Elie Semoun "On ne fait pas rire avec le bonheur"
A l'occasion de la sortie du DVD du film "Cyprien" de David Chahron le 25 août, Elie Semoun revient avec honnêteté sur les qualités et les défauts du film. Ayant participé à l'écriture du scénario, l'humoriste garde toujours à l'esprit qu'une comédie réussie repose sur la tristesse de la situation de départ.
L'Internaute : A quelles difficultés se heurte-t-on quand on passe d'un personnage de sketch à un héros de comédie ?
Elie Semoun : Ma principale difficulté à été de convaincre les autres auteurs que ce n'était pas le même personnage justement. La tentation est grande de se contenter d'enchaîner les gags. Mais le personnage ne pouvait pas se limiter au petit pervers des petites annonces. Il fallait lui apporter de la consistance, essentielle pour un long-métrage de cinéma. Il était primordial de sortir de la caricature simple en créant tout un environnement autour du personnage.
Le coup du "déo qui rend beau" et de la dualité entre les deux apparences d'un même personnage, ne serait-ce pas une idée de scénario un peu facile ?
Non, ce qui aurait été facile c'est justement de ne pas avoir d'idée de scénario du tout et faire des gags pour des gags. L'idée vient de mon envie de jouer deux personnages dans un même film. Avant d'être scénariste, je suis comédien et j'adore la composition. Et le défi du film est de rendre vraisemblable la transformation Cyprien / Jack Price. On s'est posé la question : qu'est-ce qu'il se passerait si Cyprien devenait beau ? Et tout l'élan du film part de là.
"Je n'aime pas la drôlerie sans profondeur, l'humour doit toucher pour être efficace", Elie Semoun
Cyprien était quand même plus "trash" au début des petites annonces. Comment expliquez-vous son évolution ?
Il est en effet l'un des personnages qui a le plus évolué. Mais on voulait insister sur son côté pathétique pour le film. Cyprien est quelqu'un de très seul qui est resté bloqué à l'adolescence. C'est un personnage très triste dans le fond et c'est ça qui le rend drôle. On ne fait pas rire avec le bonheur. Pour moi, c'est ça le principe d'une comédie réussie. Parvenir à être drôle avec un sujet qui ne l'est pas au départ. Je n'aime pas la drôlerie sans profondeur, l'humour doit toucher pour être efficace. Pour le film en tout cas, la direction que nous avons prise est celle de prendre un personnage repoussant et de le rendre attachant.
Ce n'est donc pas la production qui a édulcoré le personnage ?
Pas du tout, au contraire, j'avais carte blanche. Mais il faut dire que j'avais mon spectacle à l'époque qui me prenait beaucoup de temps. Je n'étais pas à 100% sur le scénario et c'est un regret car le message de tolérance du film manque un peu de finesse, il est trop explicite. Mais c'était ma première expérience en tant que scénariste et, pour des raisons de disponibilité, je n'ai pas pu m'investir comme je le voulais. Par contre je travaille en ce moment sur l'adaptation de "Mikeline" et j'envisage de me mettre à la réalisation et au montage pour, cette fois, maîtriser de bout en bout mon sujet.
Parmi tous les personnages des petites annonces, Cyprien est-il celui qui vous ressemble le plus ?
Quand j'étais adolescent, oui. Ne pas être assez aimé ou se sentir moche et complexé sont des étapes difficiles dans la vie. Cyprien représente l'adolescent qui parle tout seul dans sa chambre et s'invente des histoires. Jack Price quant à lui représente le passage à l'âge adulte et l'accès à la reconnaissance, ce que nous recherchons tous. Dès que l'on est reconnu pour ce que l'on fait, les choses deviennent plus faciles. Pour moi en tous cas, ça à changer beaucoup de choses. C'est Smaïn qui me disait au sujet de son rapport aux femmes : "Avant j'étais moche et maintenant je suis célèbre", c'est très vrai.