Pas de "pause jusqu'en 2027" : la pique d'Emmanuel Macron contre Édouard Philippe au Havre
Édouard Philippe "a été un Premier ministre formidable", mais "je suis surtout concentré sur ce qui se passe aujourd'hui", a déclaré Emmanuel Macron ce jeudi 12 septembre au soir. Le président de la République était interrogé par BFMTV lors d'un bain de foule, organisé au Havre à la suite de la commémoration des 80 ans de la libération de la ville. "On ne va pas se mettre en mode pause jusqu'en 2027, je pense que la priorité c'est de bosser pour faire face au sujet du coût de la vie, à la santé, à l'école... c'est ce que va faire le gouvernement qu'est en train de composer le Premier ministre que j'ai nommé il y a quelques jours."
Une pique directe envoyée à Édouard Philippe, qui avait déclaré dans Le Point être candidat à l'élection présidentielle de 2027. La mésentente est bien connue entre les deux hommes, même s'ils donnent souvent le change face aux caméras. Quelques heures plus tôt, le maire du Havre et le chef de l'Etat avaient affiché une entente cordiale lors de la cérémonie. Une longue et chaleureuse poignée de main, des sourires, un pupitre présidentiel pour deux... Ils ont tour à tour délivré un discours relatant des combats pour libérer le port normande. Aucun mot sur la situation politique actuelle, l'heure était au solennel et à l'Histoire. Edouard Philippe a simplement "remercié sincèrement" le président de la République de manifester, par sa présente, "l'importance que la Nation accorde désormais" à cet épisode douloureux de l'histoire de la ville normande.
Le président de la République et le maire du Havre avaient-ils mis de côté leurs différends le temps d'un soir ? Cette pique envoyée par Emmanuel Macron tend à témoigner du contraire. Si leur mésentente est désormais bien connue, Emmanuel Macron et son ancien Premier ministre mettaient un point d'honneur à afficher leur cordialité. Une bonne entente qui allait de soi, compte tenu de ce qui les unit politiquement. Leur alliance est devenue le ciment du bloc central, qui soutient lui-même la présidence de la République et le futur gouvernement.
La démission d'Emmanuel Macron, un scénario crédible pour Édouard Philippe
Edouard Philippe a besoin d'Emmanuel Macron : son parti politique, Horizons, est né de la vitalité politique du macronisme et s'est construit sur l'accord électoral des partis soutenant le chef de l'Etat, comme ce le fut encore aux dernières législatives. Emmanuel Macron a besoin d'Edouard Philippe : ce dernier permet la jonction politique entre Renaissance et LR, devenue le cœur du réacteur de la majorité très relative qui soutiendra le gouvernement Barnier. Et le chef de l'Etat tient à cet attelage, qui lui permet de rester en partie aux commandes. Bref, les deux hommes doivent s'entendre. Et montrer, comme ce jeudi 12 septembre au Havre, lors des commémorations des 80 ans la Libération de la ville, qu'ils peuvent discuter et œuvrer à leurs intérêts communs.
Reste que les dernières secousses post-dissolution ont laissé des traces. Le chef de l'Etat a probablement soufflé très fort dans son bureau en entendant Edouard Philippe, en juin, s'amuser avec un journaliste à la télévision, actant une première rupture avec l'Elysée. "Emmanuel Macron a tué la majorité présidentielle. Il l'a dissoute. C'est pas moi qui suis parti, c'est pas des frondeurs qui l'auraient énervé. Il a décidé de la dissoudre. Très bien, on passe à autre chose, mais autre chose ça peut pas être exactement la même chose qu'avant", lançait-il très sérieusement.
Son interview dans Le Point, le 3 septembre, a généré une nouvelle déception au palais présidentiel. L'ancien Premier ministre déclarait à la fois qu'il était candidat pour succéder à Emmanuel Macron, mais aussi qu'il était prêt si celui-ci était contraint à la démission, scénario qu'il estime donc crédible. Autre gentillesse : Edouard Philippe glissait que le chef de l'Etat avait plongé le pays dans une crise politique rare, pointant le danger de "l'immobilisme" et la mauvaise gestion budgétaire du pouvoir.
"Macron ne va avoir qu'un objectif, c'est d'atomiser Philippe"
Contacté par plusieurs journalistes politiques, l'entourage d'Emmanuel Macron n'a pas caché la colère du Président. "Les Français n'aiment pas beaucoup les traîtres, sans Macron, que serait-il devenu en 2017 ? Peut-être sous-secrétaire d'État aux transports, rien de plus. Il lui doit tout", a glissé un proche du chef de l'Etat à RTL, ajoutant, en pointant une forme de mépris à l'endroit du maire du Havre : "Le président s'est fait son idée sur Édouard Philippe et il n'est pas très inquiet pour 2027". Un ministre proche d'Emmanuel Macron abonde auprès du même média : "Déjà qu'il a été le plus en retrait dans cette campagne, s'exprimer uniquement pour faire des critiques, c'est indélicat. Ce n'est pas ce qu'on est en droit d'attendre d'un partenaire de la majorité, ajoute un conseiller. Ce n'est pas très digne".
Un autre conseiller d'Emmanuel Macron, auprès de Politico, fait le constat amer qu'Edouard Philippe met des bâtons dans les roues du président : "En janvier, il refuse de revenir au gouvernement, en juin, il ne veut pas aller aux législatives, cet été, alors qu'il voulait reconstruire la majorité, il était complètement absent". La liste des déconvenues s'allonge donc, au point d'avoir fâché Gérald Darmanin, qui s'est pourtant rapproché du maire du Havre ces dernières semaines. "Il est furieux", confie un proche du ministre démissionnaire à Politico. Ce dernier analysait même la situation avec la certitude que le chef de l'Etat ne lui pardonnerait pas cette attitude très personnelle : "Macron ne va avoir qu'un objectif, c'est d'atomiser Philippe".
Edouard Philippe, en bon observateur de la vie politique, forcément lucide sur les rancœurs du président, s'en tient à son projet de conquête de l'Elysée, ayant déjà tourné la page. "J'essaye avec la force politique que je préside, avec les députés et sénateurs Horizons de stabiliser la situation, d'aider à la composition d'un gouvernement stable, mais je me préoccupe aussi de la suite", a-t-il lancé sur BFMTV le 11 septembre. "Mon programme viendra le moment venu", a-t-il prévenu, précisant tout de même pour que l'on comprenne bien que la rupture est consommée : "Ce ne sera ni du Thatcher ni du Macron, je pense que ce sera du Philippe, parce que je ne cherche pas à imiter qui que ce soit".