Google : les 6 péchés capitaux. Ce qui lui est reproché

Google : les 6 péchés capitaux. Ce qui lui est reproché Coup sur coup, l'Union européenne et le Sénat français ont lancé des attaques contre Google. Que reproche-t-on au moteur de recherches ? Réponse avec les 6 principaux chefs d'accusation.

C'est parti ! Ce mercredi 15 avril, la Commission européenne a lancé une procédure contre Google, comme on s'y attendait à vrai dire depuis plusieurs jours. L'accusation porte sur un abus de position dominante, le même motif que Microsoft, condamné il y a plusieurs années par l'Union européenne et débiteur d'amendes successives se chiffrant aujourd'hui en milliards d'euros. L'Europe est en pointe dans les attaques subies par le moteur de recherches, devenu en quelques années un géant du Web. Mais il est aussi attaqué en France, où le Sénat a adopter le 16 avril un amendement "anti-Google" à la loi Macron, ainsi qu'aux Etats-Unis, où la Federal and Trade Commission (FTC), l'organe chargé de veiller à la protection du consommateur et au respect de la libre concurrence, a enquêté sur l'entreprise il y a quelques années. Google est pointé principalement par six accusations qui revêtent chacune plusieurs ramifications.

1 – L'abus de position dominante est celle qui est mise sous le feu des projecteurs aujourd'hui avec les poursuites lancées par l'Union européenne et l'amendement déposé au Sénat français. En résumé, Google, qui a pris une place prépondérante sur la Toile au niveau mondial et qui est devenu une véritable "porte d'entrée" du Web, représente 90 % des recherches sur Internet dans la plupart des pays européens. Selon plusieurs rapports de l'Autorité de la concurrence, il détient 90 % de parts de marché de la publicité en ligne. Dans les classements consacrés au secteur du "search" dans le monde, il s'arroge 55 % de parts de marché mondiales. Le second moteur de recherches, le chinois Baidu, est second avec… 8,8 % de parts de marché en 2015 (chiffre eMarketer). Bing, le moteur de recherches de Microsoft, et Yahoo sont très loin derrière. Dans leur amendement, les sénateurs français proposent notamment d'ouvrir la recherche sur Internet à la concurrence en forçant Google à afficher des résultats de ses concurrents en plus des siens. Une mesure qui reste évidemment à adopter, puis à mettre en place. Ce qui ne sera pas une mince affaire.

Mais il y a pire encore : Google abuserait de cette position dominante selon l'UE et le Sénat qui considèrent que Google profite de son hégémonie pour mettre en avant ses propres services dans ses résultats de recherches. Shopping, voyage ou même information en ligne : au lieu de proposer aux internautes une multiplicité de résultats de manière transparente, Google serait en train de phagocyter tous les secteurs du Web en se posant à la fois comme sélectionneur et lui-même producteur de contenus et de services. Une double casquette incompatible selon ses détracteurs. Car elle porte atteinte à l'économie ou à "l'écosystème du Web", de multiples sociétés et startups vivant grâce au trafic apporté par le moteur de recherches. Mais aussi au principe de "neutralité du Web", qui garantit l'égalité de traitement de tous les contenus sur Internet et notamment interdit leur discrimination par les grands opérateurs (moteurs et fournisseur d'accès).

Une trentaine de plaignants, se sont ainsi associés à la plainte de la Commission européenne. Parmi les exemples visibles sur le Web ce jeudi 16 avril 2015, on peut citer par exemple les résultats de recherches pour un "vol paris-New-York". Google affiche d'abord les liens commerciaux puis son propre service "Google Flight", reléguant les autres sites spécialisés aux seconds voire aux troisièmes plans.

Capture des résultats Google pour la recherche "vol paris new york". © Capture Google.fr

En terme de contenu éditorial, les désormais célèbres "Google graphs" et autres blocs d'informations (biographies, résultats sportifs, etc.), viennent aussi concurrencer les sites éditoriaux (comme Linternaute.com). Pour le match PSG–Barça cette semaine, le résultat est livré avant même que l'internaute n'ait cliqué sur le moindre article.

Capture des résultats Google pour la recherche "psg barca". © Capture Google

EN VIDEO – Sur le plateau de #DirectPolitique, Catherine Morin-Desailly, porteuse de l'amendement "anti-Google" au Sénat, a détaillé en quoi Google avait "un droit de vie ou de mort sur certaines entreprises" et devait "ouvrir sa plateforme".

"Catherine Morin-Desailly - "Google à droit de vie et de mort sur certaines entreprises""

2- Les données personnelles. Second chef d'inculpation pour Google : la récupération et le traitement d'une masse considérable d'informations de ses utilisateurs. Avec les millions de personnes qui se connectent au moteur chaque jour, Google a mis en place un traitement massif de données, dressant des "profils" pour chaque internaute. En résumé, grace à votre historique de recherches, Google est ainsi capable de déduire votre âge, votre sexe, votre lieu ou zone d'habitation, vos centres d’intérêt et bien d'autres informations encore. Le but : utiliser cette énorme base de profils pour livrer des publicités ciblées, beaucoup plus efficaces que les annonces de masse. La CNIL (Commission nationale informatique et libertés) est en contentieux depuis 2012 avec la firme de Mountain View pour une modification de sa politique de traitement des données personnelles, lui permettant de croiser les données de tous ses services (photos, vidéos, achats, reherches...). Elle exige de Google "une information plus claire et plus complète" sur ce qu'il fait des millions de données récoltées chaque jour.

En janvier 2014, le moteur de recherches a déjà été condamné à 150 000 euros d'amendes et a dû afficher sa condamnation sur sa page d'accueil. Une première. D'autres agences de protection des données en Europe sont également en conflit avec Google. L'UE pourrait prochainement réglementer ce secteur et notamment "territorialiser" la gestion de données, c’est-à-dire forcer Google à respecter le droit français pour des données récoltées auprès d'utilisateur français.

3- L'optimisation fiscale. Google est une gigantesque entreprise, en activité sur presque toute la surface du globe. Elle réalise donc son chiffre d'affaires et ses bénéfices dans de nombreux pays différents. Mais Google est américain et a en outre installé son siège social en Irlande, pays particulièrement accueillant pour les entreprises (le taux d'impôt sur les sociétés y est de 12,5 % contre environ 33,33 % en France). Résultat : alors qu'il domine très largement, selon Le Figaro, un marché évalué à un milliard d'euros en France, il n'a déclaré au Fisc en 2012 que 193 millions d’euros d'euros de chiffre d'affaires et payé 6,5 millions d’impôts sur les sociétés. Comme les autres géants du Web (Amazon, Apple ou encore Facebook), l'optimisation fiscale de Google est… optimale.

Beaucoup de gouvernements ont déjà planché sur la question, pour récupérer tout ou partie de cette manne perdue. Une "taxe Google" a été envisagée en France, comme dans d'autres pays, sans jamais réellement aboutir, si ce n'est en grande Bretagne où une taxe de 25 % s'applique à toutes les multinationales. A ce stade, une décision de l'Union européenne est encore une fois attendue. Depuis le 1er janvier 2015, une TVA "locale" est appliquée aux produits culturels (musique, vidéo) achetés via Google ou Apple.

4- Un conflit sur les contenus des éditeurs de presse. La "taxe Google" a particulièrement été évoquée en 2012 en France, lors d'un long conflit avec les éditeurs de presse. Le motif cette fois : ces éditeurs considéraient que Google, en indexant leurs pages, se devait de payer en contrepartie des droits, "voisins" du droit d'auteur. L'association de la presse d'information politique et générale (IPG), regroupant les plus grands groupes de presse traditionnelle comme le Monde, Nouvel Observateur, Les Échos, Lagardère Active ou encore Bayard Presse, réclamait ainsi ardemment de l'argent au moteur de recherches pour financer leur transition vers le numérique. De son côté, Google considérait qu'en indexant leur contenu, il apportait du trafic sur leurs sites Internet et brandissait la menace de ne plus référencer les pages en cas de mise en place d'une taxe. Après de longs débats et la médiation notable de l'Elysée, la création d'un "fonds d'innovation numérique" par Google a été décidée. Il a été doté de 60 millions d'euros.

En Allemagne, en Italie ou encore en Espagne, des revendications similaires ont été émises via la Fédération italienne des éditeurs de journaux (FIEG) et les associations BDZV et VDZ. Depuis  janvier en Espagne, une loi prévoit une rémunération de Google en échange des contenus de presse reproduits. Google a décidé en représailles de fermer son service "Google Noticias", l'équivalent de Google Actualités en France. Outre-Rhin, le contentieux a été porté en justice. Le Monde rappelle que la réglementation européenne ne considère pas la reproduction d'un contenu par lien hypertexte comme une violation du droit d'auteur ou une infraction au copyright.

5- Le transhumanisme. Google n'est pas qu'un moteur de recherches. Pieuvre qui cherche à être présente sur tous les secteurs des technologies (il est présent notamment sur le juteux secteur du mobile ou celui prometteur des objets connectés), la firme de Mountain View cherche à toujours avoir un coup d'avance sur les innovations et pourquoi pas, sortir celle qui va changer la face du monde ou, tout simplement, "améliorer la vie". Ainsi, Sergey Brin, l'un des cofondateurs de Google fait régulièrement la une pour les projets sortis de son mystérieux labo, "Google X Lab". Une centaine de projets ont déjà été dévoilés par la presse, comme les désormais connues "Google Glass", mais aussi une voiture Google sans conducteur, ou des projets encore plus fous allant de l'ascenseur spatial, au cerveau fonctionnant avec des neurones artificiels.

Des projets, une fois encore, critiqués. En débordant sur le transhumanisme, Google soulève indirectement nombre de questions éthiques. Ce courant, né dans les années 1950 du croisement de plusieurs disciplines allant de la biologie aux nanotechnologies en passant par l'informatique, prône une théorie selon laquelle les technologies, et plus largement la science, peuvent améliorer les capacités physiques et cognitives des êtres humains et que chacun doit être libre de disposer de son corps, de son cerveau et même de son ADN pour en booster les capacités s'il le souhaite. Autrement dit, le corps humain peut et même doit, selon les transhumanistes, être le terrain de toutes les expérimentations pour améliorer l'humanité dans son ensemble, ses capacités, ses performances et sa longévité. Google est aujourd'hui en pointe dans ce combat et est notamment le parrain de la Singularity University dans le domaine nouveau des "NBIC" (Nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives).

6- Un lobbying puissant. Dernier grand point de friction, Google est régulièrement critiqué pour le lobbying puissant qu'il a mis en place pour défendre ses intérêts et continuer à mener à bien ses projets sans entrave. Un lobbying qui prend plusieurs formes, en particulier dans le domaine politique. Alors que la  Federal and Trade Commission (FTC), chargée des questions de concurrence et de protection du consommateur aux Etats-Unis, a longuement enquêté sur les pratiques du moteur de recherches, elle a abandonné toute poursuite en 2013, comme par magie. Le dossier sera classé alors même que certains experts en interne estimaient que des poursuites pouvaient être engagées. Des liens entre la firme et l'administration Obama ont été pointés et font aujourd'hui l'objet d'une enquête du Sénat américain.

En France, Google a des contacts dans tous les secteurs de l'industrie, des télécoms, de la politique mais aussi de la culture, comme le rappelait une enquête du Monde en 2012. Google place ses lobbyistes dans les instances du numérique français, recrute des conseillers d'Etat et investit en France, dans la recherche et développement ou dans des "pôles culturels", pour faire bonne figure. Le but : discuter avec tous les interlocuteurs qui comptent et propager son idée d'un "Internet libre", "sans contrôle des Etats". Un internet où Google pourra continuer à faire ce que bon lui semble.