La bombe atomique française au centre d'un scandale bientôt révélé ?
Un scandale prêt à exploser ? À quelques jours de la présentation du rapport d'une commission d'enquête parlementaire sur les conséquences des essais nucléaires en Polynésie française entre les années 1960 et 1990, le média d'investigation Disclose révèle que le Commissariat à l'énergie atomique (CEA) - qui est également le maître d'œuvre du nucléaire français - aurait "orchestré une campagne de propagande visant à discréditer les révélations" de "Toxique", un livre enquête - dont Disclose est associé - sur l'impact des essais nucléaires dans le Pacifique.
La France est suspectée d'avoir déboursé 90 000 euros pour que le CEA mène une campagne visant à discréditer les révélations du livre Toxique, selon lesquelles les essais auraient contaminé bien plus de personnes qu'on ne le pensait. Des révélations dont sont également à l'origine le journal Le Monde et The Guardian.
110 000 personnes éligibles à une indemnisation ?
Pour tenter de discréditer les conclusions de "Toxique", le CEA aurait, selon Disclose, "financé la rédaction, la promotion et la distribution dans les archipels d'un livre martelant le récit officiel", et qui minimise la gravité des faits tels que décrits par les journalistes, apprend-on. Des propos relayés dans les colonnes de The Guardian. Une équipe de quatre membres du CEA a bien été envoyée le 26 novembre 2022 en classe affaires en Polynésie française, logée à l'hôtel Hilton de Papeete - un palace quatre étoiles avec deux piscines - pour rencontrer des dignitaires locaux et accorder des interviews aux médias. "Parmi eux se trouvent Dominique Mongin, l'historien officiel du service qui a coordonné l'écriture de l'ouvrage", précise Disclose. Selon les factures que Disclose, Le Monde et The Guardian ont pu se procurer, la facture totale s'élève exactement à 89 623 euros. L'institution a déboursé 31 971 euros pour des billets d'avion en classe affaires et près de 11 833 euros d'hôtel pour un séjour de huit jours.
À l'époque, Emmanuel Macron reconnaissait lui-même la "dette" de la France lors d'un voyage en Polynésie française. Dans le détail, pas moins de 110 000 personnes auraient reçu une dose de radiation suffisamment élevée pour leur donner droit à une indemnisation, si elles développaient ultérieurement l'un des 23 cancers différents, en raison des essais nucléaires sur leur sol. Des chiffres révélés après une étude scientifique réalisée en 1974. "Toxique" affirme que le CEA avait longtemps sous-estimé les niveaux de radiation, limitant ainsi considérablement le nombre de personnes éligibles à une indemnisation. En 2023, "moins de la moitié" des 2 846 demandes d'indemnisation déposées avaient été jugées "recevables", indique The Guardian.
Cancers, leucémies, lymphomes... de lourdes séquelles
Aujourd'hui, les doses reçues par les populations locales après l'essai Centaure sont "de l'ordre de 1mSv" indique Philippe Renaud, chercheur à l'ASNR et l'un des auteurs du rapport, lors de son audition le 19 février 2025, des propos rapportés par Disclose. Une dose de radioactivité supérieure à 1 mSv est suffisante pour demander l'indemnisation de la France. En théorie, elle ne pourrait donc pas leur être refusée. Désormais, les cancers de la thyroïde, du sein et du poumon, ainsi que les leucémies et les lymphomes liés aux radiations se développent dans les îles. De son côté, l'armée française a déclaré que jusqu'à 2 000 militaires auraient pu être exposés à des radiations suffisantes pour provoquer un cancer.
La commission d'enquête parlementaire a pour l'instant auditionné 40 personnalités politiques, militaires, scientifiques et victimes. L'autorité française de sûreté nucléaire (ASNR), a elle reconnu "les incertitudes liées aux calculs (du CEA)" et confirmé qu'il n'était pas possible de certifier que les doses de radiations reçues étaient inférieures au seuil d'indemnisation.
Enfin, Jérôme Demoment - directeur du CEA/DAM - a déclaré à la commission d'enquête parlementaire qu'il était "fort probable, si nous devions gérer (des essais nucléaires) aujourd'hui, que le système mis en place répondrait à une logique différente". "L'idée d'une 'bombe propre' a suscité une controverse, ce que je comprends parfaitement", concède-t-il. La commission doit rendre son rapport avant fin juin 2025 pour tenter de répondre à la réponse suivante : la France a-t-elle volontairement masqué l'ampleur de la contamination sur l'île ?