Jumelage de Strasbourg avec un camp palestinien : la maire répond aux critiques
Jeudi 22 mai, la maire écologiste de Strasbourg, Jeanne Barseghian, a annoncé à l'AFP un projet de jumelage avec le camp palestinien d'Aida, en Cisjordanie, "en soutien aux palestiniens". Dans le même temps, elle a gelé le jumelage en cours depuis 1991 avec la ville israélienne de Ramat Gan. Elle a justifie ce choix considérant "que les conditions ne sont pas réunies pour qu'on puisse l'investir", selon elle rapporte Le Parisien. Elle précise que "c'est une porte qui pourra se rouvrir".
Le jumelage était de plus en plus contesté par des militants pro-palestiniens, qui ont manifesté lors du conseil municipal du 19 mai. Fondée en 1921 une organisation sioniste, Ramat Gan est devenue un centre économique majeur d'Israël. Elle abrite la plus grande bourse aux diamants du monde, la tour Moshe Aviv (la plus haute du pays), le stade national et le plus grand zoo d'Israël, le Safari. La maire de Strasbourg a décidé de suspendre le jumelage avec la ville israélienne pour se tourner vers le camp de réfugiés palestiniens d'Aïda, en Cisjordanie, à deux kilomètres au nord de Bethléem. "Il existait des liens préexistants, mais je souhaite qu'ils deviennent officiels", a déclaré l'écologiste à Rue 89.
Elle veut accompagner ce jumelage d'une aide humanitaire d'urgence et favoriser, à moyen et long terme, des initiatives citoyennes, sportives et culturelles, d'après Les Dernières Nouvelles d'Alsace. "L'occasion pour la ville de Strasbourg de réitérer son attachement profond à une paix juste et durable, qui passe nécessairement par le cessez-le-feu immédiat et la fin du siège de Gaza, ainsi que la libération des otages et prisonniers détenus de façon arbitraire par l'ensemble des parties." a-t-elle estimé, comme rapporte Valeurs Actuelles. Le camp, fondé en 1950, abrite le Al Rowwad Cultural and Theatre Training Center et se trouve à proximité d'un nouvel hôtel 4 étoiles. En 2009, le pape y a effectué une visite, et l'on peut y voir une œuvre de Banksy sur la barrière de séparation israélienne. En France, Aïda est jumelé avec la ville de Nogent-sur-Oise depuis 2009.
Une décision controversée
Mais plusieurs associations juives, dont le Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France), condamnent cette décision : "La ville de Strasbourg rompt ici avec son rôle historique et cède à l'intimidation et aux pressions exercées dans notre ville par des groupuscules extrémistes depuis des mois", a écrit l'association dans un communiqué. La Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (Licra) a salué le jumelage avec le camp d'Aïda, mais a qualifié de "regrettable" le gel du partenariat avec la ville israélienne.
Les critiques se sont intensifiées lorsque, quelques jours après l'annonce, la maire de Strasbourg Jeanne Barseghian a posé souriante, coiffée d'un keffieh (pièce de coton noir et blanc devenu l'emblème des Palestiniens) et tenant la "carte de Palestine" qui englobe Israël sans l'identifier, la Cisjordanie et Gaza, deux cadeaux offerts par une délégation palestinienne du camp d'Aida en visite à Strasbourg. Pour Bruno Benjamin, l'ancien président du Conseil Représentatif des Institutions Juives de France (CRIF) de Marseille : "C'est plus qu'une provocation : c'est une prise de position politique assumée, un alignement idéologique dangereux", a-t-il écrit sur X.
"C'est l'adhésion implicite à un projet de destruction, celui d'une vision où le peuple juif serait à nouveau nié, déplacé, effacé", a regretté la conseillère municipale socialiste Anne-Pernelle Richardot sur son compte X. "Ce sont des actes extrêmement choquants et partisans, qui font que Strasbourg n'est pas en train d'exporter un message de paix mais d'importer un conflit sur notre territoire", a fustigé le conseiller municipal LR Jean-Philippe Vetter auprès de France 3.
À la suite de la publication des photos, la Licra a annoncé, ce mardi 27 mai, la suspension d'une projection documentaire prévue le 3 juin en partenariat avec la Ville de Strasbourg. "Le militantisme aux accents antisionistes ne nous paraît ni compatible avec le message d'espoir qui doit être porté auprès de la jeunesse, ni avec les valeurs universalistes et antiracistes que défend notre association", peut-on lire dans un communiqué, appelant la maire à "clarifier la situation" en "désavouant ce cadeau empoisonné", en référence au keffieh et à la carte.
Interrogée sur cette photo publiée sur ses réseaux, la maire de Strasbourg déplore "une instrumentalisation politique". "Le keffieh et la carte sont des cadeaux protocolaires, il est donc normal que je les accepte et que je les montre. Ce que mes opposants oublient de dire, par ailleurs, c'est que mon cadeau était un pavé de la paix, avec le mot paix écrit dans toutes les langues du monde."
La maire de Strasbourg répond aux critiques
Dans un communiqué publié sur sa page Facebook après la rencontre, Jeanne Barseghian a rappelé le statut symbolique de sa ville : " Strasbourg est la preuve qu'il ne faut jamais désespérer de la paix : d'un champ de bataille, nous sommes devenus la ville de la réconciliation. " a cité le The Times of Israël.
Un message partagé sur le fond par plusieurs élus d'opposition, mais pas sur la forme. Dans une lettre ouverte, Pierre Jakubowicz (Centristes et Progressistes), Catherine Trautmann (ancienne maire socialiste) et Jean-Philippe Vetter (Union de la Droite et du Centre) regrettent que ce jumelage n'ait pas été mené " de manière réfléchie et construite", notamment avec une collectivité comme Bethléem, partenaire de Strasbourg depuis 2018.
Selon leurs propos rapportés par The Times of Israel, la maire a préféré " un jumelage improvisé avec une structure associative du camp d'Aïda " et a " arboré le keffieh comme un étendard militant " en brandissant une carte où " Israël avait purement et simplement disparu ". Ils l'accusent d'avoir "contribué à importer ce conflit dans notre ville" pour un " cynisme électoral [qui] ne trompe personne ". Ils réclament le rétablissement des liens avec Ramat Gan, un projet de jumelage " sérieux " avec Bethléem, ainsi qu'une clarification de ses positions.
Face aux critiques, Jeanne Barseghian a de nouveau réagi sur France 3 : "Je prends ma responsabilité en tant que maire d'une ville européenne comme Strasbourg, et je pense que tout responsable politique dans la situation internationale que l'on connaît, se doit de prendre position, affirme-t-elle. Je ne peux pas être sourde au dernier rapport du Conseil de l'Europe qui évoque un risque génocidaire à Gaza. On est à un moment de bascule. Oui, je m'insurge contre ce que vivent les habitants de Gaza, et ça me paraît tout simplement relever de ma responsabilité. " Une délibération doit être soumise au vote au conseil municipal le lundi 23 juin pour formaliser ce jumelage.