"Une peine infinie" : quelles conséquences pour une condamnation à mort ?

"Une peine infinie" : quelles conséquences pour une condamnation à mort ? Jeudi 24 mars, France 2 a diffusé "Une peine infinie". 10 ans après l'exécution de Sean Sellers, David André a interviewé les différents acteurs et témoins à son procès.

En 1985, Sean Sellers âgé de 16 ans, était condamné à la peine de mort pour avoir assassiné sa mère, son beau-père et un commerçant. 13 ans plus tard, malgré les nombreuses protestations internationales et le fait qu'il ait été déclaré mentalement déficient, il est exécuté en Oklahoma.

Quelques jours auparavant a lieu l'audience du recours en grâce où son beau-frère Lorne et sa belle-soeur Noelle, témoignent à charge contre lui et demandent son exécution.

Dix ans après, le réalisateur David André a retrouvé tous les protagonistes de l'affaire. L'exécution de Sean Sellers a-t-elle soulagé les victimes ? David André tente de répondre à cette question et offre un éclairage inédit sur la peine de mort aux Etats-Unis. Un documentaire à la réalisation élégante et particulièrement soignée.

  "Une peine infinie" c'était jeudi 24 mars sur France 2 : donnez votre avis sur le documentaire

L'Internaute Magazine : Comment s'est déroulé le tournage ? Toutes les personnes ont-elles accepté facilement de témoigner 10 ans après ?

David André : Je suis parti une première fois pour un mois de tournage, puis ont suivi deux repérages de chacun une quinzaine de jours pendant l'été 2008 et 2009. Il fut assez difficile d'abord de convaincre la famille puis de rencontrer le parrain de Sean et enfin de persuader les bourreaux, ceux qui exécutent les gens en prison, de témoigner.

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Sean Sellers, condamné à l'âge de 16 ans en Oklahoma © France Télévisions

Quel effet a eu l'exécution sur les victimes de Sean Sellers ? Sont-elles soulagées aujourd'hui ?

J'ai volontairement laissé au spectateur la possibilité de se faire une opinion par lui-même. Il y a d'abord Lorne, le demi-frère de Sean. Il semble très bravache, la vengeance en bandoulière... Et en même temps, il pleure comme un petit garçon en évoquant son père, expliquant que désormais sans lui "le monde n'est plus aussi lumineux". En ce qui concerne Noelle, je suis convaincu qu'elle a beaucoup de mal à assumer le fait d'avoir assisté à l'exécution, d'avoir vu son demi-frère être mis à mort. Elle tente d'expliquer tous les efforts qu'elle a faits pour "en faire une chose", pour le déshumaniser. Elle a l'air de dire qu'elle n'y est pas arrivée... et finalement ça la bouffe.

La peine de mort ne renverse-t-elle pas les rôles ? Est-ce que le fait de prendre parti contre Sean Sellers, au moment de la demande en grâce, n'a pas fait passer Noelle et Lorne du statut de victime à celui de coupable ?

Oui, c'est ça. La peine de mort est quelque chose dont on peut débattre de manière totalement abstraite, mais quand on est "pour" et qu'on se retrouve confronté à la peine de mort, on peut raconter ce qu'on veut à propos de la justice, de la réparation... On oeuvre quand même à la mise à mort d'un être humain et c'est quelque chose de très difficile à assumer et à vivre. On change de camp quelque part.

Savez-vous si Noelle ou Lorne ont essuyé des reproches suite à l'exécution ?

Là-bas, 80% des gens pensent que ce qu'elle a fait est juste. Je pense qu'elle est plutôt confortée par son entourage, par sa famille. Après, il y a aussi une minorité qui se bat contre ça, mais globalement, elle est soutenue.

Sean Sellers avait de la famille, ses grands-parents qui, malgré son geste continuaient de tenir à lui. Quels effets a eu l'exécution sur eux ?

J'ai tourné la séquence avec le grand-père de Sean Sellers, il y a 10 ans (ndrl: il est décédé depuis). C'est abominable ce moment, c'est là qu'on se rend compte que l'exécution est un deuxième meurtre quoi qu'il arrive. Que ça plaise ou non, les criminels aussi ont des parents, des enfants, des frères, des épouses...

L'une des personnalités marquantes du documentaire est Bob Macy, le procureur qui a condamné Sean Sellers alors qu'il avait 16 ans... Comment s'est passé l'entretien ?
C'était très bizarre. Les autorités de l'Oklahoma refusaient de me donner son contact, du coup je suis allé directement à son ranch et j'ai frappé. Une infirmière m'a ouvert et on a convenu d'un rendez-vous pour le lendemain. La première chose qui m'a frappée, c'est qu'il n'a jamais assisté à une exécution de sa vie, alors qu'il a été un procureur particulièrement actif dans ce domaine. La deuxième chose, c'est la conjonction de la religion et de la politique puisque c'est quand même au nom de Dieu que tout cela est fait. Dans la religion baptiste, il y a cette idée que tout est désigné à l'avance. Et Bob Macy est là dedans, il se voit comme un ange exterminateur du seigneur.

Quelle impression vous a laissé le tournage ?

Beaucoup de tristesse. Pendant le tournage, j'ai transporté "Ecrits sur la guillotine" de Camus où il écrit : "il ne pourra y avoir de paix, ni dans la société, ni dans le coeur des individus, tant que la mort ne sera pas définitivement hors la loi." Il y a une forme de tristesse de noirceur dans les états qui appliquent la peine de mort, c'est une violence barbare inouïe qui est exercée par l'état. La peine de mort ne réduit pas la violence des citoyens. Je me demande même si ce n'est pas quelque chose qui la rend familière.