Syrie : ce que les islamistes du HTS veulent faire du pays
Le régime de Bachar Al-Assad est tombé. La liesse des Syriens du monde entier s'est exprimée. Mais qu'est-ce qui attend la Syrie après la chute dictateur ? Les forces rebelles islamistes, portées par le groupe Hayat Tahrir al-Sham (HTS), ou Organisation de libération du Levant en français, ont pris le contrôle d'une partie du pays puis de Damas, la capitale, dans la nuit du 7 au 8 décembre 2024.
Les rebelles du HTS, ainsi que leur chef Ahmed al-Chareh qui jusqu'à peu se faisait appeler Abou Mohammad al-Jolani, ont pris possession du palais présidentiel syrien à Damas. "Cette victoire, mes frères, est un triomphe pour toute la communauté islamique, [...] pour la région", a déclaré le leader du HTS dimanche soir depuis la célèbre mosquée des Omeyyades assurant que "la Syrie est purifiée".
Si le HTS a repris le contrôle de Damas, il n'a pas repris la main sur les institutions qui sont restées sous le contrôle du Premier ministre, Mohamed al-Jalali. Un choix délibéré d'Ahmed al-Chareh qui assure vouloir une "passation officielle" après la chute du régime dictatorial. Le Premier ministre syrien s'est également dit prêt, dès dimanche, à travailler à une passation et à coopérer avec "tout leadership que choisira le peuple syrien".
L'espoir d'élections libres, la menace d'une instabilité
Reste à savoir vers qui se tourneront les Syriens et ce que feront les rebelles qui ont repris le pouvoir. "Le peuple syrien doit désormais prendre son destin en main", a estimé le ministre des Affaires étrangères démissionnaire, Jean-Noël Barrot, sur Franceinfo. Une prise en main possible grâce à des élections libres et démocratiques, mais ces dernières auront-elles lieu ? C'est ce qu'espèrent nombre de Syriens, notamment ceux exilés dans les pays voisins, en Europe et ailleurs. Le ministre démissionnaire a ajouté que la France soutiendra "une transition politique qui soit respectueuse des droits de l'homme, des droits de la femme et qui permette à la Syrie de s'engager sur le chemin d'une paix juste et d'une paix durable". Car "il y a des risques importants qui guettent la Syrie, celui de la fragmentation et de l'instabilité". Outre le HTS qui est monté sur Damas, d'autres groupes ont participé au soulèvement : ceux de l'Armée syrienne libre au sud et ceux issus de tribus arabes à l'ouest.
Les Etats-Unis partagent la position française. Le président américain Joe Biden s'est réjoui de la chute du régime de Bachar Al-Assad dimanche soir, mais il a rappelé les "antécédents de terrorisme" de certains groupes rebelles qui ont fait tomber la dictature. Une référence directe au chef du HTS, Ahmed al-Chareh, qui a un passé de djihadiste et a côtoyé le chef de l'Etat islamique ainsi qu'Al-Qaïda avant de s'en éloigner. Les autorités américaines redoutent également une tentative de l'Etat islamique pour "se rétablir" en Syrie durant la période de transition et d'instabilité.
Un régime islamiste en Syrie ? La stratégie du chef du HTS
Le leader du groupe rebelle tente de modérer son image et se présente comme une alternative politique. Il a troqué le turban et le code vestimentaire islamiste pour un uniforme kaki et ne veut plus se faire appeler par son nom de guerre. Dès la prise d'Alep par le HTS, le 27 novembre, Ahmed al-Chareh a tenu un discours visant à rassurer les populations civiles rapporte RFI : "Personne n'a le droit d'effacer un quelconque groupe. Les différentes communautés ont coexisté dans cette région durant des centaines d'années et personne n'a le droit de les éliminer. Il doit y avoir un cadre légal qui protège et qui assure les droits de chacun. Pas un système qui serve une seule communauté, comme ce qu'a fait le régime d'Assad".
Selon plusieurs spécialistes, le chef du HTS qui a pris le contrôle de plusieurs territoires en Syrie comme la province d'Idleb, dans le nord-ouest du pays, se sert de ces expériences pour adoucir son image. Sur place, "il a plutôt nommé un gouvernement civil composé de technocrates et d'administrateurs pour gérer le quotidien dans les territoires contrôlés par le HTS" explique Hasni Abidi, directeur du Centre d'études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen à l'Université de Genève à RFI. Wassim Nasr, journaliste pour France 24 qui a rencontré le leader du groupe islamiste, rappelle l'idéologie rigoriste du groupe, mais nuance : "Ils sont par exemple moins rigoristes que les talibans. Les femmes vont à l'école, les femmes vont à l'université, les gens fument dans la rue, on entend de la musique dans des échoppes... Donc, c'est rigoriste et conservateur, mais ce n'est pas du tout le jihad d'al-Qaïda ou de l'État islamique."
Il reste donc beaucoup d'incertitudes sur ce qu'il pourrait se passer en Syrie après la chute de Bachar Al-Assad. Si Hasni Abidi estime que le HTS pourrait laisser "certains ministres, ou même l'actuel chef du gouvernement, gérer les affaires pour cette phase de transition", d'autres mettent en garde contre la mise en place d'un nouveau régime autoritaire. "Il ne faut pas être dupe", prévient Fabrice Balanche, maître de conférences à l'Université Lyon 2 et spécialiste du Moyen-Orient sur RFI : Ahmed al-Chareh "a imposé un totalitarisme islamique sur Idleb, éliminant physiquement des milliers d'opposants, que ce soit des laïques ou des islamistes modérés comme le groupe al-Cham. Donc, il ne faut pas avoir beaucoup d'illusions sur ce qui pourrait se produire dans les mois qui suivront son éventuelle prise de pouvoir".