Grève des éboueurs à Paris : à quoi s'attendre ?

Grève des éboueurs à Paris : à quoi s'attendre ? La CGT appelle les éboueurs parisiens à se mettre en grève à partir du 13 avril, la veille du verdict du Conseil constitutionnel sur la réforme des retraites. Mais la réticence est de mise du côté des salariés face à un mouvement déjà coûteux en mars.

[Mise à jour le 12 avril à 08h56]  Paris craint de revivre sous les poubelles. Le mois de mars 2023 a été marqué par une longue grève dans la plupart des arrondissements de la capitale. Résultat, la mairie de Paris estimait que 10 500 tonnes d'ordures jonchaient les rues de la capitale au pic du mouvement.

Après une brève pause à partir du 29 mars, la CGT des éboueurs parisiens a déposé un préavis de grève à partir du jeudi 13 avril 2023.  La crainte de revoir ces centaines de tonnes de poubelles sur les trottoirs est réelle mais certains grévistes ont choisi de ne pas continuer leur mouvement en avril. La faute à une fiche de paie diminuée par l'effort de grève dans un contexte économique délicat. C'est le cas des salariés de Pizzorno, l'un des opérateurs privés actifs dans les 10e, 15e et 18e arrondissements. Après deux semaines d'arrêt, ils ont repris le travail grâce à un compromis avec leur direction. Les salaires seront ainsi augmenté de 5% et une prime quotidienne est relevée à 2,50 euros, contre 1,75 euro auparavant Dans le reste du pays, certaines métropoles sont encore touchées par des grèves d'éboueurs comme à Saint-Etienne et La Rochelle.

L'ensemble de Paris sera-t-il concerné par la grève des éboueurs ?

Le dernier mouvement de grève parisien a duré du 6 mars au 29 mars 2023. La diminution progressive du nombre de grévistes a provoqué l'arrêt de l'action des syndicats. La grève du 13 avril est à durée indéterminée selon la CGT mais cela dépendra donc du taux de grévistes. Le mouvement n'a pas changé de fusil d'épaule : demande du retrait de la réforme des retraites, mais également un retour à la retraite à 60 ans maximum. Même si, pour rappel, les éboueurs partent à la retraite avant 62 ans au titre de la pénibilité de leur métier. Leur âge d'ouverture des droits est actuellement fixé à 57 ans et sera progressivement décalé à 59 ans avec la réforme. La CGT souhaite aussi une hausse des pensions pour tout le personnel de leur filière.

Les agents de la mairie ne gèrent pas l'ensemble de la ville. Seuls les quartiers suivants sont concernés par le préavis de grève : les 2, 5, 6, 8, 9, 12, 14, 16, 17 et 20èmes arrondissements. Le reste de Paris est partagé entre 4 prestataires privés. L'arrêt des collectes n'est pas la seule carte des grévistes. Le blocage des dépôts de bennes est primordial pour paralyser l'ensemble de la gestion des déchets dans la capitale. D'ailleurs, de nombreuses personnes présentes en mars pour occuper ces sites stratégiques n'étaient pas éboueurs.

Quelle est la situation dans le reste du pays ?

Plusieurs grandes villes ont vécu un épisode similaire à la capitale. Depuis la matinée du 11 avril, les éboueurs de La Rochelle ont débuté un mouvement de grève en n'assurant qu'un service minimum avec seulement 3 camions pour l'ensemble de l'agglomération. Ce mouvement intervient dans un contexte de renouvellement du marché local de la collecte des déchets. Les salariés ont peur de perdre leurs avantages acquis (prime de casse-croûte, prime de salissure, prime de nuit) car leur entreprise n'a pas été présélectionnée pour conserver son contrat.

Du côté de Saint-Etienne, les éboueurs en sont à 12 jours de grève. Les négociations avec la métropole n'ont pour le moment pas abouti alors que 70% des effectifs sont grévistes. Les forces de l'ordre sont intervenus le 4 avril à Nantes pour déloger des agents grévistes de l'un des deux incinérateurs de déchets de la métropole.  Le site était occupé depuis trois semaines. En conséquence, il faudra plusieurs semaines pour retrouver des rues en parfait état.

Un peu plus au nord du pays, Rennes a vécu une situation identique. Laurent Hamon, vice-président délégué aux déchets à Rennes Métropole, estime que les habitants devront attendre "au moins trois semaines" pour capter la totalité des déchets présents sur les trottoirs. Le Havre a aussi vu sa gestion des déchets être paralysée. Le 31 mars dernier, la police nationale est intervenue pour déloger des manifestants du centre technique de la Communauté urbaine. Sur place, seulement 14 bennes sur 25 ont pu à nouveau tourner, les 11 autres ayant été dégradées. Dans les autres villes touchées au début du mois de mars comme Metz, Nice ou Montpellier, la situation est rapidement revenu à la normale en moins d'une semaine.

Pourquoi le 13 avril et pas avant ?

La grève est annoncée 8 jours après la prochaine manifestation intersyndicale. La date est symbolique : le mouvement débutera la veille de la décision du Conseil constitutionnel sur la validité ou non de la réforme des retraites. Le but est donc de faire pression à un moment stratégique. Le verdict des Sages est la dernière carte des opposants à la réforme pour la voir annuler.

Le droit de grève dans la fonction publique prévoit d'annoncer toute grève 5 jours avant son déclenchement. Pour les éboueurs de branches privées, pas d'obligation d'annoncer leur mouvement en avance. Ils sont cependant tenus d'informer leur employeur des revendications de leur grève.

De nouvelles réquisitions en vue ?

En cas de prolongement du mouvement, la question de la réquisition de personnels risque de revenir rapidement. La mairie de Paris, l'Etat et la préfecture de la capitale risquent de s'affronter sur ce dossier, d'autant qu'il n'est pas exclu que les détritus s'accumulent considérablement ; le seuil des 10 000 tonnes de déchets encombrant les rues parisiennes a marqué les esprits. Les opposants à la majorité municipale n'ont cessé de fustigé les amoncellements détériorant l'image de la capitale.

En mars, confrontés à la grève, les services de l'Etat et la municipalité ont bataillé pour savoir comment réagir. Face au refus de la maire Anne Hidalgo de mener des réquisitions de personnels grévistes, le préfet de police de Paris, Laurent Nunez, s'en est chargé. Son poste lui accorde ce droit en cas de trouble au "bon ordre, à la salubrité, à la tranquillité et à la sécurité publique". Le préfet a agi sur ordre de Gérald Darmanin, ministre de l'Intérieur.

Cette réquisition était justifiée pour plusieurs critères. Pour le risque d'incendies déjà. Lors des nombreuses manifestations du mois de mars, de nombreux feux se sont créés grâce aux nombreux combustibles que représentaient les montagnes de détritus. Le facteur sanitaire a rapidement été pris en compte. Loin de l'imaginaire du Paris de Ratatouille, les images de milliers de rats se nourrissant des tonnes de déchets dans les rues de Paris ont choqué. Ces rongeurs peuvent aussi véhiculer des maladies. Le préfet s'en est ému dans une lettre adressée à Anne Hidalgo, le 15 mars, pointant l'entrave des déchets au "cheminement sécurisé des piétons, en particulier celui des personnes à mobilité réduite".

Que risque un gréviste refusant sa réquisition ?

Lors d'une réquisition, un agent gréviste ne reprend pas son travail normalement, mais celle-ci le contraint à régler le problème justifiant cet appel. En cas de refus, il commet un délit punissable de 6 mois d'emprisonnement et de 10 000 euros d'amende, selon l'article L2215-1 du Code général des collectivités territoriales. Ce délit peut être attaqué devant le tribunal administratif. C'est alors à un juge d'observer si la réquisition est légale ou non.