que l'on
peut faire pour l'approcher.
Quel sera le sujet de votre
prochain roman ?
C'est encore à l'état de brume, de nuage
qui flotte au-dessus de ma tête, mais il sera question des liens parfois excessifs
que l'on peut avoir avec un lieu. Quand je dis "excessifs", c'est que
j'ai envie d'écrire sur un rapport presque" fou" avec un lieu, quelque chose de
vital.