La chasse est-elle d'intérêt général ? Les arguments pour et contre, trois experts se prononcent

La chasse est-elle d'intérêt général ? Les arguments pour et contre, trois experts se prononcent La chasse est l'une des activités les plus polémiques en France. Nous avons interrogé plusieurs experts pour et contre, pour tenter d'éclairer ce vieux débat : est-elle vraiment d'utilité publique comme le disent les chasseurs ?

Le 17 mai 2025, les chasseurs étaient appelés par leur fédération nationale à déposer un manifeste inédit en mairie, réclamant notamment que la chasse soit reconnue "d'intérêt général". "Qu'on nous laisse vivre chez nous avec nos passions et nos modes de vie, et que l'écologie dogmatique et politique arrête tout simplement de nous emmerder", réclamait alors Willy Schraen, le président de la Fédération nationale des chasseurs (FNC) sur le site officiel de l'association. Selon la FNC, les maires "savent l'importance" du réseau rural, "et constatent l'action des chasseurs sur la biodiversité et le lien social" qu'ils représentent "dans la France des territoires". 

À travers cette "riposte", la FNC souhaite dénoncer les "multiples attaques" dont elle estime être victime. Elle fait donc 11 propositions "pour l'avenir de la chasse française". Parmi elles : la reconnaissance de la chasse comme patrimoine immatériel culturel à l'Unesco, la fin du financement des dégâts de gibier par les seuls chasseurs, le refus de l'interdiction du plomb sans alternative réaliste, le maintien de toutes les espèces chassables, ou encore la liberté de chasser les week-ends, les vacances et les jours fériés, dans le cadre de la loi.

"Il y a un côté tellement moyenâgeux"

La défense des chasses traditionnelles, du piégeage et du déterrage, ainsi que de pratiques de chasse très réglementées ou interdites, sont aussi des points essentiels pour le FNC. "Ce sont des pratiques ancestrales. La chasse à courre (par exemple - ndlr), est très ancrée dans le patrimoine français. C'est une technique de chasse qui n'est pas à la portée de n'importe quel candidat car c'est très exigent en matière de savoir-faire technique et de connaissance de territoire", nous explique Jean-Michel Dapvril, directeur délégué aux affaires juridiques de la fédération. "On conçoit qu'elle ne plaise pas à tout le monde, pour autant, elle paraît respectable", assure-t-il, car la quantité d'animaux prélevés dans ce cadre-là n'est "pas importante", selon ses termes.

"Comment peut-on, en 2025, demander la chasse à la glue, qui est monstrueuse, ou la chasse à courre ?"

L'initiative politique des chasseurs n'est cependant pas vue d'un bon oeil par tout le monde. Leur activité reste un réel "problème" pour Yolaine de la Bigne, porte-parole de l'Association de protection des animaux sauvages (ASPAS). "Comment peut-on en 2025, demander, par exemple, la chasse à la glue, qui est monstrueuse, ou la chasse à courre ? (...) On peut accepter une chose si elle s'adapte à l'époque, si elle se modernise. Là, il y a un côté tellement moyenâgeux", s'agace-t-elle.

Un argument que réfute la FNC, assurant que "les chasseurs ont évolué dans leurs pratiques". "Quand un cerf se réfugie dans des zones d'habitation, l'animal est gracié, les chasseurs se replient et les pouvoirs publics interviennent", certifie son directeur délégué aux affaires juridiques. "Un animal sauvage" a même "8 chances sur 10 de gagner quand il est chassé à courre, car il connaît mieux le territoire", nous explique-t-il.

Un million de chasseurs en France et un "gendarme"

Dans l'Hexagone, la chasse est régulièrement sujette à débat, hautement inflammable. Le pays compte en effet près d'un million de pratiquants et autant d'électeurs. Le poids économique de ce secteur est estimé à 2,2 milliards d'euros, selon le ministère de la Transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche. L'Office français de la biodiversité (OFB), un établissement public administratif placé sous la tutelle du ministère de la Transition écologique et du ministère de l'Agriculture et de l'Alimentation, contribue justement à l'exercice des missions de police administrative et de police judiciaire relatives à la chasse.

Pour le compte de l'Etat, il est chargé de l'organisation de l'examen du permis de chasser ainsi que de la délivrance de ce dernier. Sur tout le territoire, il est composé de 11 directions régionales, de services départementaux et de 2 000 agents. Il fait donc office de "gendarme" de la chasse. Et il ne se prononce pas sur le caractère "d'intérêt général" de la pratique de la chasse, réclamé par la FNC dans son récent manifeste.

Au regard de la loi, cependant, "la gestion durable du patrimoine faunique et de ses habitats est d'intérêt général". "La pratique de la chasse, activité à caractère environnemental, culturel, social et économique, participe à cette gestion et contribue à l'équilibre entre le gibier, les milieux et les activités humaines en assurant un véritable équilibre agro-sylvo-cynégétique", indique aujourd'hui l'article L420-1 du code de l'environnement, entré en vigueur le 9 mars 2012. 

Les chasseurs français plutôt privilégiés en Europe

C'est justement cette situation qui inquiète et révolte les associations de protection des animaux. Les chasseurs "ont déjà tout et ils en demandent encore et encore", regrette Yolaine de la Bigne. D'après elle, la pratique de la chasse a d'abord un effet néfaste sur la biodiversité, notamment avec "les munitions contenant du plomb, lorsque des milliers de cartouches polluent les sols et sont avalées par des animaux". Mais ce n'est pas tout, elle pointe aussi du doigt le nombre d'espèces chassées en France : "Les chasseurs français peuvent chasser environ 90 espèces, c'est un record en Europe", déplore-t-elle.

"Les chasseurs ont une mission d'intérêt général avec la régulation des ongulés par la chasse."

Mais alors, peut-on affirmer que la chasse est d'intérêt général ? C'est "une activité environnementale comme une autre, avec une dimension culturelle, économique et sociale", affirme avec certitude Jean-Michel Dapvril, qui estime que l'ensemble des acteurs de cette économie "intervient dans une démarche d'intérêt général". "C'est d'intérêt général de veiller à l'équilibre pour que les activités économiques comme l'agriculture n'aient pas à souffrir d'espèces envahissantes, c'est d'intérêt général sur les données que l'on collecte", ajoute-t-il, vantant aussi les "informations" récupérées par les chasseurs sur le terrain pour mieux connaitre et suivre certaines espèces protégées par exemple.

Une vision semble-t-il validée par l'Office national des forêts (ONF), qui assure la gestion de 25% de la forêt française. "Les chasseurs ont une mission d'intérêt général avec la régulation des ongulés (cerf, chevreuil, sanglier par exemple, ndlr) par la chasse", admet ainsi auprès de Linternaute Edouard Jacomet, chef du département Gestion Durable et Multifonctionnelle des Forêts à l'ONF.

Le cas du renard, un symbole du débat

Hostile à ces déclarations, Yolaine de la Bigne - qui a accepté elle aussi de répondre à nos questions - prend l'exemple du sanglier pour appuyer son propos. Si les chasseurs veillaient à l'intérêt général selon elle, ils "pourraient essayer de réguler, mais ils les nourrissent d'une manière artificielle douze mois sur douze, donc ils sont partout", fait-elle remarquer. Cette dernière fait également part de son étonnement concernant certaines espèces "en très mauvais état comme le lièvre, le grand tétras", ou encore le "renard, qui est absolument capital". "Il n'y a aucune raison de le chasser, il répand des graines, il aide les agriculteurs qui commencent à s'en rendre compte", loue-t-elle. "Les chasseurs sont entrain de massacrer les renards, si on continue, il n'y en aura plus d'ici une dizaine d'années."

"Quand des chasseurs tuent des renards, ils ne font que taper dans l'accroissement annuel des populations."

Là aussi, les membres de la FNC et de l'ASPAS devraient avoir un mal fou à s'entendre. Jean-Michel Dapvril assure à l'inverse que le renard se porte bien en France, "à part en cas d'épisodes de gale sarcoptique". "Quand des chasseurs tuent des renards, ils ne font que taper dans l'accroissement annuel des populations de renards. C'est un animal très habile qui n'a pas spécialement de prédateur autre que l'homme", explique-t-il. D'après lui, la chasse n'a "jamais" été la cause de disparition d'une espèce. En revanche, "l'artificialisation des sols, l'agriculture intensive et le réchauffement climatique" sont des facteurs de régression de la biodiversité.

Qui dit vrai ? Sur le sujet, difficile de mesurer l'impact de l'évolution des pratiques de manière rigoureuse ces dernières années. Mais une enquête nationale, réalisée en 2013 auprès des fédérations départementales des chasseurs, permettait de rassembler les suivis de renards par comptages nocturnes. Cette analyse sur dix ans mettait en évidence "une stabilité moyenne des densités de renards".

Dans les forêts françaises, la densité moyenne de renards est comprise entre 0,45 et 1,49 renard au kilomètre carré. La population est donc qualifiée de "stable, voire en légère augmentation". "Certains calculs arrivent à une progression de 7% en dix ans", précise aussi l'enquête menée par des chasseurs. Reste que l'Anses, qui a mené un travail sur l'impact des populations de renards en France en juin 2023, ne considère pas l'animal comme une menace, et "recommande de ne pas engager d'action spécifique pour faire varier les populations de renards, que ce soit à la hausse ou à la baisse, dans une optique de santé publique, humaine comme animale".

Pour 89% des Français, la chasse pose des problèmes de sécurité

Que pensent vraiment les Français de la chasse ? Un sondage Ipsos publié en 2023 révélait que les arguments contre la chasse suscitent toujours une large approbation des citoyens, notamment en ce qui concerne les dangers qu'elle soulève. 89% des Français estiment en effet que la chasse pose des problèmes de sécurité pour les promeneurs. "Non seulement ce n'est pas d'intérêt général mais pour moi, la chasse est un exemple typique du côté profondément antidémocratique de la France. Les Français dans l'ensemble sont contre la chasse", surenchérit Yolaine de la Bigne.

Dans une étude plus récente, datée de 2025, l'Ifop révélait de son côté que 62% des Français ne se sentaient pas en sécurité lors de promenades en nature en période de chasse. Yolaine de la Bigne estime sur ce sujet que "certains chassent en état d'ébriété". "On est avec des gens d'un certain âge dans l'ensemble, ce qui implique de moins bons réflexes et ça fait très peur", met-elle aussi en garde. De son côté, l'ONF met en place des "actions partenariales pour l'accueil des jeunes chasseurs", nous indique Edouard Jacomet. "Il est important d'assurer un renouvellement dans la population des chasseurs (...) Nous aurons durablement besoin de la chasse", poursuit-il.

Combien d'accidents de chasse en France ?

Cette crainte des Français a-t-elle une traduction dans les chiffres et dans le nombre réel d'accidents de chasse en France ? L'Office français de la biodiversité (OFB) révèle que la saison 2023-2024 de chasse se caractérise par "une augmentation des accidents, au nombre de 97, dont 58 graves, par rapport aux trois saisons précédentes". Des faits qui impactent moins les non-chasseurs. Ils étaient 12 à subir un accident la saison dernière, contre 23 celle d'avant. L'OFB observe une "augmentation du nombre des auto-accidents, qui représentent 40% des accidents, dont 3 mortels", apprend-on.

Enfin, sur les 103 incidents matériels recensés (contre 84 l'année précédente), 56 concernaient des tirs vers les habitations, 18 des tirs vers des véhicules et 29 des tirs sur animaux domestiques. Des chiffres, là aussi, en hausse. Ce bilan des accidents de chasse souligne toutefois le niveau "historiquement bas" des accidents mortels, avec six décès de chasseurs en 2023-2024, comme la saison précédente. Sur 20 ans, les accidents mortels ont "diminué de 77%", mais sont soumis à une grande variabilité. Fin février, la Fédération nationale des chasseurs a évoqué le bilan provisoire de cette année : les accidents sont peu nombreux, mais plus mortels puisque 10 décès seraient à déplorer sur 2024-2025 (une hausse de plus de 50% par rapport à la saison 2023-2024).

La tradition de la chasse au cœur des futurs débats

D'après Edouard Jacomet, "la question de sécurité lors des actions de chasse est une priorité pour les chasseurs et toutes les mesures sont prises pour éviter les risques d'accident (...) notamment en matière d'information du public les jours de chasse". Et de citer, à titre d'exemple, le calendrier des jours de chasse en battue que l'ONF publie sur son site.

La FNC persiste et signe. "La chasse est d'autant plus respectable qu'elle est un élément de gestion durable du patrimoine faunistique", nous confie son directeur délégué aux affaires juridiques. Les chasseurs sont un "réseau de sentinelles" lorsque des maladies sont "véhiculées par des espèces sauvages et transmissibles", fait-il remarquer. S'il "comprend l'émotion que ça peut susciter", la chasse reste selon lui "l'aboutissement d'une activité qui est d'abord inscrite dans une logique de gestion", insiste-t-il.

"On trouve que le procès fait aux chasses traditionnelles est très injuste."

"La diversité des modes de chasse à la française s'inscrit dans une sauvegarde d'identité culturelle, de patrimoine et de savoir-faire", martèle l'association. Jean-Michel Dapvril a désormais bon espoir qu'une inscription à l'Unesco permette de "donner une dimension patrimoniale" aux pratiques "ancestrales". Et de conclure : "On trouve que le procès fait aux chasses traditionnelles est très injuste (...) ça restera une affaire de spécialistes".