Les vacances de Monsieur Fyon (Egypte, Tunisie ?)

L’auteur, en pastichant le célèbre sketch de Elie Semoun, s’interroge sur les raisons de la désaffection touristique de ces pays en pleine mue démocratique.

« Monsieur Granjean, pouvez vous m'accorder 1 minute de votre temps, oh  combien précieux ?

Oui, c’est concernant mes prochaines vacances
C'est Monsieur Fyon là ! Hou ! hou !...

Oui, c’est Monsieur Fyon, là… Je ne sais pas là  encore où...

J’hésite entre les chutes de l’Himalaya et le Portugal à Madrid…

Mais une chose est sure, ce ne sera  pas dans un pays d’origine arabe. Ce n’est pas le fait, Monsieur Granjan, que ces gens là soient d’obédience musulmane, quoique…Mais, avec tous ces massacres d’enfants, ces histoires de centrale nucléaire, ces Ben Mollah d’AQMI, ces révolutionnaires enturbannés…  Rien que d’y penser j’ai les fesses qui font bravo, là !

Tenez, même en Egypte et en Tunisie on n’est plus sûr de rien !

C’était pourtant bien à l’époque de Benguigui et de Boubarak.  Avec des hommes de cet « acabit »,  on pouvait bronzer tranquille et pas cher… Et toujours accueillants, le sourire aux lèvres : Sidi par ci, Sidi par là… avec Hammam et massage inclus !

Je vous pose la question comme ça, "ipso-facto" ! Hein ?  Ils ont gagné quoi avec leurs révolutions : des barbus, des grosses feignasses en djellaba, à la place des policiers ? Des cocktails molotovs à la place des Pina Colada ? Et pourtant, je n’ai pas peur, là… je suis ceinture noire de yoga, hein.  

Ah la « cerise sur le bateau », vous verrez, il faudra bientôt mettre une, comment appelez vous ça, oui une burquah, c’est ça, pour aller à la plage ! Il y a de quoi être furax…

Vous voulez que je vous dise  Monsieur Granjan, j’adore votre costume pied de poule, mais…   mieux vaut une bonne dictature qu’une mauvaise démocratie ! »

 


Bon d’accord, j’ai forcé un peu le trait ! Bien entendu les personnes de « l’acabit » de l’infâme Fyon ne courent pas les plages de Hammamet à Sham El Sheikh ! N’empêche que le constat est là : les touristes ont très largement déserté les « pays arabes » depuis que les peuples se sont mis en tête d’élire leurs dirigeants.

Faut-il s’en étonner ? Ces mouvements profonds de société se sont assez logiquement accompagnés d’incertitude, voire de violence et un vacancier n’est pas un missionnaire ou un militant appelé au martyr ni même un grand reporter ! Alors quitte à choisir, autant chercher une destination sereine. Elles ne manquent pas. Par exemple :  la Norvège (gaffe quand même aux tireurs fous), l’Islande (gaffe quand même aux volcans fous), Jersey (gaffe quand même aux inspecteurs des impôts…)…

Redevenons sérieux un court instant. Cette désaffection qui fragilise des pays en pleine mue démocratique a, selon moi, plusieurs causes profondes :

1.     Un amalgame entre tous les pays arabes. L’information spectacle, à force d’images chocs, d’absence d’analyse ou même d’information réelle (ex : silence radio sur la Libye depuis que le mari d’Arielle Dombasle et les armadas occidentales sont parties…), finit par tout mélanger : Yémen et Oman, Jordanie et Syrie,  Mali et Mauritanie, etc.

Faut-il le répéter, l’Iran, la Turquie, etc. sont des pays très largement musulmans mais pas des pays arabes, l’Egypte est un pays arabe, pas uniquement musulman...

Qui prend aujourd’hui, en dehors de quelques spécialistes ou d’amoureux de la région le soin d’analyser chaque pays pour ce qu’il est ? Mais non, il est plus simple et finalement plus sûr, quitte à jeter l’opprobre sur toute une région du monde, sur des peuples en difficulté, de suivre un principe de précaution, aveugle et sourd, poussé à l’absurde : pays musulman = menace !

2.     Une méconnaissance profonde de la réalité sécuritaire de chaque pays. L’Egypte ne se résume pas à la place Tahrir ou au stade d’Alexandrie, la Tunisie à Kasserine ou à l’extrême Sud, tout comme Rio ne se limite pas  à Rocinha, la plus grande de ses favelas,  Grenoble à la Place des Géants. Constatons que dans les grands lieux du tourisme égyptiens ou tunisiens (Louxor, Mer Rouge, Djerba, Tozeur, etc.) la sécurité des touristes n’a pas été inquiétée pendant le processus de démocratisation. Dans les lieux plus difficiles à contrôler : déserts, région des Ksars, Oasis de Siwa, etc. la sécurité des touristes est restée à un bon niveau à condition de s’informer ou de partir avec des agences sérieuses. La région du Sinaï, par exemple, où les bédouins ont toujours rejeté l’ordre du Caire, mérite quelques précautions… Globalement, il est remarquable que la Tunisie et l’Egypte aient connu deux cycles d’élections avec, relativement, un faible niveau de violence qui n’a, à de très rares exceptions, pas touché les étrangers.

3.     La nature même du tourisme qui y était organisé. Les kleptocrates de Ben Ali  (et dans une moindre mesure de Moubarak), alliés aux industriels et aux bétonneurs du tourisme, ont largement misé sur le volume, les prix bas, transformant leurs côtes en usines à bronzer : une semaine en club pour moins de 450 €, charter et massages compris (n’est-ce pas Monsieur Fyon ?). Moins cher qu’une semaine en gite en Auvergne  avec les transports. Faut-il s’étonner que des consommateurs qui ne viennent que pour le sable, le soleil et les petits prix désertent ces pays au moindre nuage, à la moindre incertitude ?

Après la chute du mur de Berlin, les enceintes protégeant les palais des kleptocrates* arabes commencent à tomber, une à une. Faut-il s’en plaindre, s’en inquiéter ? Je ne crois pas, car notre quiétude temporaire ne peut justifier l’arbitraire, le pillage et la violence faite à ces peuples, à nos voisins. Alors, c’est vrai, tout est devenu un peu plus compliqué. Il faut désormais ouvrir les yeux, essayer de comprendre, accepter un peu d’incertitude

Mais, le voyage aseptisé n’existe pas, ni dans le Désert Blanc, ni dans les Lofoten ; sinon, ce n’est plus du voyage mais de la translation et de la consommation d’espace!

Voyager c’est d’abord découvrir et donc accepter une part d’inconnu ; sinon, autant rester sur son balcon avec sa lampe à bronzer…

Egypte, Tunisie sont des véritables terres de voyage où la découverte est aujourd’hui encore plus intense, car ces peuples retrouvent progressivement la liberté, la dignité. Faisons leur confiance !






* Désolé pour la répétition mais j’aime bien la sonorité de ce mot .. Un peu comme placomusophile… On peut d’ailleurs  être kleptocrate et placomusophile !