L' île de Mazzorbo et ses trésors

Vous en avez assez des hordes de touristes à Venise qui vous empêche de profiter de la beauté et de la quiétude naturelle de la cité des Doges ? Fuyez Venise pour une excursion dans l'une des nombreuses îles de Venise, loin du tourisme de masse : Mazzorbo est votre destination idéale!


Mazzorbo est une île située à deux pas de Burano, à laquelle elle est reliée par un pont en bois appelé par ses habitants "Ponte Longo" . Considérée comme la périphérie de Burano, elle est à tort ignorée des touristes attirés par Burano la colorée et par Torcello et sa splendide basilique. Toutefois, Mazzorbo mérite bien une visite ! Elle est célèbre depuis l'Antiquité par la présence de zones cultivées reconnues comme des excellences éno-gastronomiques, dont les fameux "castraure di Mazzorbo", c'est à dire les prémices des artichauts violets, qui ont un extraordinaire arrière-goût naturellement salin, dû à la terre imprégnée de sel sur laquelle ils croissent.


Mazzorbo ne compte guère plus de 350 habitants mais a un centre sportif, un terrain de jeux pour les enfants ainsi que le cimetière général de toutes les îles alentours. Tous les étés, entre juin et juillet, a lieu une fête paysanne placé sous le patronat de Sainte-Catherine, à l'occasion de laquelle on peut goûter la gastronomie locale à base de poissons de Burano et des verdures renommées de l'île.

Dénommée Maiurbium dans l'Antiquité (du latin Magna Urbs c'est à dire “Grande ville") Mazzorbo y joua un éminent rôle commercial. Fondé suite à la fuite des habitants de la Terre-Ferme d'Altinum (aujourd'hui Altino, de fondation romaine) à cause des invasions barbares du VI ème siècle, elle profita de son voisinage avec Torcello, à cette époque l'"emporion mega" (grand empire) de la lagune d'avant Venise, pour s'épanouir.


Elle fut le siège de riches palais et de plus de dix églises et couvents. Y existait aussi de nombreux monastères qui pourvoyaient à l'éducation des rejetons des familles patriciennes vénitiennes. De toute cette splendeur passée, bien peu est resté: de nombreuses églises et couvents n'existent plus, beaucoup ont été détruits par la fureur jacobine de l' occupation française des années 1806-1810 qui supprima de nombreux couvents et églises à Venise et dans son estuaire, dont les plus grands trésors ont été emportés au Louvre comme butin de guerre, comme c'était alors la coutume. De tout ceci, il ne reste plus que quelques maisons en style gothique donnant sur le canal principal et l'antique église de Sainte- Catherine, sans oublier l'incroyable campanile San Michele Arcangelo resté tout seul au milieu des vignes, l'église ayant été démolie en 1820, vestige mélancolique d'un passé plein de ferveur.

Mazzorbo atteignit sa plus grande splendeur en l' An Mil. Ensuite, comme ce fut d'ailleurs le cas de Torcello, elle commença son inexorable déclin, éclipsée par le développement croissant de la Venise du Rialto, la Venise d'aujourd'hui. Elle devint au cours des siècles une île champêtre et un lieu d' oisiveté des patriciens vénitiens jusqu'à la chute de la République Sérénissime en 1797.

Comment s'y rendre?

Munissez-vous d' un pass vaporetto et prenez la ligne n° 12 à Fondamente Nuove, en face du cimetière de Venise. Il faut environ 35 minutes de navigation pour y arriver. Premier arrêt à Murano, le deuxième arrêt est le vôtre: Mazzorbo, l'île juste avant Burano, que l'on peut rejoindre à pied en traversant le pont en bois qui unit Mazzorbo à Burano.

Descendez du vaporetto et dirigez- vous à droite, longez le quai Santa Caterina jusqu'à l'église du même nom, tout au bout de l'île. L'église Santa Caterina faisait partie d'un couvent bénédictin fondé au VII ème siècle, reconstruit au XIV ème siècle puis démoli en 1806 durant l'occupation Napoléonienne. Elle conserve au dessus de son portail un bas-relief daté 1368 représentant le mariage de la sainte. Dans l 'atrium, à gauche, un bas-relief représentant une Madonne à l'Enfant du XIV ème siècle d'une grande beauté. L'intérieur contient un rare “barco” ou choeur suspendu soutenu par deux colonnes, un superbe plafond en bois en “carena di nave”, c'est à dire en coques de navires, typique des très anciennes églises.


Remarquez aussi le pavement caractéristique des bâtiments vénitiens antiques, en briques rouges disposées en arête de poisson. Dès les origines, toutes les cours intérieures et les rues de Venise étaient ainsi pavées. Au XIXe siècle encore, Alfred de Musset de passage à Venise la surnomma dans son poème “Venise la Rouge”, inspiré par la couleur des maisons construites en briques rouges et des rues pavées de la même matière, la base architecturale de la cité des Doges.

La visite de l'église terminée, soit vous reprenez le quai Sainte-Catherine en direction opposée, soit vous tournez à droite en direction du cimetière jusqu'à la prochaine rue à gauche, qui vous ramenera sur le quai du canal de Mazzorbo. Ce sera l'occasion de visiter la “Tenuta Venissa” et sa vigne murée, à gauche du ponton d'arrivée.


 Tenuta Venissa


Immergée dans la Venise des Origines, “Venissa” est le lieu idéal pour une pause gourmande ainsi qu'un repos bien mérité au milieu des vignes murées de Mazzorbo. Vous pouvez vous promenez librement au milieu des vignes et du potager du restaurant gastronomique “Venissa”.


La vigne a été murée pour contraster les marées hautes à l'intérieur de l' île comme cela se faisait autrefois pour protéger les cultures des inondations d'eau saumâtre. C'est la famille Bisol, originaire de Trévise en Vénétie, famille de viticulteurs de prosecco A.O.C., qui a su faire revivre la Dorona, antique vigne autochtone vénitienne, cultivée dès l'époque des Doges et qui avait disparu au cours des siècles.


D'un seul hectare de vignes naissent chaque année environ 4000 précieuses bouteilles d'un demi-litre depuis 2010. La moitié des bouteilles sont destinées au restaurant. Il s'agit donc d'un vin rare, unique et précieux, qui hérite ses traditions de la Venise antique: le vin Dorona de la Venise des origines du lointain Ve siècle, la feuille d'or pour l'orner et le verre de Murano pour l'habiller.


C'est un produit artisanal pratiquement artistique: avec sa bouteille en verre dessinée par le designer muranais Giovanni Moretti, l'étiquette en papier substituée par une précieuse feuille d'or “zecchino” battue à la main comme autrefois par les descendants de la famille Berta Battiloro (nom de famille qui signifie “qui bat l'or” du nom de leur métier), puis incorporée à la surface de la bouteille par un passage aux fours de la verrerie Muranaise Carlo Moretti, où les maîtres verriers fondent également une précieuse murrine sur le fond de chaque bouteille. Tout ceci fait du vin Venissa un vin de luxe dont la saveur est à la hauteur de ses prétentions: un vin blanc corpulent, d'une couleur jaune d'or intense et d'une consistance presque liquoreuse, fort en arôme et en bouche, se mariant à la perfection aux recettes étoilées du restaurant Venissa.

Le restaurant “Venissa” dispose de trente couverts, ainsi que d'autres trente couverts dans l'auberge contemporaine toujours de la famille Bisol lancée l'année dernière, pour y déguster des mets authentiques dans un cadre convivial. Tous les deux donnent sur la vigne, à l'ombre du campanile sans église, ainsi que les six chambres de la Tenuta Venissa, jouissant d'un calme souverain.

Tous les ingrédients nécessaires à l'élaboration des recettes proviennent de Burano pour le poisson et de l'île de Saint-Erasme pour les fruits et légumes, en plus du potager local. Les recettes suivent la tradition tout en les ré-interprétant selon l'inspiration des quatre jeunes chefs de talent, dont deux jeunes femmes, un chef pour les entrées, un chef pour les plats de pâtes et de risotto, un chef pour les plats de poissons et de viandes et un pour les desserts, formant une équipe parfaitement synchronisée et motivée à vous offrir le meilleur d'eux-même et soignant la présentation comme un oeuvre d'art culinaire.

Pour vous mettre l'eau à la bouche voici quelques exemples de la bravoure des quatre chefs du Venissa: cornets mignons de morue crémeuse en amuses-gueule; bouchées de morue fraîche servie avec un soupçon de pulpe de fraise des bois, morceaux d' artichauts violets et pointes d'asperges vertes des îles; tortellini au pigeon relevé avec une note de sureau, une touche de coulis de fraise des bois, servis avec beurre fondu, le tout décoré de précieuses fleurs bleues de safran; filet de loup de mer disposé sur un lit de purée de céleri, accompagné de choux-fleur du jardin; côtes d'agneau servies avec les primeurs de l'île; mousse à la framboise recueillie sur un lit de blé noir; mousse à l'amande blanche douce posée sur un sorbet de carottes fraîches, le tout servi avec le précieux vin Venissa naturellement!

Déjeuner dans ce cadre champêtre, hors du temps, aux pieds du campanile San Michele Arcangelo, rescapé du monastère bénédictin de Santa Maria di Valverde, aujourd'hui disparu, vous enveloppe d'une sensation de sérénité et de bien-être.


Un moment de paix avant de reprendre votre promenade en direction de Burano la colorée, à quelques pas de Mazzorbo mais tellement différente.... Vous quitterez la quiètude pour le désordre de la foule bigarrée et massive des touristes, Burano étant très appréciée par ces derniers pendant la belle saison. A bon entendeur salut...