Qu'est-ce que le "prix plancher" ? Et pourquoi fait-il débat ?

Qu'est-ce que le "prix plancher" ? Et pourquoi fait-il débat ? Emmanuel Macron a annoncé la mise en place de prix plancher pour les produits agricoles, mais la mesure ne convainc pas tout le monde : les agriculteurs craignent des prix trop bas et les industriels des prix trop hauts...

C'est la mesure "la plus engageante qu'on ait jamais faite" pour une politique agricole selon Emmanuel Macron : la mise en place d'un prix plancher. Le projet a été annoncé par le chef de l'Etat lui-même lors de l'inauguration du Salon de l'agriculture le samedi 24 février et ne cesse de faire réagir depuis. Sur le papier et d'après l'exécutif ces prix planchers "permettront de protéger le revenu agricole et de ne pas céder à toutes les pratiques les plus prédatrices". La question du revenu est une des revendications des agriculteurs en colère, particulièrement pour la Confédération paysanne qui souhaite obtenir un prix minimum et juste, capable de rémunérer les agriculteurs.

Concrètement, l'objectif est de déterminer pour chaque filière des prix en dessous desquels les industriels de l'agro-alimentaire ne pourront pas descendre lors des négociations annuelles. Ces prix ne doivent pas sortir de nulle part, mais être pensés en fonction des coûts de production engagés pour produire par exemple un kilo de viande ou mille litres de lait, mais aussi des charges qui pèsent sur les exploitants. De tels indicateurs ont été créés par la loi Egalim 2, mais ne sont pas toujours appliqués et respectés. Le gouvernement souhaite donc que les indicateurs existants soient repensés ou complétés et veut "responsabiliser chaque interprofession pour faire de leur indicateur de référence, la référence des contrats agricoles" comme l'a indiqué la ministre déléguée Agnès Pannier-Runacher sur le plateau de Public Sénat, le lundi 26 février. Emmanuel Macron a toutefois précisé que les indicateurs seront "opposables" par les acteurs de l'alimentation, ce qui pourrait à nouveau mettre en question le caractère obligatoire.

Les risques d'un prix trop bas...

La logique du prix plancher parait toutefois difficile à mettre en place tout en contentant tous les acteurs de l'alimentation. Les agriculteurs eux-mêmes font preuve de scepticisme sur la manière de calculer ces fameux prix planchers. "Comment fixer ce prix plancher ? Entre un producteur de lait qui a son élevage en montagne et l'autre en plaine, les coûts ne sont pas les mêmes. On choisit lequel ?" questionne l'administrateur de la FNSEA, Sébastien Poutreau, dans Le Figaro. Selon la région de production, la taille de l'exploitation ou encore les investissements faits sur l'exploitation, les coûts de production ne sont pas du tout les mêmes. Le risque c'est qu'il y ait autant de prix planchers que de type d'élevage" anticipe Anne-Catherine Loisier, sénatrice centriste de Côte d'Or, dans Le Parisien soulignant l'absence d'accord dans les filières sur "les critères des coûts de production".

La fixation et l'uniformisation, visiblement difficiles, des prix planchers ne sont pas les seules craintes de la FNSEA. Le premier syndicat agricole redoute qu'une fois déterminé le prix plancher soit décorrélé des fluctuations des coûts de production, notamment en cas d'augmentation de ces derniers, et finisse par desservir les agriculteurs. La Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL) affiliée au syndicat craint que le prix devienne un "prix plafond" qui fasse stagner la rémunération des producteurs. La mesure va "complètement à l'encontre de ce qu'on a bâti jusqu'à maintenant" a affirmé le président de la FNPL, Thierry Roquefeuil, en conférence de presse ce mardi.

...et ceux d'un prix trop haut

La solution pour éviter d'avoir un prix plancher trop faible serait de s'aligner sur les standards les plus élevés, mais la production française tomberait alors dans un autre écueil : celui de perdre sa compétitivité au niveau international. "Si les prix administrés sont trop élevés par rapport à ceux internationaux, on n'exportera plus. Et les importations vont augmenter", prévient la sénatrice Anne-Catherine Loisier.

Une issue redoutée par quelques géants de l'agroalimentaire comme le directeur général de Lactalis France, Jean-Marc Bernier, qui craint de voir baisser les exportations de lait, dont la moitié de la production est destinée à l'exportation comme le rapporte Le Point. La France pourrait perdre ce marché si les prix planchers augmentent trop les coûts et ne peuvent plus rivaliser avec la concurrence internationale. Le problème se poserait aussi avec les céréales dont la France est une importante exportatrice.

Le niveau du prix plancher n'est pas la seule question que pose la mesure souhaitée par Emmanuel Macron, il y a aussi celle du respect de la concurrence. "Quand on décide un prix c'est normalement contraire au droit de la concurrence", a expliqué la directrice de la Coopération laitière, Carole Humbert, lors d'une conférence de presse au Salon de l'agriculture le 26 février. "Ou alors ça veut dire [...] que l'agriculture sort des lois du commerce, mais cette autorisation aujourd'hui, on ne l'a pas. Les biens agricoles et les biens alimentaires sont soumis aux mêmes règles que n'importe quel produit commercialisé", a-t-elle ajouté. Des accords de prix portant sur des produits agricoles comme le jambon ou des légumes ont déjà été épinglés par l'Autorité de la concurrence. La mesure voulue par Emmanuel Macron pourrait-elle changer les règles de la concurrence ?