L'Internaute > Voyager >
Voyageurs > Ariane Wilson
CHAT
 
07/11/2006

"L'écriture est aussi en soi une manière de voyager"

Ariane Wilson, auteur du livre "Le pèlerinage des 88 temples", a répondu à toutes vos questions lors d'un chat à L'Internaute

  Envoyer à un ami | Imprimer cet article  

Qu'est ce que le pèlerinage de Shikoku ?

Ariane Wilson Le pèlerinage de Shikoku est un circuit de 1 400 km que les Japonais effectuent depuis au moins 900 ans. Il suit les traces plus au moins historiques du saint Kukai. 88 temples jalonnent le chemin et pour compléter le pèlerinage, il faut rendre visite à chacun de ces temples. On peut cependant faire la route en une fois, en plusieurs fois, à l'endroit, à l'envers. Certains le font en bus, en voiture, à moto, en taxi. Pour les plus durs, c'est à pied, comme les tous premiers pèlerins d'antan. Le pèlerinage appartient à l`école Shingon du bouddhisme, mais il n'est pas du tout sectaires : que l'on soit bouddhiste ou pas, la route est ouverte.

Shikoku est le nom de l'île sur laquelle se trouve ce pèlerinage. C'est la quatrième des grandes îles japonaises. Elle est assez rurale, et lorsque l'on effectue le pèlerinage, on traverse de tout petits villages avec des maisons en torchis, des rizières, des vergers, mais aussi de grandes villes et des ports. Les pèlerins qui parcourent l'île ont chacun leur motif : ils effectuent le pèlerinage en temps de deuil, de recherche personnelle, pour vénérer Kûkai, ou parfois sans trop savoir pourquoi, par intuition.

 

Photo © L'Internaute Magazine / Agathe Azzis
"Ces idées se mariaiant bien avec l'esthétique japonaise de l'éphémère"

Comment avez-vous eu l'idée de faire ce pèlerinage ?

Ariane Wilson L'idée est venue peu à peu. D'une part, j'avais déjà fait une brève incursion sur Shikoku, six ans avant le voyage raconté dans ce livre, alors que je passais un an au Japon. Les montagnes un peu rudes et les paysages sauvages de l'île m'avaient plu, et deux petites journées m'avaient laissées sur ma faim. Ensuite, j'avais envie de retourner au Japon en y voyageant à pied. Parallèlement à cela, l'idée de l`abri que nous avons conçu et fabriqué avec Aude Lerpinière naissant en réponse à notre désir de créer un mode de vie léger, nomade et toujours changeant. Ces idées se mariaient bien avec l'esthétique japonaise de l'éphémère. Peu à peu, ces diverses envies se sont rejointes, et voilà, nous étions parties pour l`aventure. J'oubliais : la notion de pèlerinage m'est importante aussi, quelle que soit la religion à laquelle il est rattaché. La marche, l'évolution de soi, l'effort vers un but, la traversée d'un territoire sacré qui à déjà accueilli de nombreux pèlerins, tout cela aussi m`a guidée vers le pèlerinage de Shikoku.

 


Les temples sont nombreux au Japon. Pourquoi s`être uniquement cantonné à l`île de Shikoku ?

Ariane Wilson Eh oui, ils sont nombreux ! Il y en a à chaque coin de rue. J'en ai visité bien d'autres, puisque j'ai passé plus d'un an au Japon à une autre époque de ma vie. Les temples sont dans les villes des havres de paix et de verdure et des lieux de rencontre pour les habitants d'un quartier. Dans la campagne, ils servent de relais aux voyageurs et sont souvent très pittoresques. Toutes ces ambiances, nous les avons retrouvées à Shikoku. Les temples de Shikoku ne sont pas les plus splendides d'un point de vue architectural ou artistique, mais ils sont très "habités", justement par leur association au pèlerinage. Donc, notre parcours à Shikoku ne nous a pas empêché de voir d'autres temples !

Ce qui est intéressant à Shikoku, c'est ce chemin qui relie les temples et qui en fait un ensemble cohérent, comme un collier de perles (puisque le pèlerinage est circulaire). On collectionne en quelque sorte les visites aux temples et c'est leur succession qui est intéressante. Parfois, on y rencontrait beaucoup de monde, parfois, on avait les temples à nous. A chaque temple, on récolte une calligraphie. Ce moment permet de rencontrer le prêtre ou ses associés. Il y a un côté assez familial à ces temples, surtout les plus petits, qu`on ne trouve pas dans les grands temples de Kyôtô ou Nara, même si ce sont des joyaux.

 

Photo © L'Internaute Magazine / Agathe Azzis
"J'ai passé plusieurs semaines à me débarasser de mes attentes"

Vous êtes partie avec une amie. Avez-vous chacune vécu cette expérience de la même manière ?

Ariane Wilson Ca, c'est une bonne question. Dommage que Aude ne soit pas là pour répondre à mes côtés. Je prends donc l'initiative de répondre pour nous deux. Je pense que oui, nous l`avons vécu de manière très différente. D'abord parce que nos attentes l'étaient. Moi, j'avais déjà fait de longues marches, non pas de pèlerinage classiques, mais, par exemple, une traversée du Zanskar, dans l'Himalaya indien, avec mon violoncelle, qui ont eu pour moi une valeur de pèlerinage. J'avais déjà une petite connaissance du bouddhisme. Je pense que je "cherchais" certaines sensations auxquelles on parvient à force de marche, de récitations, de visites aux temples, alors que Aude venait avec moins d`attentes. Elle ne connaissait ni le Japon ni le bouddhisme et n'avait jamais fait de grand voyage éprouvant sur le plan physique. Je crois que sa plus grande ouverture à l'inconnu, était une bonne chose. J`ai passé plusieurs semaines en fait à me débarasser de mes attentes, à me vider de mes exigeances pour laisser le chemin me surprendre. Ce fut une bonne leçon !

 

 

N'avez vous jamais pensé à abandonner ?

Ariane Wilson Oui, je l'avoue ! Le chemin n'est pas très ardu en soi, mais il est vraiment très long. Le plus dur, ce sont les routes. Le terrain est plat, mais le bitume fatigue autant par sa texture que par sa monotonie. De plus, les voitures filent, font peur et sentent mauvais ! Dans la forêt, nous étions aux aguets des plaisirs de la nature et voulions au contraire que cela ne se termine jamais. Autre moment critique : Aude s'est blessé le pied. Elle a souffert d`une grave tendinite. Nous avons pour un petit temps pris des vélos (que nous poussions plus souvent que nous montions !), puis j`ai abandonné la mienne pour revenir à la marche et Aude a gardé la sienne tout au moins comme prothèse. Enfin, le poids de nos sacs pesait parfois sur notre enthousiasme. Nous n'avons pas abandonné car les habitants de Shikoku et toutes les personnes extraordinaires que nous avons rencontrées nous ont encouragées et soutenues. A faire la balance, les moments agréables et étonnants ont été beaucoup plus nombreux que les moments difficiles !

 

Photo © L'Internaute Magazine / Agathe Azzis
"L'abri était comme un interface entre nous et la culture du pèlerinage"

C`était quoi cet abri ?

Ariane Wilson Un ermitage nomade, une tente multiforme, un habit de nuit : il y aurait au moins 55 manières de le décrire, puisqu'il a adopté 55 formes, une par nuit ! Notre idée était de créer une structure légère qui puisse être formée et déformée de manière à changer d'aspect tous les soirs, selon le paysage, le climat, nos humeurs. La surface aussi devait changer, puisque de blanc qu'il était, il est devenu une superbe fresque de calligraphies. Nous l'avons inventé et fabriqué de toutes pièces, et de nos mains. L'abri était comme un interface entre nous et la culture du pèlerinage. Il reprenait certaines traditions liées au pèlerinage : le blanc des habits du pèlerins, les calligraphies dans les cahiers des pèlerins, les petits bouts de papier que les pèlerins laissent dans chaque temple. Je ne vais pas livrer complètement le secret de son astuce (la recette est dans le livre !), mais quelques indices quand même : grillage métallique léger et malléable, couches de textiles, l'une imperméable, l'autre ajourée comme un filet, pour l'effet esthétique. Le tout d`aspect très léger, aérien. Nous étions comme dans un petit cocon dans cet abri, mais nous pouvions aussi les laisser grand ouvert pour voir la lune et lui donner des formes étranges : vague pétrifiée, insecte timide, écran, dais... L'abri évoluait au fur et à mesure que nous le façonnions, tout comme nous évoluions au fur et à mesure que le pèlerinage nous façonnait !

 

Que vous a appris ce pèlerinage sur vous même et sur la culture japonaise ?

Ariane Wilson Je pense que la chose la plus marquante que j'ai apprise c'est de rester disponible aux choses. Au départ, ma volonté était telle que j'étais bornée ! Je voulais avancer, conquérir ce chemin. Pourtant, j'ai compris que chaque pas était important, chaque caillou, qu'il fallait être réceptif à tout et pas focalisé sur un objectif. Ensuite, le fait de répéter de nombreuses fois les mêmes actions (marcher, monter l'abri, chanter des incantations) même dans des contextes très divers donne une certaine sérénité, l'impression d'avoir une assise, une ligne de base, sur laquelle des mélodies, des évènements peuvent venir se greffer sans perturber cette stabilité. Sur la culture japonaise, j'ai appris l'immense fidélité des gens lorsqu'ils se sont engagés à vous soutenir, leur délicatesse, la subtilité de leurs attentions. Les choses se font souvent de manière très discrète, sans grande pompe, mais toujours avec une grande pertinence. J'ai aussi découvert une dimension religieuse des japonais qui ne se voit pas beaucoup dans la vie quotidienne.

Pour revenir à la première partie de la question, j'ai aussi beaucoup appris par le fait de voyager et de cohabiter avec une amie. Chacune a dû s'adapter à l'autre et dans des conditions de vies un peu rudes, on découvre des manières de réagir que l'on ne devine pas en soi ! Je crois que j'ai appris à être un peu moins intransigeante...

 

Photo © L'Internaute Magazine / Agathe Azzis
"Le danger est moindre là où on ne le voit pas"

Deux femmes seules, à pied ! N'avez-vous jamais eu peur ?

Ariane Wilson En fait, non. Il y a bien sûr de la criminalité et des "méchants" au Japon comme ailleurs, mais dans l'ensemble, c'est vraiment un pays très sûr. Lorsque j'y ai vécu un an, je n'ai jamais fermé la porte de mon appartement à clefs ! Pendant notre marche, personne ne nous a jamais conseillé de faire attention. Si les habitants n'ont pas peur et ne sont pas alarmés à l'idée que deux femmes dorment dehors dans un port par exemple, il n'y a pas raison d'être effrayé non plus. En plus de la sûreté du pays, il y avait le fait que nous étions pèlerins, et donc protégé par le respect que portent les habitants à ceux qui s'engagent dans cette entreprise, et un certain degré de superstition. On a accepté des invitations à dormir chez les gens, hommes et femmes, sans la moindre crainte. Et puis en général (petite leçon de morale !), je ne crois pas à la méfiance. J'applique ce principe à ma vie quotidienne où que je sois. Je pense que si l'on n'a pas peur des gens, si l'on ne montre pas de suspicion, les gens le sentent et sont en confiance. Le danger est moindre là où l'on ne le voit pas !

 

Quelle est la plus belle rencontre que vous ayez faite durant votre périple ?

Ariane Wilson Difficile de résumer ma réponse à une seule rencontre. Justement, le plus beau dans ce voyage, ce sont les rencontres. J'essaie d`en faire le portrait dans le livre. Nous avons rencontré beaucoup de personnes assez marginales, qui gravitent autour du paysage par ce qu'il les rassure et les accepte. Par exemple : celui que nous avons baptisé "l'homme à une dent" (voir interview), un homme un peu autiste mais si fidèle qui nous a guidé pendant deux jours sans nous parler, mais tellement présent. Ou Lynn, une femme moitié américaine moitié japonaise, complètement larguée dans un petit village côtier où elle s'était réfugiée avec son petit garçon de deux ans après un divorce pénible. Ou le saramitsu, vendeurs de motos et passionnés de culture de fruits exotiques qui nous ont fait goûté à toute leur collection de sake (alcool japonais) si bien que nous ne pouvions plus marcher droit. Ou Shinji, un ami artiste qui nous signalait sa présence en déponsant devant l'autel des temples de petits bonshommes blancs qu'il fabrique en papier plié. Ou Fuji-e, une très belle jeune femme qui veillait sur son vieux père ravi de voir débarquer chez lui deux pèlerines alors que toute son enfance, ses parents avaient accueillis pareils voyageurs et que, depuis le temps des autocars, les pèlerins ne passaient plus près de chez lui. Je pourrais continuer... Chaque jour des "anges" nous comblaient de gentillesse!

 

Avez-vous une autre destination en tête, voire un autre ouvrage ?

Ariane Wilson Le voyage m'a donné le goût de l'écriture et d'ouvrir grand les yeux sur un monde enchanteur malgré ses aspects tragiques aussi. Difficile de s'arrêter une fois que l`on est lancé. Oui, je repartirai (mais après avoir terminé mon diplôme d`architecture en 2007 !), peut-être moins loin, dans les pays d'Europe de l'Est, avec à nouveau un objet très personnel sur le dos. Et dans ce cas, j'écrirai ! Mais comme l`écriture est aussi en soi une manière de voyager, j'aimerais aussi m'essayer à de la fiction, on verra là où cela me mène... Les deux voyages que j'ai eu la chance de décrire dans des livres étaient en eux-mêmes comme des fictions réelles c'est à dire que tout est vrai, c`est de l'expérience véridique, mais dans des circonstances de vie réinventées par le voyage.

 

Photo © L'Internaute Magazine / Agathe Azzis

Quel est votre parcours universitaire ? Parlez-vous le japonais ?

Ariane Wilson D'abord, j'ai fait toute ma scolarité en anglais, en Belgique ! Puis je suis partie en Angelterre faire une maîtrise d`histoire à Cambridge puis un DEA en histoire de l'art à Londres. Je suis ensuite venue à Paris faire un peu de journalisme avant de partir un an au Japon. C'est là que je me suis décidée de tenter ce que j'avais toujours voulu faire sans oser le faire : de l`architecture. Je suis donc revenue à Paris et ai commencé ces longues études d`architecture que je termine, tout un travaillant pour des revues d'architecture, en voyageant et en écrivant ces deux récits de voyage. J'ai des connaissances plus ou moins potables en japonais. Je l'ai étudié losque j'habitais au Japon, assez assidûment puisqu'en vivant dans une petite ville de province, c'était nécessaire et agréable de pouvoir se débrouiller et bavarder avec mes voisins et comprendre ce qui se passait dans l`école où je travaillais (un lycée public japonais). A mon retour en France, j'ai continué en prenant des cours organisés par la Mairie de Paris (pas du tout cher et très bons). Ca entretient ce que j`avais comme acquis, mais j'aurais besoins de beaucoup de discipline pour entretenir l'écrit !

Bonne lecture et bons rêves réalisés !



EN IMAGES  Les plus belles photos du Pèlerinage des 88 temples
19 photos

Magazine Voyager Envoyer | Imprimer Haut de page
Votre avis sur cette publicité