Jean Yves Le Drian, un ministre qui a le vent en poupe ?

Fort des excellents résultats de l’armée française au Mali, défenseur acharné des militaires et de son ministère notamment face à Bercy, promoteur du Made in France pour l’approvisionnement des forces armées, Jean-Yves le Drian est un ministre dont l’action fait l’objet d’un relatif consensus autour de sa personne.

Un Ministère mal en point

Si Jean-Yves le Drian est si populaire, même après être passé entre les fourches caudines de la transparence patrimoniale, c’est déjà parce qu’il a pris à bras le corps les problèmes d’un Ministère endommagé par l’imposition simultanée de plusieurs réformes : professionnalisation, embasement, RGPP, informatisation des soldes, réduction des effectifs. Prises séparément, ces mesures n’ont rien d’insurmontable. Mais la volonté de les mener toutes de front en l’espace d’une grosse dizaine d’années, tout en maintenant le contrat opérationnel, a généré des surchauffes et des grincements de dents au sein de l’institution. La fidélisation des personnels s’en ressent, mais la problématique qui concentre toutes les critiques est probablement le logiciel Louvois de paiement automatique des soldes. Les erreurs, toutes les administrations en commettent. Mais ne pas payer des dizaines de milliers de militaires pendant parfois plusieurs mois, cela ne s’était encore jamais vu. « Louvois restera dans l'histoire comme un grand ratage de la modernisation de l'État », selon un rapport du Sénat (1).

Si on ajoute à cela le blues des militaires suite au désengagement afghan, théâtre exceptionnel pour l’expérience que les armées ont restitué avec brio au Mali, on comprend mieux les inquiétudes des militaires : au sentiment de n’avoir pas totalement achevé le travail sur place s’ajoute la crainte de redevenir une armée cantonnée au territoire national. Les débats sur le Livre Blanc n’ont rien de rassurant sur ce sujet. Mais bien que le Ministre ait des relations tendues avec la haute hiérarchie militaire, du fait de sa volonté de réformer la répartition des pouvoirs entre les chefs d’état-major et le Ministre, le sentiment d’avoir un allié et un défenseur de l’institution au niveau politique rassure un peu.
Contrairement à ce qui a pu passer sous les gouvernements précédents, le Mali a été l’occasion d’une véritable confiance du pouvoir politique dans ses militaires, avec peu d’intervention de l’exécutif ou du gouvernement dans la conduite des opérations. Un changement d’ambiance qui a permis aux militaires de faire preuve d’une audace payante sur le terrain.

Une nouvelle politique pour l’approvisionnement

Si du côté des militaires, c’est la satisfaction qui prédomine, c’est également le cas vis-à-vis des entreprises françaises qui travaillent pour la défense, et notamment les PME. Si les grands groupes on été rassurés par l’annonce du Président de la République, le 28 mars 2013, de sanctuariser le budget d’équipement des forces armées, les PME françaises ont également de quoi se réjouir : le leitmotiv du patriotisme économique vient de trouver sa concrétisation de manière relativement discrète, notamment avec le pacte Défense PME. « Les procédures de passation des marchés doivent privilégier le réflexe PME » affirme ainsi le Ministre dans une interview au Figaro (2).

Certains élus n’ont pas manqué de s’offusquer du fait que les armes utilisées par nos armées sont parfois d’origine étrangère. Bien que le célèbre fusil d’assaut FAMAS soit bien français, il côtoie désormais des armes allemandes, autrichiennes ou belges. Le remplacement du FAMAS risque par ailleurs de ne pas être issu d’une manufacture nationale, étant donné que l’offre n’existe plus. Concernant le dossier historiquement sensible de l’habillement des forces armées, le Ministère réfléchit à une externalisation totale ou partielle du service : « L'habillement du soldat, ce n'est pas rien. Et la fonction habillement, non plus. C'est d'abord un sujet de litige et de récrimination. Les plaintes concernant les effets (leur qualité et leur disponibilité) sont nombreuses », écrivait Philippe Chapleau peu de temps avant le lancement de l’appel d’offres (3).
A l’époque nombre de militaires avait déjà fait part de leur mécontentement, concernant les effets produits au Maroc ou au Sri Lanka, dont la mauvaise qualité et conception provoquaient une usure prématurée. Début 2013, le Ministère n’avait pas encore tranché en faveur de la solution de l’externalisation ou de celle de la Régie Rationalisée Optimisée (RRO), autrement dit la refonte (et surtout la fonte) de l’existant (4). C’est a priori chose faite désormais, et le nouveau contrat viendrait d’être attribué au consortium Griffes Défense (5), réunissant des marques françaises prestigieuses comme la Calaisienne, Saint James ou encore Eminence.
Le Ministre a d’ailleurs trouvé dans sa démarche l’appui des élus des régions concernées, à commencer par Gilbert Lebris, député PS du Finistère, membre de la Commission de la Défense à l’Assemblée nationale et breton lui aussi. Mais les soutiens pourraient également venir des rangs UMP. L’entreprise Saint James, par exemple, a au moins deux défenseurs en la personne du député UMP Guenhael Huet et du sénateur Jean Bizt, tous deux élus de la Manche. Contrairement à bien des questions à l’ordre du jour de l’Assemblée et du Sénat, le choix d’entreprises françaises fait l’objet d’un consensus national relativement inédit en ce moment. Il ne tient qu’au gouvernement et aux diverses administrations de capitaliser sur cette initiative et poursuivre dans le sens des promesses tenues.

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(1) « Des dysfonctionnements graves qui ont affecté le versement des soldes dans l'armée de terre depuis le déploiement de Louvois », Sénat.fr, 22 novembre 2012.
(2) « Défense : 40 mesures en faveur des PME », Le Figaro.fr, 21 novembre 2012.
(3)  « Habillement: externaliser ou déshabiller », Ouest France.fr, 24 janvier 2011.
(4) « La fonction “habillement” sera-t-elle externalisée en 2013? », Opex 360.com, 04 janvier 2013.
(5) « Deux marchés d'externalisation de l'habillement pour Ineo Support Global », Ouest France.fr, 17 avril 2013