Violences racistes à Torre Pacheco : que se passe-t-il dans cette ville espagnole ?

Violences racistes à Torre Pacheco : que se passe-t-il dans cette ville espagnole ? La petite ville de 40 000 habitants, dont un tiers sont immigrés, a été le théâtre de violences racistes contre des étrangers pendant trois jours consécutifs.

Trois nuits de violence. À Torre Pacheco, petite ville agricole du sud-est de l'Espagne, des groupes cagoulés, armés de battes et de machettes ont circulé de manière impressionnante dans les rues. La cible de leurs slogans : les immigrés, principalement marocains. Dans cette commune de 40 000 habitants, un tiers de la population est étrangère et travaille majoritairement dans les champs.

Tout a commencé le 9 juillet dernier, lorsqu'un retraité de 68 ans a affirmé avoir été agressé sans raison par trois jeunes, dont deux d'origine maghrébine. Dans la foulée, la mairie, dirigée par le Parti populaire (PP droite), a organisé une manifestation contre l'insécurité, le vendredi 11 juillet. Mais très vite, le rassemblement a dégénéré. Des groupes d'extrême droite s'y sont invitées, criant des slogans hostiles aux immigrés.

Dans la nuit de samedi à dimanche, la situation a basculé. Des dizaines d'individus cagoulés, certains armés de bâtons ou d'armes blanches, ont erré dans les rues, se livrant à des "chasses", terme d'argot néonazi pour désigner les passages à tabac d'immigrés. Plusieurs jeunes maghrébins ont été insultés, frappés. D'autres agressés au volant de leur voiture. Des commerces ont été vandalisés. Près de 120 gardes civils déployés ont permis d'éviter des affrontements directs. Ces violences ont duré pendant trois nuits consécutives.

Une traque organisée en ligne

Le maire de Torre Pacheco, qui réclame plus de présence policière pour pouvoir stopper la délinquance, a rapidement  appelé au calme, exhortant les habitants à ne pas faire d'amalgames.

Pour les forces de l'ordre, ces attaques ont été menées par des groupes d'ultra-nationalistes, planifié sur plusieurs groupes Telegram. L'un des canaux, baptisé "Deport them now!" ("Expulse-les tout de suite!") aurait appelé à une mobilisation générale : "Nous appelons toutes les organisations anti-immigration de l'État, les supporters de football, les associations chrétiennes et les habitants de la ville. Tous à Torre Pacheco !", écrivent-ils dans un communiqué, appelant à déchaîner la violence dans la ville "sans crainte des conséquences juridiques que cela pourrait entraîner".

Ses dirigeants se présentent comme la branche espagnole d'un groupe radical présent dans plusieurs pays européens, mais ils sont passés inaperçus auprès des spécialistes de l'extrême droite espagnole. D'après El Pais, une "machine de propagande" s'est déclenché après l'agression du retraité. Des vidéos d'agressions antérieures ont été présentées comme récentes, des identités erronées ont été attribuées aux auteurs présumés, et des rumeurs infondées ont été partagées. Ces contenus ont notamment été relayés sur des chaînes Telegram ou par des figures politiques comme Alvise Pérez. Les messages ont également été diffusés sur X, YouTube ou TikTok.

14 personnes interpellées, 80 identifiées

Au total, 14 personnes ont été interpellées selon les autorités, dont les trois suspects en lien avec l'agression du retraité, qui n'habitent pas à Torre Pacheco. Les autres sont poursuivies pour "troubles à l'ordre public", "haine" et "blessures volontaires", a indiqué sur X la déléguée du gouvernement central dans la région de Murcie, Mariola Guevara. Parmi les interpellés figure également un responsable du groupe d'ultradroite "Deport them now!". 

Selon la déléguée du gouvernement, près de 80 personnes ayant pris part à ces altercations ont par ailleurs été identifiées. "Beaucoup d'entre elles ont des antécédents pour des faits de violence" et "la majorité ne sont pas de Torre Pacheco", a-t-elle insisté. La protection et les contrôles policiers restent en place pendant que la ville de Murcie tente de revenir à la normale. Mais selon El Mundo, plusieurs groupes radicaux appellent déjà leurs sympathisants à se rendre à Torre Pacheco entre mardi et jeudi.

La tension grandit sur les problèmes liés à l'immigration

En Espagne, où vivent 920 000 Marocains, l'affaire est rapidement devenu politique. Le responsable régional du parti d'extrême droite Vox, José Angel Antelo, a appelé à expulser les migrants "qui dans de nombreux cas, agressent nos aînés" et "violent nos filles dans les rues". "Nous ne voulons pas de ces gens-là dans nos rues ni dans notre pays. Nous allons tous les expulser : il n'en restera pas un seul", a-t-il déclaré à Torre Pacheco.

Des propos dénoncés par le Parti socialiste de Pedro Sánchez et son allié Sumar, qui accusent Vox de "jeter de l'huile sur le feu". Ils ont conduit le parquet de Murcie à ouvrir une enquête contre le responsable régionale de Vox. "C'est un exemple très clair de la tension qui grandit sur les problèmes liés à l'immigration" en Espagne, assure à l'AFP Paloma Román, politologue à l'Université Complutense de Madrid.

Un phénomène lié, selon elle, à "la montée de l'extrême droite", qui a fait de ce sujet un thème central. Une réunion exceptionnelle du Comité de suivi du Plan national contre les crimes de haine est prévue ce jeudi 17 juillet, sous l'égide du ministre de l'Intérieur Fernando Grande-Marlaska, d'après El Pais.