Dominique Le Guludec (HAS) : "La stratégie qui consiste à mixer les vaccins va s'affiner"
Dans une interview accordée à Linternaute.com, Dominique Le Guludec, présidente de la Haute autorité de santé (HAS), fait savoir qu'il est envisagé de mixer deux vaccins de laboratoires différents : un pour la première dose, un autre pour la deuxième.
Linternaute.com. 60% des Français estiment que la campagne de vaccination dans le pays est trop lente, selon un sondage Keskst CNC . Ils ont raison ?
Dominique Le Guludec. Le problème de la vaccination aujourd'hui, c'est que le monde entier a besoin de vaccins. On savait d'emblée que les approvisionnements ne nous permettraient pas de couvrir toute la population en même temps. On a donc priorisé en fonction des caractéristiques des vaccins et des risques que présentent les individus. Pour l'instant, la stratégie vaccinale, dans la mesure où on ne sait pas encore quel vaccin protège contre la transmission du virus, est faite pour protéger les personnes des formes sévères et pour éviter de saturer les services de santé, le tout avec un nombre limité de vaccins.
"Tous les vaccins disponibles en France sont très efficaces, y compris celui d'AstraZeneca."
Et encore, nous avons beaucoup de chance puisque tous les vaccins disponibles en France sont très efficaces, y compris celui d'AstraZeneca. Donc je dirais que par rapport au ressenti, au désir d'être débarrassé de ce virus, c'est trop lent effectivement, mais par rapport aux réalités, c'est une prouesse d'en être là aujourd'hui.
Ce lundi, la HAS a donné son feu vert à la vaccination des plus de 65 ans avec le vaccin AstraZeneca. Pourquoi avoir attendu et surtout, est-ce une décision prise essentiellement face à l'urgence d'accélérer la vaccination ?
Non pas du tout. Nous avions, début février, donné un avis favorable sur ce vaccin, à la fois sur l'efficacité et la tolérance. Le problème, c'est que les informations sur les plus de 65 ans manquaient, donc nous ne pouvions pas valider ce vaccin pour cette tranche d'âge. Une étude écossaise a permis d'obtenir davantage de données et nous en attendons d'autres de la part des Américains, qui sont en train de réaliser des essais cliniques sur les personnes âgées. Mais les informations venues d'Ecosse étaient suffisamment fiables pour un avis favorable de notre part sur la question des plus de 65 ans. Et tout récemment, des données anglaises nous sont parvenues, couvrant 7,5 millions de personnes de plus de 70 ans et délivrant également de très bons résultats sur la prévention des hospitalisations, réduites à hauteur de 80% grâce au vaccin AstraZeneca.
L'étude écossaise lève des interrogations sur l'efficacité de ce vaccin sur les sujets âgés. Mais cela ne dit rien de l'efficacité sur les variants sud-africain et brésilien, tout simplement car ces deux souches sont très peu présentes en Ecosse…
Oui, tout à fait. Cette étude révèle une efficacité sur le variant anglais, qui reste le plus menaçant en France. La propagation du variant sud-africain reste encore très limitée dans notre pays et il n'est pas certain qu'il se propage, en tout cas à court terme. Bizarrement, lorsqu'il y a beaucoup de variants anglais sur un territoire, on s'aperçoit qu'il y a moins de sud-africains, à tel point qu'on se demande s'il n'y a pas une compétition entre les deux. Si dans trois mois, le variant sud-africain venait à s'étendre plus largement en France, alors il y aura de nouvelles stratégies à mettre en place, notamment grâce aux vaccins actuels qui sont en train de se transformer et cet été, nous aurons des vaccins ARN adaptés.
Même le vaccin AstraZeneca, qui ne fonctionne pas avec la stratégie de l'ARN, est en train d'être adapté au variant sud-africain. Il y aura des nouvelles versions. Mais je le répète, il est loin d'être certain que nous soyons envahis par le variant sud-africain dans les prochains mois, loin de là. Et puis enfin, il y a cette stratégie qui consiste à mixer les vaccins : faire une première dose de l'un et une deuxième avec un autre. Les tests sont en cours et cette stratégie va s'affiner dans les semaines qui viennent.
Vous préconisez désormais que la vaccination soit réalisée par les pharmaciens, infirmiers et sages-femmes. Mais il y a des réticences… Certaines voix s'élèvent pour mettre en avant un éventuel risque qu'une vaccination en pharmacie, par exemple, pourrait représenter.
"Il faut absolument que les médecins et les pharmaciens s'organisent pour participer efficacement à la vaccination."
Les pharmaciens, tout comme les sages-femmes, participent déjà largement à la campagne de vaccination contre la grippe. Ils sont formés pour cela, sont tout à fait habilités et donc la HAS considère qu'il n'y a aucun problème de compétences pour ces corps de métier, tant au niveau de la prescription des vaccins que de l'administration des doses. En revanche, pour les patients victimes de comorbidités, il vaut mieux passer par un médecin. Très rapidement, à partir d'avril, nous allons disposer de beaucoup plus de doses et les bras vont nous manquer. Il faut donc absolument que les médecins et les pharmaciens s'organisent pour participer efficacement à la vaccination.
Comment expliquez-vous que la France ait réceptionné près de 8 millions de doses de vaccin, selon les chiffres du ministère de la Santé, mais qu'elle n'en a utilisé que 4,5 millions pour l'heure, premières et deuxièmes doses confondues ?
Tout ce qui est opérationnel reste du domaine du ministère, il faudrait leur poser la question. Je ne saurais pas vous dire si ces chiffres sont exacts ou pas. Tout ce que je peux vous dire, c'est que la campagne se passe bien et les chiffres qui avaient été annoncés se tiennent.
Tous les Français qui le souhaitent vaccinés en septembre, c'est tenable ?
"Le but reste de vacciner l'ensemble de la population qui le souhaite et ça sera fait d'ici l'été."
Quand les 15 millions de personnes à risque seront vaccinées, on aura franchi une étape importante puisque l'on aura soulagé les soignants et le système de santé. Mais bien entendu, le but reste de vacciner l'ensemble de la population qui le souhaite et ça sera fait d'ici l'été. Jusqu'à présent, le programme est tenu, même si on est jamais à l'abri d'un aléa industriel, mais les perspectives sont bonnes.
Le gouvernement a établi une liste de départements en vigilance renforcée. Faut-il acheminer davantage de vaccins dans ces zones où l'épidémie flambe, quitte à en acheminer moins ailleurs ?
Ce sont des décisions gouvernementales et politiques. La HAS se contente d'être consultée et se prononce notamment sur qui doit être vacciné, avec quel vaccin, et sur les performances de chaque vaccin, etc. Alors effectivement, il semblerait qu'il y ait eu plus de doses acheminées en Moselle par exemple ces dernières semaines, ce qui paraît normal compte tenu de la situation sanitaire dans ce département.
Le rythme actuel de la vaccination permettra-t-il de faire retomber la pression hospitalière rapidement ?
"Le rythme actuel de la vaccination ne va pas rester en l'état, il va s'accélérer."
Le rythme actuel ne va pas rester en l'état, il va s'accélérer : en mars on va vacciner plus et en avril beaucoup plus. Cela va soulager l'hôpital, regardez ce qui se passe actuellement en Angleterre où une baisse majeure des décès et des hospitalisations des personnes âgées est à noter. En France, c'est encore un peu tôt pour bénéficier des effets de la vaccination sur l'hôpital, mais avec 82% des résidents d'Ehpad vaccinés, on observe déjà que la mortalité baisse dans ces structures.
Où en est-on dans les avancées sur l'autorisation du vaccin Johnson&Johnson ? On le dit plus pratique car nécessitant une seule dose, mais confère-t-il la même immunité que les autres vaccins à double-dose ?
Les laboratoires nous déposent leurs dossiers en même temps que l'Agence européenne du médicament (EMA), ce qui nous permet de les analyser en amont de l'autorisation à échelle européenne et ainsi donner notre avis dans la foulée. Nous avons déjà une partie du dossier Johnson&Johnson et les analyses sont en cours et bien entendu nous attendrons l'EMA pour nous prononcer, mais effectivement, l'arrivée de ce vaccin est attendue notamment grâce à sa praticité et sa facilité d'usage. Sur ses performances, j'attends les analyses en cours, je ne peux pas en dire plus pour le moment.
Les tests salivaires à l'école, en place depuis le 1er mars, suffiront-ils à casser les chaines de contaminations en milieu scolaire et ainsi éviter la tant redoutée fermeture des écoles ?
La fermeture des écoles, c'est vraiment ce que décide le gouvernement en dernier recours, car tout le monde a compris que cette décision était vraiment préjudiciable. Alors il convient de tester le plus possible, ce qui fait partie de l'arsenal. Bien entendu, les tests salivaires sont une bonne chose et cela doit être répandu afin de détecter autant que possible les foyers de contaminations.