Réforme de la fiscalité patrimoniale de 2011 : sa logique, ses risques et ses coûts

Par un double paradoxe, le gouvernement réalise une importante réforme de la fiscalité du patrimoine la dernière année de la législature, tout en démantelant le bouclier-fiscal, symbole de la loi TEPA adoptée au début du quinquennat de Nicolas Sarkozy, donnant ainsi l’impression de se déjuger dans une politique de Gribouille.

C'est au nom de l'équité, de la compétitivité et de l'attractivité fiscales que  le gouvernement s'est décidé, en fin de législature, à lancer une réforme de grande ampleur du patrimoine. Un projet de loi a été présenté le 11 mai 2011 en Conseil des ministres et doit être débattu au Parlement en juin 2011. Dans ces grandes lignes, ce projet supprime le bouclier fiscal, une des mesures-phares de la première année du quinquennat, symboliquement gravé à l'article 1er du CGI créé pour l'occasion par la loi TEPA en 2007 (ainsi que, subsidiairement, toute autre forme de plafonnement de l'impôt), et aménage significativement l'ISF à défaut de pouvoir le supprimer. Celui-ci subit une vaste refonte, marquée par la réduction du barème à deux tranches, avec un seuil d'entrée fixé à 1,3 millions d'euros, et une forte baisse des taux, respectivement 0,3 et 0,5 %. Afin d'assurer l'équilibre budgétaire de la réforme, le gouvernement prévoit la création de taxes nouvelles et l'alourdissement des droits de mutation, en ciblant ces mesures compensatoires sur les plus gros patrimoines.



« Dans  le monde il n'est rien de beau que l'équité,
Sans elle la valeur, la force, la bonté,
Et toutes les vertus dont s'éblouit la terre
Ne sont que faux semblant  et que morceaux de verres»
BOILEAU, Satire XI, Les Satires, 1666-1668



C'est incontestablement le feuilleton médiatique de l'affaire Bettencourt qui a cristallisé les mécontentements autour du bouclier-fiscal  et qui explique  son brutal passage, entre mars  2010 et mars 2011, du statut de totem à celui de bouc-émissaire. Dans ce climat passionnel, l'appel de 100 députés à la suppression de l'ISF en octobre 2010 ne pouvait qu'exacerber les tensions autour des deux principaux symboles de la fiscalité des riches. Après quelques ballons d'essai et un intense débat entre le Palais-Bourbon, Matignon et l'Elysée, la piste farfelue d'une taxation des plus-values latentes du patrimoine, baptisée « impôt sur le revenu de la fortune » fut d'abord sérieusement étudiée avant d'être rapidement remisée au musée des utopies fiscales. L'idée de taxer l'assurance-vie suivit le même chemin. Le gouvernement s'est alors orienté vers une réforme sobre et lisible, marquée par une simplification du barème et une baisse des taux aboutissant à deux tranches de 0,25 % et 0,5 %, et par la dispense de déclaration détaillée pour les assujettis de la première  tranche (de 1,3 à 3 millions €).

Avant même sa présentation officielle en Conseil des ministres le 11 mai 2011, la réforme de l'ISF a donné lieu à pléthore d'évaluations et d'estimations aussi surprenantes que divergentes. Ces allégations, lancées par des avocats intéressés, ont totalement obscurci le débat et nécessitent donc, sur un sujet technique, une analyse sereine et sérieuse des causes, des coûts, des risques et des conséquences de la réforme. Ce papier est donc une entreprise de clarification du débat en cours. Il a pour ambition d'éclairer le débat public sur un sujet polymorphe que la multiplicité de ses facettes (fiscales bien sûr, économiques, mais aussi politiques, sociales symboliques, et toujours idéologiques), contribue à brouiller. Sans a priori idéologique, il s'agit d'auditer le projet de loi, d'en souligner les avancées et les limites, bref de nuancer la vision manichéenne qui prévaut trop souvent, sur un sujet aussi polémique que passionnel.




"Rien ne ressemble plus à la pensée mythique que l'idéologie politique" C.Levi-Strauss, Anthropologie structurale I, 1958




Appliquée en l'état, la réforme de la fiscalité du patrimoine en cours d'examen au Parlement devrait ainsi représenter pour l'Etat un coût budgétaire direct de l'ordre de 300 millions € par an en rythme de croisière, auquel il convient d'ajouter le coût indirect lié aux inévitables délocalisations générées par la suppression des divers mécanismes de  plafonnement des impôts par rapport au revenu qui existaient jusqu'alors, cette réforme et estimé ici à 200 millions €.  En conséquence, le coût global de cette réforme peut être évalué à près de 500 millions € par an.

Deux importantes leçons émergent de ces conclusions. La première est qu'il est totalement absurde de parler "du plus gros cadeau aux riches du quinquennat" selon une formule qui a fait florès chez les - nombreux- détracteurs de la réforme, car le coût des mesures d'aménagement de la fiscalité des patrimoines de la loi TEPA,  à savoir l'allégement des droits de succession, au moins 2 milliards € par an, l'augmentation de la décote sur la résidence principale de 30 % à 20 % (plus de 100 millions € par an), le bouclier fiscal  (720 millions €) et la réduction d'ISF en cas de souscription au capital de PME au PME (700 millions €) représente approximativement un « cadeau » d'au moins 3,5 milliards € soit plus de 10 fois le coût direct de la réforme en cours et  près de 7 fois son coût global estimé ici.

La seconde est que, contrairement aux affirmations rassurantes du gouvernement, le financement de la réforme n'est pas du tout assuré. Les risques juridiques qui pèsent sur elle n'ont pas été sérieusement étudiés, la méthodologie de certaines estimations (comme l'exit tax qui cumule risques économiques et juridiques) est plus que douteuse, enfin le gouvernement raisonne comme si les contribuables ne s'adaptaient  pas à l'évolution de leur environnement (mécanisme éthologique pourtant amplement analysées et démontré depuis 150 par une kyrielle de chercheurs, de Darwin à Crozier), en l'espèce fiscal. Les réactions des contribuables à la réforme, qu'ils quittent le pays ou qu'ils modifient leur comportement (de donateurs  par exemple), pèseront inévitablement sur les recettes escomptées. Dans ces conditions, l'équilibre autoproclamé par les concepteurs de la réforme entre les deux objectifs d'équité sociale et d'efficacité budgétaire et économique reste plus que jamais le Graal, encore inaccessible, de la fiscalité  patrimoniale française.