L'IVG vraiment garantie ? Ces obstacles qui demeurent pour les femmes en France

L'IVG vraiment garantie ? Ces obstacles qui demeurent pour les femmes en France L'inscription de la "liberté garantie" de recourir à l'IVG dans la Constitution engendre un droit soumis à d'encombrants obstacles.

Avec la révision constitutionnelle, la première sous les mandats d'Emmanuel Macron, la France devient le premier pays à inscrire la liberté pour les femmes de recourir à l'IVG dans la Constitution et à protéger le droit à l'avortement qui recule dans certains pays, notamment en Europe ou aux Etats-Unis. Pour autant, dans les faits, malgré une potentielle inscription dans la Constitution, l'accès à l'IVG en France s'avère être inégal et confronté à certains obstacles.

D'importantes disparités géographiques dans l'accès à l'IVG

En France, le nombre d'IVG est en hausse sur un an. En 2022, 234 300 interruptions volontaires de grossesse ont été enregistrées, soit 17 000 de plus qu'en 2021 d'après les chiffres de la Direction de la Recherche, des Études, de l'Évaluation et des Statistiques (Drees). Jusqu'en 2005, seuls les hôpitaux et les cliniques étaient habilités à en réaliser. Désormais, elles peuvent être effectuées dans les centres de santé ou de planification et d'éducation familiale ainsi que dans des cabinets de ville chez un généralise ou un gynécologue. En revanche, l'accès à l'IVG reste fragile pour certaines, même en cas de vote favorable des parlementaires.

L'IVG est confrontée à d'importantes disparités géographiques. Dans certains départements, les infrastructures "ne sont pas à la hauteur" déplore un rapport parlementaire de 2020. Un facteur qui allonge les délais de consultation et le temps de trajet pour les femmes. Dans l'Ain, 48,3% des avortements sont réalisées hors du département de résidence des patientes selon la Drees. Il s'agit du département le plus touché par ce phénomène dans l'Hexagone.

Hors métropole, la tendance se confirme : "On a un territoire très étendu et pour une large partie rurale. Quand on regarde la liste des praticiens, il y a une forte concentration dans la métropole", regrette Annie Carraretto, présidente du Planning Familial dans les colonnes de franceinfo. La fermeture d'établissements pratiquant les IVG n'arrange rien, Le Monde estime à 45 le nombre d'établissements hospitaliers pratiquant l'IVG ayant fermé entre 2007 et 2017. Ajoutez à cela la chute du nombre de maternités ouvertes en France entre 1996 et 2019, de 814 à 461 selon la Drees, et vous obtenez une baisse drastique du nombre de centres d'IVG dans les hôpitaux publics.

La question de la clause de conscience

"Le médecin qui ne voudra pas (pratiquer une IVG) aura évidemment le droit et la liberté de ne pas vouloir. On ne va pas violer les consciences. Et ça, c'est d'ores et déjà garanti par la Constitution". Tels étaient les mots du Garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti, ce dimanche sur Radio J. Pour rappel, selon le code de déontologie des médecins, hors cas d'urgence vitale, tout praticien "a le droit de refuser des soins pour des raisons professionnelles ou personnelles", c'est la double clause de conscience. Dans le cadre du code de la santé publique, un médecin "n'est jamais tenu de pratiquer une interruption volontaire de grossesse, mais il doit informer, sans délai, l'intéressée de son refus". Autrement dit, un médecin peut refuser de pratiquer un avortement, une clause introduite par la loi Veil.

De leur côté, les associations féministes se battent pour la suppression d'une telle clause qui serait, pour elles, un frein à l'accès à l'avortement pour les femmes. Voilà pourquoi le ministre de la Justice a tenu à clarifier la position de l'exécutif sur la question et à désamorcer tout incendie dans un moment historique pour les droits des femmes, notamment envers le corps médical. Pour lui, l'inscription de l'IVG dans la Constitution, si tel est le cas, "ne rend absolument pas" caduque la clause de conscience des professionnels de santé. "Il n'y a aucune crainte, ni pour les médecins, ni pour les sages-femmes. On est sur des questions sociétales et il faut respecter les convictions des uns et des autres" a-t-il rappelé. L'ordre des médecins comme le Collège national des gynécologues et obstétriciens est également opposé à la suppression de cette clause de conscience car "elle protège la femme, en imposant une obligation de réorientation de celle-ci vers un praticien ou un établissement de santé pratiquant l'IVG" indique-t-il auprès du Monde.

Un manque de personnel spécialisé

À ces freins, vient s'ajouter le manque de médecins et de professionnels de santé qui pratiquent l'interruption volontaire de grossesse en France. Selon le rapport parlementaire de 2020 mené par Marie-Noëlle Battistel et Cécile Muschotti, les avortements réalisées en ville l'ont été par 1 932 praticiens conventionnés. Ce qui représente 2,9% des généralistes et gynécologues et 3,5% des sages-femmes. En clair, la pratique de cet acte repose sur les compétences d'une poignée de praticiens "dont beaucoup se trouvent bientôt à la retraite" alerte le rapport.

Des chiffres compensés par la hausse fulgurante de l'IVG médicamenteuse en ville ou par aspiration dans les centres de santé, notamment grâce aux sages-femmes en libéral. D'après les chiffres de la Drees, le rapport de force s'est totalement inversé entre IVG médicamenteuse et instrumentale. La part d'avortements médicamenteux est passée de 30,6% à 78,5% entre 2001 et 2022. Dans le même temps, celle des avortements instrumentaux s'est écroulée sur la même période, passant de 69,4% à 21,5%.