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INTERVIEW
 
08/11/2006

"Les Afghans ont soif de paroles et de savoirs"

A 25 ans, Marie Bourreau, journaliste, a déjà vécu trois ans à Kaboul. Dans son livre, coréalisé avec la photographe Véronique de Viguerie, elle livre un témoignage poignant sur un peuple qui tente de se reconstruire.

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Vous avez vécu trois ans en Afghanistan. Pourquoi avoir choisi ce pays ?

Marie Bourreau Lorsque j'ai fini mon école de journalisme en mai 2003, j'ai eu l'opportunité de participer à un raid en voiture entre Paris et Kaboul parrainé par l'Unesco. Il s'agissait d'une mission scientifique et culturelle qui visait à faciliter l'inscription de plusieurs sites historiques au patrimoine de l'humanité. Lorsque je suis arrivée en Afghanistan, je me suis rendu compte que tous les journalistes avaient quitté le pays depuis la fin de la guerre. L'intérêt médiatique s'était déplacé. Il m'a semblé intéressant de suivre cette période charnière de la reconstruction de l'Afghanistan. De plus, en tant que jeune journaliste sans expérience, je pouvais nourrir ma soif d'aventures mais aussi multiplier les contacts avec les rédactions qui gardaient tout de même un intérêt distant pour le pays.


Vous avez collaboré avec la photographe Véronique de Viguerie pour la création de ce livre. De quelle manière vous-êtes-vous rencontrées ? Pourquoi avoir choisi de travailler ensemble ?

Véronique est arrivée en Afghanistan un an après moi. Elle voulait faire un reportage sur les femmes immolées dont j'avais déjà fait le portrait pour l'émission Envoyé Spécial. Elle m'a donc contacté pour obtenir des informations et cela a débouché sur une collaboration plus longue. Nous avons tout de suite saisi tout l'avantage que l'on pouvait tirer de notre binôme féminin. D'abord, travailler à deux donne plus de courage. Ensuite être deux filles dans un pays aussi machiste que l'Afghanistan était le gage d'avoir accès facilement aux femmes ainsi qu'aux hommes qui avaient tendance à croire qu'il n'y avait aucun danger à parler à deux occidentales forcément naïves... Pour finir, l'Afghanistan est un pays qui s'appréhende difficilement. Travailler avec Véronique me permettait de garder toute la distance nécessaire avec le sujet. Nous remettions sans cesse en question les reportages en en discutant ensemble. Enfin, Véronique est une amie. Nous avons la même vision de notre travail, les mêmes envies. Parfois, je me dis que je suis sa vigie autant qu'elle est la mienne.


 

Photo © Véronique de Viguerie

Quel a été votre quotidien de journaliste en Afghanistan ?

Des litres de thé avalés ! Des kilos d'amandes ingurgités ! Et beaucoup de palabres ! Pour accéder aux Afghans, il faut prendre leur rythme et accepter toutes ses traditions qui font leur culture. En tant qu'occidentales, nous aurions pu être soumises à des règles de sécurité très strictes, mais que l'on aurait passé notre temps à enfreindre en tant que journalistes. Nous avons préféré nous fondre dans la population et se faire le plus discrètes possible. Nous prenions le taxi comme tout le monde, marchions dans la rue… Nous travaillions aussi beaucoup avec des fixeurs qui nous aidaient dans notre travail. Il s'agit de traducteurs et parfois de journalistes qui ont des contacts dans tous les milieux et domaines. Il s'agissait, aussi, au quotidien, d'entretenir de bonnes relations avec eux ! En tant que journalistes, nous n'étions pas mal considérées. Les Afghans ont soif de paroles et de savoirs. Il y avait donc toujours le temps de l'interview puis une discussion plus informelle sur notre vie personnelle. Beaucoup pensaient que nous étions orphelines ou répudiées car aucun parent ou mari assez aimant n'aurait pu nous laisser partir seules en Afghanistan. Il fallait expliquer que, dans nos pays, l'indépendance est un gage d'amour…

 

Quel regard portez-vous sur le peuple afghan ?

J'ai vécu presque trois ans en Afghanistan et pourtant je n'ai toujours pas compris ce pays. Il y règne un fatalisme qui parfois me désespère et souvent un enthousiasme galvanisant. L'Afghanistan ressemble en Occident à un pays où les barbus sont légion et la violence quotidienne. J'ai une tendresse et une admiration immenses pour tous ces Afghans qui luttent pour survivre au quotidien. L'hospitalité n'est pas un vain mot.


A quoi rêve la jeunesse afghane ?

À un avenir… J'ai rencontré, il y a un an, une jeune Afghane qui m'a avouée qu'elle s'interdisait de rêver. Aujourd'hui, les espoirs engendrés par les récentes élections présidentielles et parlementaires sont déçus. Jamais depuis la chute des Taliban, l'Afghanistan n'a connu autant de violence. Les écoles de filles qui ont rouvert sont régulièrement brûlées. Les femmes qui travaillent pour des organisations non gouvernementales sont menacées de mort. J'ai peur de ce violent retournement de situation. Le peuple afghan est excédé. Il ne veut plus la guerre. Il a fait confiance à la communauté internationale qui a injecté des milliards dans la reconstruction pour finalement ne jamais réussir à apporter la stabilité escomptée. La perte de confiance est terrible.

 

Photo © Véronique de Viguerie

Quel est votre meilleur souvenir dans le pays, en tant que journaliste ?

J'ai du mal à répondre à cette question. Il n'y a pas de petits sujets ou reportages. Ce ne sont pas les plus durs à réaliser ou les plus dangereux qui sont forcément les plus forts. Parfois les à-côtés du reportage sont plus marquants que le reportage lui -même ! Nous avons souvent beaucoup ri de nos moyens de transport pour se rendre sur les lieux d'un sujet. Nous nous retrouvions seules au milieu de nulle part dans un taxi déglingué et nous avions un sentiment de liberté exceptionnelle. J'aimais bien aussi lorsque nous revenions de reportages parfois durs et que nous partions dans des fous rires juste pour décompresser. S'il fallait tout de même faire un choix, je pense que c'est un soir d'avril 2006. Nous campions avec des nomades avec Véronique. Une grosse tempête venait de se terminer et tous les hommes du camp avaient décidé de venir fumer et boire le thé dans notre tente. Une vraie discussion s'est engagée. Chacun racontait son passé. Parfois très noir. On les regardait, on les écoutait et l'on pensait à nos mères : nous étions au milieu d'une vallée isolée avec de vrais criminels qui nous parlaient comme à des copines. Ce soir-là, j'ai beaucoup réfléchi à ma responsabilité de journaliste et au sens que je voulais donner à mon travail.

 

Que vous a enseigné la vie là-bas ?

Je ne sais plus si l'Afghanistan m'a faite ou défaite ! J'ai appris à y perdre mes repères et à me débarrasser des idées reçues. J'ai appris la valeur du temps et le plaisir des petites choses. Je relativise. Je pense que j'appréhende aussi différemment la vie après avoir été confrontée à des morts violentes. En Afghanistan, j'avais souvent l'impression d'être un funambule sur le fil des émotions. Elles étaient souvent extrêmes dans la joie ou le malheur. J'ai découvert émotionnellement jusqu'où je pouvais aller et me maîtriser !

 

Quels sont vos projets professionnels ?

Je suis aujourd'hui installée au Caire en Egypte. Il faut rebondir vite après des expériences aussi fortes que celles vécues en Afghanistan. J'ai vraiment ressenti le besoin de quitter le pays pour continuer à l'aimer et sans doute aussi retrouver une distance que j'avais perdue en y vivant à 100 %. En Egypte, j'espère arriver à couvrir aussi le Soudan et la bande de Gaza. Tout en continuant à retourner régulièrement en Afghanistan… C'est mon opium !

 


EN IMAGES Les plus belles photos du livre
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