Éxécution provisoire contre Marine Le Pen : qu'est-ce que c'est ? Pourquoi a-t-elle été prononcée ?

Éxécution provisoire contre Marine Le Pen : qu'est-ce que c'est ? Pourquoi a-t-elle été prononcée ? La peine d'inéligibilité de Marine Le Pen a été prononcée par le tribunal, avec exécution provisoire. Explications sur une mesure technique qui change tout pour le RN.

C'est une expression juridique qui était jusque-là très confidentielle, mais l'actualité lui confère un éclairage si important qu'elle devrait intégrer le vocabulaire de la vie politique pour longtemps. "Exécution provisoire." Cette expression désigne une décision accessoire prononcée par un tribunal de première instance, actant immédiatement l'exécution du jugement rendu, malgré les recours que le condamné aurait engagés. Dit autrement : même en cas d'appel, celui-ci ne suspend pas la condamnation prononcée avec exécution provisoire.

La peine d'inéligibilité de Marine Le Pen, reconnue coupable de détournement de fonds publics dans l'affaire des assistants parlementaires du Front national (devenu Rassemblement national, RN), lundi 31 mars, est assortie de cette exécution provisoire. L'ancienne présidente du parti d'extrême droite a aussi été condamnée à une peine de quatre ans d'emprisonnement dont deux ans ferme, aménageable avec un bracelet électronique et à 100 000 euros d'amende.

Dans le cas de Marine Le Pen, l'exécution provisoire de l'inéligibilité l'empêche de se porter candidate à l'élection présidentielle. Et les juges, qui ont sans doute bien mesuré l'impact politique qu'une telle décision engendrerait, ont pris soin de s'expliquer.

Dans son long jugement de 152 pages, la présidente du tribunal, Bénédicte de Perthuis, a estimé que le choix de prononcer l'exécution provisoire relevait d'une "délicate conciliation" avec le droit de faire appel. Elle avance toutefois un argument majeur qui a fait pencher la balance : le risque de "récidive" pour Marine Le Pen de procéder à des délits du même type. Pourquoi ? Parce que l'ancienne députée européenne comme les autres condamnés pour détournement de fonds publics "n'ont exprimé aucune prise de conscience de leur violation de la loi et de l'importance de la probité".

"Vous êtes capable de récidiver"

"Ce que les juges relèvent, c'est qu'à aucun moment, elle n'a reconnu avoir fait quelque chose de discutable, analyse ce mardi 1er avril Michel Sapin, ancien ministre de la Justice, dans les colonnes du Parisien. Elle s'est placée de fait dans l'état d'esprit de pouvoir continuer. Elle aurait pu reconnaître une erreur. Elle a adopté une autre stratégie, considérant que durant 20 ans, le Rassemblement national n'a fait que des choses parfaitement normales. Le raisonnement du juge revient donc à dire : "Puisque vous n'avez aucune conscience de ce que vous avez fait, vous êtes donc capable de récidiver".

L'ancien ministre, rappelle par ailleurs que "la loi Sapin 2 ne crée pas d'inéligibilité automatique". "Elle n'a d'ailleurs pas été directement appliquée dans ce procès puisque les faits reprochés étaient antérieurs à 2016. Cette loi oblige simplement le juge à examiner une peine d'inéligibilité. [...] L'exécution provisoire n'a pas été créée par la loi Sapin 2. Le dispositif existe depuis très longtemps. Si le juge perçoit un risque important de récidive, il peut décider de l'exécution provisoire. C'est une disposition qui est à la totale discrétion des juges".

La juge qui a condamné Marine Le Pen a-t-elle pris une décision "disproportionnée" ? Encore une fois, la loi autorise les juges à l'exécution provisoire, selon la gravité des faits. Interrogé sur cette mesure qui serait prise sur des peines d'inéligibilité - pour un mandat local -, le Conseil constitutionnel a émis vendredi 28 mars une réserve d'interprétation demandant au juge un "contrôle de proportionnalité" pour que soient pris en considération le droit de l'électeur. Mais le Conseil constitutionnel estime aussi qu'"il revient au juge, dans sa décision, d'apprécier le caractère proportionné de l'atteinte que cette mesure est susceptible de porter à l'exercice d'un mandat en cours et à la préservation de la liberté de l'électeur".