Caroline Lepage "Si la pollution que nous générons atteint la mer, forcément, nous en paierons le prix"
La journaliste Caroline Lepage est l'auteur de "Les baleines ont-elles le mal de mer ?", un ouvrage qui répond à des questions intelligentes et insolites sur la mer. Rencontre avec une passionnée de nature et d'océans !

L'Internaute Magazine : comment êtes-vous devenue auteur de livres ?
Caroline Lepage : Je suis journaliste scientifique. J'ai toujours aimé écrire et... toujours aimé la mer ! C'est ainsi que j'ai commencé à travailler pour des magazines de plongée. J'ai fait un master en journalisme scientifique car tout m'intéresse en science. Plus tard, on m'a proposée de traduire deux ouvrages de "vulgarisation scientifique" comme on dit (je n'aime pas tellement cette expression) : "Pourquoi les vaches ne peuvent-elles pas descendre les escaliers ?" du journaliste de la BBC Paul Heiney et "Comment construire une machine à explorer le temps ?" de l'astrophysicien Paul Davies. Une chance exceptionnelle ! Moi-même, je lis beaucoup. Alors, traduire puis écrire à mon tour des livres de science pour le grand public, c'était pour moi un rêve. Depuis, je ne me suis plus arrêtée (je suis en train de terminer mon quatrième ouvrage)...
L'Internaute Magazine : d'où vient votre passion pour la mer ?
Caroline Lepage : Sans aucun doute des émissions du Commandant Cousteau : d'ailleurs, Yves Paccalet, de cette même équipe Cousteau, a fait la préface du livre "Les baleines ont-elles le mal de mer ?" Quel honneur pour moi qui lisais depuis longtemps déjà les écrits de ce grand amoureux de la planète !
Cela vient aussi du film Les Dents de la Mer : le grand requin blanc m'a complètement fascinée...
Et surtout, je suis de cette génération dite du Grand Bleu (merci à Luc Besson !), l'élément déclencheur, je crois. Ado, je rêvais de faire de la plongée mais habitant alors au pied des Vosges, je pensais que ce n'était pas un sport pour moi. Bien plus tard, en regardant les émissions "Carnets de Plongée" de Francis Le Guen, je me suis dit "Pourquoi pas, finalement ?". Enfin, je me suis lancée. J'ai fait ma première plongée du côté de Marseille, dans une calanque, avec beaucoup d'émotion...

L'Internaute Magazine : comment avez-vous trouvé l'impressionnante liste de questions (150) auxquelles vous répondez dans votre livre ?
Caroline Lepage : En fait, j'écris des articles sur les océans et la faune marine depuis plus de 10 ans. Durant tout ce temps, j'ai archivé de nombreuses études sur ces sujets (il y aurait même de quoi écrire un tome 2). J'ai donc réalisé une sorte de compilation des choses que j'avais écrites pour la presse plongée et généraliste afin d'en extraire les sujets les plus passionnants, les découvertes les plus récentes, etc.
Moi-même, lorsque je plonge, je m'interroge beaucoup sur la vie des animaux marins. Quand vous croisez une baleine pour la première fois, un requin, vous avez envie de tout savoir d'eux : où vont-ils ? Que mangent-ils ? Etc. Sinon, effectivement, on me pose également souvent des questions et qu'elles soient posées par des enfants ou des adultes, toutes sont intéressantes ! Alors, je prends note et pars en quête d'une réponse. La curiosité, dans ce sens, n'est absolument pas un vilain défaut...
L'Internaute Magazine : certaines informations ont-elles été difficiles à trouver ?
Caroline Lepage : Oui et non. J'avais mes propres articles comme source d'inspiration et d'information (dont beaucoup ont fait l'objet d'interviews auprès de spécialistes de la mer), ensuite toutes mes archives depuis 10 ans. Enfin, je suis allée consulter les publications scientifiques. Elles sont généralement disponibles sur Internet, en partie ou intégralement. Là, c'est un peu moins drôle car elles sont généralement en anglais et destinées à un public de chercheurs. Or, mon travail consiste justement à rendre ces informations beaucoup plus "digestes", et à sélectionner les plus insolites, voire les plus amusantes ou les plus impressionnantes pour les lecteurs...
L'Internaute Magazine : le livre n'est pas illustré, était-ce une volonté ?
Caroline Lepage : Ah, excellente question ! Figurez-vous que je l'avais imaginé illustré justement (j'avais même réalisé quelques esquisses à l'encre de chine). C'est un choix de mon éditeur surtout. Je pense que dans mon prochain ouvrage, sur lequel nous travaillons en ce moment même, les textes seront accompagnés d'illustrations.
L'Internaute Magazine : à qui le destinez-vous ?
Caroline Lepage : A tous, de 9 à 99 ans ai-je envie de vous répondre ! Car la curiosité est en chacun de nous. Qui, l'été, à la plage, n'a pas été confronté aux questions des plus jeunes : y a-t-il des requins en Méditerranée ? Comment les poissons respirent-ils dans l'eau ? Comment vit ce crabe ? Que mangent les moules alors qu'elles ne bougent pas, toujours fixées à leurs rochers ? Et aux plongeurs bien sûr, car eux sont en première ligne pour croiser une grande diversité d'espèces.
Il me semble impossible de mettre un masque, passer la tête sous la surface et descendre quelques mètres plus bas sans se poser 1000 questions sur l'environnement marin : les coraux, les algues, les poulpes, les squales... Tout est beau, tout est nouveau et différent de ce qu'il y a à terre. On a envie de tout connaître, tout savoir sur ces créatures sous-marines !

L'Internaute Magazine : quel animal marin à vos faveurs ?
Caroline Lepage : Adolescente, je vous aurais dit le dauphin (l'effet "Grand Bleu", presque "Fleur Bleue" devrais-je dire...). Aujourd'hui, sans hésiter, je vous réponds le requin !
L'Internaute Magazine : pourquoi préférez-vous le requin ?
Caroline Lepage : Parce qu'il est mal aimé, encore très mal connu. Parce que l'on en dresse toujours le portrait peu objectif d'un tueur, presque d'un monstre. C'est un prédateur des océans, certes, mais il préfère manger du poisson (et même du plancton pour les grands requins-baleines et requins pélerins !) ou des mammifères marins assez gras, plutôt que de freluquets baigneurs en maillot de bain.
Le problème, c'est qu'aujourd'hui, nous empiétons sur son territoire, et de plus en plus : avec la fréquentation croissante des plages, la multiplication des activités de loisirs en mer et la surpêche qui le prive de ses ressources alimentaires... Les dernières données publiées au début de l'année 2011 sont pourtant parlantes : en 400 ans - 4 siècles ! - les attaques de requins auraient fait "seulement" 138 victimes (juste à titre comparatif, sur la seule année 2010 en France, 3994 personnes sont mortes dans un accident de la route). 138, c'est beaucoup, bien sûr, mais que dire de nous ? L'homme est en train de vider les océans de ses requins, à un rythme alarmant alors qu'ils ont un rôle majeur dans la chaîne alimentaire marine ! Chaque année, on en extermine entre 40 et 70 millions, vous imaginez le gâchis ? Certains périssent comme prises accidentelles dans des filets de pêche, d'autres sont chassés pour leurs ailerons qui se vendent à prix d'or en Asie, lesquels finiront bouillis dans des bols de soupe... C'est réellement désolant.
L'Internaute Magazine : c'est bientôt la Journée Mondiale des Océans, pensez-vous qu'elle soit utile ?
Caroline Lepage : Honnêtement, ce genre d'évènement est toujours utile, c'est évident. Qu'une fois par an, les projecteurs se braquent sur les océans, tant mieux ! Mais cela n'est pas suffisant à mon sens. L'être humain est un terrien. Loin des yeux, loin du cœur... Il ne réalise pas forcément que ses actions à terre ont des répercussions en mer, et que c'est un cercle vicieux !
Nous scions la branche sur laquelle nous sommes assis : si la pollution que nous générons dans l'atmosphère et par le biais de nos déchets (chimiques, plastiques, etc.) atteint la mer, forcément, nous en paierons le prix car elle se retrouve dans nos assiettes.
De temps en temps, trop rarement, il y a bien des films qui sortent au cinéma sur le sujet. A la télévision française, aujourd'hui, à l'évidence, nous ne manquons pas d'émissions de télé-réalité (très ennuyeuses parfois) par contre, il nous manque un Cousteau qui, lui, saurait nous tenir en haleine avec des images sous-marines, avec le vrai goût de l'aventure ! Bref, un programme sur l'environnement marin qui, j'en suis certaine, passionnerait les adultes comme les jeunes générations et susciterait forcément des vocations.
ET AUSSI
Lire le dossier sur le livre de Caroline Lepage :
Retrouvez Caroline Lepage sur son site Internet Mersea Planète et régulièrement dans ses chroniques pour L'Internaute Nature.
Les baleines ont-elles le mal de mer ?
L'histoire surprenante des animaux de la mer
De Caroline Lepage
Les éditions de l'Opportun
12 avril 2012
Prix conseillé : 15 €