Bastien Vivès : ses BD pornographiques peuvent-elle être condamnées ?

Bastien Vivès : ses BD pornographiques peuvent-elle être condamnées ? BASTIEN VIVES. Une enquête préliminaire a été ouverte contre Bastien Vivès et deux maisons d'édition pour diffusion d'images pédopornographiques a-t-on appris le 6 janvier. Que risque l'auteur de BD ?

C'est une nouvelle étape qui est franchie dans l'affaire Bastien Vivès. L'auteur de bandes dessinées est visé par une enquête préliminaire pour diffusion d'images pédopornographiques a fait savoir le parquet de Nanterre. L'information judiciaire a été ouverte cette semaine, trois semaines après les vives polémiques autour de trois ouvrages du dessinateur de 38 ans. Trois plaintes ont été déposées contre l'artiste et deux maisons d'édition, Glénat et Les Requins marteaux qui ont publié les livres incriminés, dans le courant du mois de décembre pour diffusion d'images pédopornographiques" mais aussi "incitation à la commission d'agressions sexuelles sur mineurs" et "diffusion à un mineur de messages violents". Les derniers chefs n'ont pour le moment pas été retenus par la justice.

Que risque Bastien Vivès si ses BD sont jugées illégales ?

i les trois BD de Bastien Vivès décriées sont caractérisées comme des œuvres pédopornographiques à l'issue de l'enquête ouverte pour "diffusion d'images pédopornographiques" alors l'auteur pourrait encourir jusqu'à 75 000 euros d'amende et 5 ans de prison selon l'article article 227-23 du Code pénal. Mais si l'enquête s'étend aux autres chefs d'accusation repris par les différentes plaintes, l'auteur encourra des peines plus lourdes. En plus d'être jugées pédopornographiques, les planches de Bastien Vivès banalisent les abus sexuel sur mineurs d'après la plainte de l'association Innocence en danger qui dénonce "une provocation à la commission d'abus sexuels sur mineurs pour des personnes fragiles qui pourraient penser que de telles relations sont la norme". C'est là, un fait passible de 5 ans de prison et 45.000 euros d'amende.

Quelles BD de Bastien Vivès sont suspectées d'être pédopornographiques ?

Les trois œuvres signées Bastien Vivès qui font l'objet de l'enquête du parquet de Nanterre, sont les mêmes que celles qui faisaient parler d'elle, le plus souvent en de mauvais termes, en décembre 2022. Les Melons de la colères (2011) et La Décharge mentale (2018) issus de la collection "BD CUL" de Requins marteaux ainsi que Petit Paul (2018) sont les BD qui ne passe pas auprès du public, en particulier des associations de protection de l'enfance - dont une, l'IED, avait porté plainte - étudiée par la justice. Et les magistrats s'intéressent à des planches en particulier, celles qui représentent des scènes de sexe impliquant des enfants. Le livre de Bastien Vivès, La Décharge mentale couchent sur le papier l'histoire fictive d'un couple qui entretient des relations incestueuses avec leurs filles âgées de 18, 15 et 10 ans. Dans les deux autres romans graphiques, c'est le personnage de Paul, un jeune enfant doté d'un sexe à la taille disproportionnée qui est dessiné dans des scènes de fellation et/ou de "viol" opéré par son institutrice, sa sœur et sa prof de judo. Dans sa plainte déposée auprès de la procureure de la République de Paris, l'association conclut que "ces planches montrent bien des mineurs abusés ou exhibant leur intimité" et qu'à ce titre elles correspondent à des représentations pédopornographiques. La justice arrivera-t-elle aux mêmes conclusions ?

L'affaire Bastien Vivès

Les BD pornographiques de Bastien Vivès sont-elles illégales ?

Le caractère phonographique des trois BD mises en cause par la plainte de l'IED ne font nul doute. Bastien Vivès lui-même reconnaît que ses dessins ne sont pas adaptés à un public mineur et a rappelé dans un communiqué publié le 15 décembre que tous étaient vendus "sous blister, avec un avertissement et une interdiction aux moins de 18 ans". Mais parler de pornographie revient à contourner le problème car les planches de BD incriminées représentent des mineurs lors d'actes sexuels, pour certains incestueux, et donc illégaux, et pour d'autres possiblement réalisés sous la contrainte. L'association de protection de l'enfance voit des scènes de viol dans les pages du Petit Paul, par exemple.

Sans s'attarder sur l'illégalité des scènes représentées, le simple fait de dessiner des enfants dans des situations à caractère sexuel relève de la pédopornographie et tombe sous le coup de l'article 227-23 du Code pénal. Lequel punit "le fait, en vue de sa diffusion, de fixer, d'enregistrer ou de transmettre l'image ou la représentation d'un mineur lorsque cette image ou cette représentation présente un caractère pornographique". Et la loi ne prévoit aucune exception à ces représentations comme le souligne l'avocate d'IED et auteure de la plainte, Delphine Girard, dans Le Parisien. Selon elle l'article du Code pénal entend "une représentation assez large, qui concerne aussi les œuvres de l'esprit, les représentations de l'enfant qu'elles soient imaginaires ou non, photographiées ou dessinées, dans une situation de comportement sexualisée ou dès lors qu'il s'agit de rapport avec des adultes". Et Guillaume Beaussonie, professeur de droit pénal à l'Université de Toulouse, d'ajouter : "Le texte ne prévoit pas d'exception. Il n'y a pas d'hypothèse dans laquelle une exception artistique pourrait être autorisée".

Pourtant, Thomas Perroud, professeur en droit public à l'université Panthéon-Assas et co-délégué de l'Observatoire de la liberté de création, offre une autre interprétation de l'article 227-23. Auprès de Médiapart, il juge que "ce texte, nécessaire en ce qu'il vise à sanctionner des personnes exploitant la vulnérabilité d'un enfant en les forçant à réaliser des scènes pornographiques devant une caméra ou un appareil photo, devient problématique s'il vise également toutes les représentations relevant des arts plastiques (dessin, peinture, gravure et sculpture) qui se contentent de montrer". Le professeur reprend la ligne de défense de l'auteur selon laquelle "représenter la violence sexuelle subie par un enfant, par exemple, n'est pas nécessairement en faire l'apologie."

Les BD de Bastien Vivès protégées par la liberté d'expression ?

Et quid de la liberté d'expression ? C'est le principal argument utilisé par Bastien Vivès et par d'autres auteurs qui prennent la défense de leur confrère, papa du Petit Paul. Et à juste titre puisque comme le rappelle Thomas Perroud : "En matière de création et de diffusion des œuvres, la règle, c'est la liberté." La liberté d'expression est bien un droit essentiel, central dans les affaires qui touchent au domaine artistique et posé par plusieurs texte dont l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'Homme (CEDH). Cet argument est aussi repris par Agnès Tricoire, avocate à la cour de Paris et déléguée de l'Observatoire de la liberté de création, dont les propos sont retranscrits par Franceinfo et qui estime que si l'article 227-23 du Code pénal peut être utilisé, il doit l'être de façon "proportionnée" en fonction du degré de fiction de la représentation du mineur et selon l'intention de l'auteur. Et c'est là que le bât pourrait blesser. 

Si Bastien Vivès nie dans son communiqué du 15 décembre toute mauvaise intention derrière ses dessins et ses BD, les plaintes déposées contre lui s'appuient aussi sur des déclarations douteuses de l'auteur. Notamment celle faite dans une vidéo pour le média Madmoizelle en 2017 : "Moi, l'inceste à m'excite à mort. [...] Vu que je ne peux pas faire d'inceste dans la vraie vie et que je n'ai pas de grande sœur pour pouvoir faire ça, je fais ça dans mes livres." La question est donc la suivante : le juge s'il est saisi de l'affaire cernera-t-il l'intention de l'auteur et le sens des images décriées ? Delphine Girard, avocate d'IED anticipe dans Médiapart à nouveau : Je pense que Bastien Vivès va expliquer au juge qu'il a grossi le trait, que ça relevait de l'humour ou que ça s'inspirait des mangas. Mais, face à la crudité et la cruauté des scènes, ça ne tient pas. [...] Il n'y a pas de liberté artistique dans ce cas car ces images montrent clairement des mineurs subissant des abus sexuels".

A noter aussi que si la liberté d'expression est reine, l'exercice de ce droit peut-être limité notamment par "la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale", comme prévoit également l'article 10 de la CEDH. Or, les questions juridiques et morales sont celles qui sont soulevées par l'affaire Vivès.

Des questions juridiques, mais aussi morales sur l'affaire Bastien Vivès

La polémique autour de Bastien Vivès est complexe et se joue sur plusieurs plans. Si d'un point de vue artistique l'auteur et certains de ses confrères soutiennent la liberté d'expression, l'argument certes fort entre en opposition avec ce qui est légal ou non de représenter, comme expliqué plus haut. Il appartient à la justice, si elle se saisit de l'affaire après la plaine d'IED visant Bastien Vivès, de trancher sur ce point. Mais d'autres questions soulevées sont plutôt d'ordre moral : est-il correct ou non de représenter des mineurs dans des scènes à caractère sexuel comme l'auteur du Petit Paul le fait ? Ces dessins alimentent-ils ou incitent-ils à des actes pédocriminels ?

Si pour les associations qui luttent contre les violences sexuelles et l'inceste voient tout le mal que pourrait causer ces dessins entre les mains de victimes ou de personnes susceptibles d'y voir une forme de normalité ou encore d'approbation, d'autres estiment qu'un dessin ne peut être la cause d'un mal ou d'une pulsion amorale. Selon ces derniers, l'image ne fait qu'exprimer et parfois soulager ces pulsions pour éviter que le désir ne se réalise dans la vraie vie et ne peut en aucun cas l'inciter. Tous ces sujets et ces questions sensibles avaient été soulevés en 2018 avec un signalement classé sans suite. Une personne qui avait "connu personnellement des victimes d'inceste" s'était dite préoccupée "par la possible utilisation de ce matériel pédopornographique par des agresseurs, dans le but de convaincre l'enfant que la pédocriminalité, c'est bien, c'est normal, c'est 'fun'", rapporte Franceinfo. Mais en "l'absence d'infraction", le signalement n'avait pas abouti.

Un démenti et des excuses pour Bastien Vivès

Si tout semble contre lui, même certaines de ses propres déclarations, Bastien Vivès a fini pas s'exprimer sur la polémique. Dans un communiqué aux airs de mea culpa publié le 15 décembre sur son compte instagram, l'auteur de BD dément fermement les accusations qui le visent et "condamne la pédocriminalité, ainsi que son apologie et sa banalisation" tout comme "la culture du viol et les violences faites aux femmes". L'homme défend aussi son travail et ses planches qui "évoque[nt] la naissance du sentiment amoureux et du désir" dans une forme d'expression qui relève du "genre burlesque humoristique". Un ton que Bastien Vivès dit affectionner et reprendre régulièrement en interview, l'on peut imaginer qu'il fait ici référence à sa sortie dans Madmoizelle précitée. "A aucun moment je n'ai voulu blesser des victimes de crimes et abus sexuels", a-t-il pris soin d'ajouter. Quant à la diffusion de contenus pornographiques accessible aux mineurs, l'artiste précise que ses "quatre livres dits 'pornographiques' sont vendus en librairie sous blister, avec un avertissement et une interdiction aux moins de 18 ans".