Exposition pour les 50 ans du magazine Hana to Yume : "Chaque planche est un délice de finesse et de délicatesse"
Découvrez à travers un entretien palpitant l'envers du décor de l'exposition célébrant le demi-siècle de ce bimensuel shôjo emblématique du Japon.
Au Japon, le nom du magazine Hana to Yume, bimensuel dédié aux mangas shôjo, est connu de tous. Au pic de sa diffusion, il écoulait jusqu'à un demi-million d'exemplaires toutes les deux semaines. Si le nom du magazine trouve peut être moins d'écho en France, les séries qui y sont nées ont indéniablement marqué le patrimoine du manga shôjo. On y trouve, entre autres, des œuvres comme : Glass no Kamen (Laura ou la passion du théâtre), Please Save My Earth, Fruits Basket, L'Académie Alice, Skip Beat!, Yona ou la princesse de l'aube ou encore le succès récent Kamisama School (meilleur lancement de shôjo en France en 2023). Si l'on ajoute à ces célèbres séries des pépites comme Sukeban Deka ou Patalliro! (plus de 25 millions de tomes en circulation au Japon), on commence à comprendre l'importance de ce magazine emblématique au sein de l'univers du manga.
Afin de célébrer son cinquantenaire, l'éditeur du célèbre magazine, accompagné par les équipes évènementielles du Sankei Shimbun (l'un des principaux quotidiens du Japon), a organisé une grande exposition. Cette dernière retrace, à travers plus de 400 planches originales, et de nombreux goodies, cinq décennies de créativité sans cesse renouvelée.Pour L'Internaute, Takahiro Hasegawa, l'actuel directeur éditorial du magazine Hana to Yume, a accepté de raconter comment et pourquoi organiser cette exposition anniversaire était une évidence.
Linternaute.com : Quand est née l'idée de faire une exposition pour les 50 ans d'Hana to Yume ?
Takahiro Hasegawa : Nous avons été approchés par les équipes du Sankei Shimbun, il y a 2 ou 3 ans. Et à partir de ce moment, nous avons œuvré ensemble à l'aboutissement de ce projet.
Pourquoi est-il important de faire une exposition pour célébrer cet anniversaire ?
50 ans, un demi-siècle, c'est une étape très importante. Cela nous a paru une occasion rêvée pour prendre du recul, et apprécier tout le chemin parcouru.
Comment s'est fait le choix du Tokyo City View ?
À partir du moment où nous avons décidé de célébrer ce cinquantenaire, il était évident que nous allions avoir besoin d'un lieu gigantesque. Nous avons alors sélectionné une liste de plusieurs endroits possible à Tokyo, mais notre choix s'est arrêté sur le Tokyo City View (qui héberge le Mori Tower 52eme étage à Roppongi Hills, NDLR), en particulier sur les critères de l'espace, de son ouverture et de sa capacité à accueillir des scénographies très variées.
Une fois qu'il a été décidé de faire une exposition, comment avez-vous été nommé commissaire de l'expo ?
C'est en fait un rôle collégial. Nous avons travaillé au sein d'Hana to Yume avec les départements éditoriaux, dont j'ai la charge, avec le département évènementiel. Bien sûr, les équipes du Sankei Shimbun étaient elles aussi impliquées, ainsi que plusieurs intervenants extérieurs. Je suis loin d'être la seule personne à avoir été impliquée dans le succès de cette exposition.
Quel a été le plus gros défi à relever lors de l'organisation de cette exposition ?
Avec 50 ans d'histoire, il y a évidemment des chemins qui ont divergé. Certains mangakas ont quitté le métier, ou ne travaillent plus avec Hakusensha. Certains interlocuteurs se sont perdus de vue. La principale difficulté a été de rentrer en contact avec toutes les autrices et auteurs.
Heureusement, nous avons réussi à joindre la majorité d'entre eux et toutes et tous ont accepté de nous prêter leurs précieuses œuvres originales.
Comment avez-vous choisi le nombre d'artistes (74) à mettre en avant dans cette exposition ?
On aurait aimé pouvoir mettre en avant tous les créatifs qui ont œuvrés au sein de Hana to Yume au fil des années. Mais avec les limites de place, on a été contraint de faire des choix. On a choisi de se concentrer sur les titres qui ont particulièrement marqué nos lecteurs au cours des 50 dernières années.
Une fois les artistes et œuvres sélectionnées, comment s'est passé le choix des planches à utiliser pour chaque panneau ? Est-ce que vous avez proposé une liste de scènes iconiques aux mangakas ? Ou bien était-ce un échange avec eux ?
Nous avons demandé aux maîtres de choisir les scènes. Par exemple, le climax de l'oeuvre ou un passage du premier chapitre. Ou bien qui résonne particulièrement à leurs cœurs. Et c'est ainsi que cette sélection éclectique est apparue.
De manière assez surprenante (mais positive), il y a une majorité d'illustrations couleurs. Est-ce un choix ou bien un hasard de la programmation ?
Comme nous avons un grand nombre d'artistes au sein de l'exposition, le nombre d'œuvres originales exposées pour chaque mangaka était de fait limité. C'est pour cela que le nombre d'illustrations originales en couleur qui sont le visage de la bande dessinée, peut sembler important au regard du volume de production.
Est-ce que vous avez appris quelque chose autour du magazine Hana to Yume lors de l'organisation de cette exposition ?
Ce n'est pas vraiment une découverte, ni une surprise, mais regarder ces 50 ans de production de mangas mis bout à bout m'a fait prendre conscience à nouveau de l'incroyable diversité éditoriale qui s'est développée au sein d'Hana to Yume.
Quelle a été votre plus grande surprise ?
Tous les dessins sont magnifiques. Chaque planche est un délice de finesse et de délicatesse. Mais j'ai été particulièrement frappé par la beauté des œuvres les plus anciennes. En regardant ces planches originales, j'ai pu sentir la complexité des motifs et des textures avec des dégradés si fins qu'ils ne pouvaient être reproduits par les impressions à l'époque. J'ai été aussi très surpris que cette finesse des textures ait été réalisée entièrement à la main, avant que les trames ne fassent leur apparition.
On peut publier n'importe quoi du moment que c'est captivant
Pourquoi est-ce que les photographies des œuvres sont interdites ?
Il y a plusieurs facteurs qui sont pris en compte pour arriver à ce type de décision. Les images originales sont des œuvres d'art délicates, elles peuvent se dégrader avec le temps si elles sont exposées à une lumière vive dans la durée.
Nous avons aussi peur que dans certains cas, des photographies en haute résolution puissent être utilisées dans un cadre ne respectant pas le droit d'auteur.
Certains mangakas peuvent dire qu'ils ne voient pas d'inconvénient à ce que leurs œuvres soient photographiées, mais en raison de diverses préoccupations, nous avons décidé d'interdire cette pratique.
Enfin, l'autorisation des photographies augmente le temps de visites et peut provoquer un risque d'engorgement au sein de l'exposition lors d'heures de fortes affluences.
Comment est venue l'idée de montrer les bureaux de mangakas ?
L'idée est venue quand on s'est posé la question de montrer autre chose que des œuvres originales. Et nous avons aussi regarder ce qu'il se faisait dans d'autres expositions dans l'univers des mangas.
Une des (nombreuses) raisons de la popularité d'Hana to Yume est l'incroyable richesse des genres d'histoires publiées. Pourquoi à votre avis ce magazine est-il l'un des plus riche en termes de diversité éditoriale ?
C'est très simple, le motto du premier rédacteur en chef était "on peut publier n'importe quoi du moment que c'est captivant". Il n'y avait aucune contrainte de "genre" sous sa direction. C'est cette culture qui a émergé dans une atmosphère qui valorise la libre pensée qui a ouvert a ouvert la voie à un magazine aussi libre et donc riche que Hana to Yume.
À votre avis (sans lire la réponse) combien y a-t-il de scène de baiser dans l'exposition ? Et de larmes ?
Réponse : Il y a 14 scènes de baiser et 6 de larmes. Dites nous si vous êtes surpris du résultat (oui, je les ai comptés).
Ces scènes typiques, sont très importantes et demandées par les lectrices et lecteurs de mangas shôjo. Il est donc normal que ces scènes soient autant représentées dans l'univers du magazine et donc de l'exposition.
Sur les années récentes, de plus en plus de mangakas sont passés au numérique, il n'y a plus de planches analogiques à exposer. Est-ce que cela vous a impacté ?
Je pense que l'on peut apprécier les deux. Évidemment, quand on observe les détails d'œuvres originales analogiques, vous apprécierez la finesse du trait de plume et le réalisme de la peinture. Mais si on imprime une œuvre numérique avec un très grand degré de finesse, on peut alors arriver à une reproduction fidèle aux intentions de l'artiste. Ce qui permet de voir, et d'apprécier des choses que l'on n'aurait pu voir dans un magazine ou un tome relié.
Quelles étaient vos attentes autour de cette exposition ?
Plus que des attentes en termes de business, cette exposition est avant tout notre manière de remercier nos fidèles lectrices et lecteurs. Et nous nous réjouissons de pouvoir leur rendre un peu de leur amour au travers de cette exposition. Je suis ravie que cette exposition ait permis à un plus grand nombre de personnes de découvrir le magazine Hana to Yume.
Avez-vous été surpris par l'engouement des fans ?
Je suis reconnaissant envers tous les fans qui ont pu se rendre à l'exposition. Aussi loin que je m'en souviennes, j'ai toujours été un lecteur avide du magazine Hana to Yume, je ne dirais pas que j'ai été surpris de l'engouement, mais plutôt que j'ai été très heureux de voir autant d'amis se joindre à cette célébration.
En parlant de fans étrangers, les mangas sont plus populaires que jamais dans le monde entier. Pensez-vous que l'exposition Hana to Yume puisse être amenée à voyager dans le monde ?
Évidemment, si une demande nous était faite, nous la prendrons en considération. Mais comme un grand nombre d'œuvres mises en avant au sein de cette exposition n'ont pas été publiées à l'étranger, il est probable qu'une telle demande s'accompagne d'un changement de contenu.
Comment avez vous choisi quels goodies réaliser pour l'exposition ? Est-ce que vous pouvez nous expliquer par exemple pourquoi certains goodies ont finalement été écartés ?
La société chargée des marchandises nous a donné beaucoup d'idées. Je ne sais pas s'il y a des produits que ne pourrions pas fabriquer, mais nous avons une exposition itinérante à venir, alors j'espère que nous pourrons vous apporter d'autres nouveaux produits.
Merci aux équipes d'Hana to Yume et à celles du Sankei Shimbun pour leur précieuse aide tout au long de l'organisation de cette interview.