Affaire Mila : réactions contrastées aux condamnations des harceleurs

Affaire Mila : réactions contrastées aux condamnations des harceleurs Un mois après l'ouverture du procès de l'affaire Mila, le tribunal de Paris a condamné douze des treize personnes qui comparaissaient pour cyberharcèlement à l'encontre de la jeune femme. Une "victoire" dont s'est félicitée Mila, mais qui divise encore sur les réseaux sociaux.

[Mis à jour le 7 juillet 2021 à 16h05] Fin du procès de l'affaire Mila. Ce mercredi 7 juillet, à la sortie du tribunal de grande instance de Paris, où le verdict a été prononcé, la jeune femme est apparue déterminée. "On a gagné, et on gagnera encore", a-t-elle assuré lors d'une courte prise de parole, confiant cependant s'être attendue "à bien pire". Mila a tenu au passage à remercier ses parents "pour la force qu'ils ont eue jusqu'à présent". "Ça fait 18 mois que ça leur est tombé dessus, qu'ils vivent le même calvaire que moi", a-t-elle poursuivi. Sur Twitter, les réactions n'ont pas tardé après l'annonce du verdict, à l'image de celle Marine Le Pen.

La présidente du Rassemblement national estime ainsi que "le procès des cyberharceleurs de Mila est loin d'avoir permis la condamnation de toutes les menaces de mort et de toutes les injures qu'elle a subies pour avoir exercé sa liberté d'expression et de critique d'une religion". Jean Messiha, quant à lui, a affirmé que "l'injustice a été rendue" dans ce procès "expédié en 4 jours", où "les agresseurs repartent en chantant". Du côté du gouvernement, le ministère de l'Intérieur a publié un communiqué dans lequel Marlène Schiappa rappelle sa "volonté est de protéger toutes les personnes qui sont menacées de violences : de Mila aux victimes de violences conjugales". "Le pays entier doit condamner les agresseurs et cesser de blâmer les victimes", déclare-t-elle. La Licra, enfin, évoque une "décision de justice à saluer", qui "réaffirme la valeur du droit et de nos libertés fondamentales".

Le "calvaire" dénoncé par Mila était depuis début juin au cœur de ce procès où comparaissaient treize personnes âgées de 18 à 30 ans, accusés de cyberharcèlement envers Mila, après ses propos jugés insultants à l'encontre de l'Islam. Toutes avaient été placées en garde à vue entre février et avril dans le cadre d'une enquête pilotée par la pôle national de lutte contre la haine en ligne. L'AFP avait fait savoir qu'ils ont tous reconnus être auteur des messages pendant leur entretien avec la police et expliquent "regretter" leur geste. Malgré les regrets, le tribunal avait réclamé une" peine d'avertissement " avec six mois de prison avec sursis à l'encontre des neuf prévenus poursuivis pour harcèlement et menaces de mort et trois mois de prison avec sursis pour les trois prévenus renvoyés pour harcèlement. Invoquant le bénéfice du doute, il avait par ailleurs choisi de demander la relaxe pour le treizième prévenu.

Ce mercredi 7 juillet, les peines ont bien été appliquées avec 4 à 6 mois de prison avec sursis pour 12 prévenus pour un "lynchage 2.0" . Dans le détail, la cour a considéré que le fait de poster un message malveillant sur un réseau social consiste à l'imposer à la victime", estimant que ces tweets s'apparentent à "une entreprise de harcèlement qui a eu un impact psychique et physique" sur Mila  "Ce que je veux, c'est que les personnes qui sont considérées comme pestiférées, à qui on interdirait les réseaux sociaux, soient (celles) qui harcèlent, qui menacent de mort, qui incitent au suicide. Je ne veux plus jamais qu'on fasse culpabiliser les victimes. Et comme je l'ai dit dans mon livre, force à nous " a expliqué Mila à la sortie du tribunal avant de tweeter cette réaction avec en légende "Force à nous !"

Retour sur l'affaire Mila, cyberharcelée pour blasphème

Après la médiatisation de l'affaire, Mila est restée silencieuse. La lycéenne n'est réapparue sur la scène médiatique que le 3 février 2020, sur le plateau de l'émission Quotidien, sur TMC, pour pouvoir s'exprimer sur les événement du 18 janvier 2020 et nuancer "l'image de cette fille sur la vidéo devenue virale". Avec ses propres mots, Mila a relaté le commencement de l'affaire : "Je faisais un direct sur Instagram, je me maquillais, j'étais contente (...). Un garçon me draguait lourdement durant ce live en me disant '"t'es belle, t'es bonne, t'as quel âge ?", je l'ai remis en place." Ensuite, lorsque le garçon l'a interrogée sur ses préférences sexuelles, elle a déclaré être lesbienne puis a précisé, pressée par ses interlocuteurs, ne pas être attirée par "les noirs et les rebeus". Dans la suite du live, un garçon l'a insultée "au nom d'Allah", et la conversation "a basculé sur la religion." "J'ai arrêté le live," conclut Mila.

En quelques minutes, la jeune fille a reçu une centaine de messages de haine et a repris son téléphone pour faire une mise au point en story sur Instagram :  "Je déteste la religion, le coran, il n'y a que de la haine là-dedans, c'est de la merde, c'est ce que j'en pense. On ne peut pas être raciste d'une religion. L'islam est une religion. J'ai dit ce que j'en pensais, vous n'allez pas me le faire regretter. Votre religion c'est de la merde." C'est à ce moment-là que le harcèlement a pris une autre ampleur, alors que sa vidéo était relayée en masse sur les réseaux sociaux.

La jeune femme a également profité de son passage dans l'émission pour préciser qu'elle n'avait plus de compte sur les réseaux sociaux. Revendiquant son droit à exprimer sa pensée sur une religion, la jeune fille a déclaré : "Je m'excuse un petit peu pour les personnes que j'ai pu blesser, qui pratiquent leur religion en paix, et je n'ai jamais voulu viser des êtres humains. J'ai voulu blasphémer, j'ai voulu parler d'une religion, dire ce que j'en pensais." Mila a toutefois déclaré regretter d'avoir tenu ces propos sur internet, dans un cadre ouvert à tous, et ne pas avoir mesuré "l'ampleur que [cela pourrait] prendre".

Mila, menacée de mort pour des propos blasphématoires

Rapidement, les défenseurs de Mila ont utilisé le hashtag "Je suis Mila" pour manifester leur soutien à la jeune fille, dont les coordonnées personnelles, comme son adresse, ont été diffusées sur internet. Suite aux insultes et menaces reçues par l'adolescente, la police était présente lundi matin devant son établissement, par mesure de prévention.

Le rectorat de Grenoble a indiqué au Huffington Post que "le proviseur de son établissement, situé dans le Nord Isère, a procédé à un signalement auprès du procureur de la République". Le rectorat a également indiqué qu'une "prise en charge physique et psychique" de Mila avait été confiée à la plateforme Net écoute. L'adolescente a de son côté porté plainte, selon France Info, et le procureur de Vienne a ouvert une enquête pour menaces de mort. Cette enquête sera menée par la section de recherches de la gendarmerie, compétente en matière de cybercriminalité.

Une autre enquête a été ouverte pour "incitation à la haine raciale" au sujet des propos de Mila, rapidement classée sans suite. Le procureur de la République de Vienne, Jérôme Bourrier, a précisé dans un communiqué : "Les investigations conduites aux fins d'exploitations des propos diffusés, d'analyse de leur dimension contextuelle, de la personnalité de leurs auteurs et des finalités poursuivies, n'ont révélé aucun élément de nature à caractériser cette infraction pénale."

Le harcèlement, un délit puni par la loi

Rappelons que le blasphème n'est pas condamnable en France : tout un chacun peut librement critiquer et même se moquer d'une religion, il s'agit d'une liberté consacrée en France. En revanche, les menaces, de viol ou de mort, sont passibles de condamnation, en vertu de l'article 222-17 du code pénal, qui dispose : "La menace de commettre un crime ou un délit contre les personnes (...) est punie de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende lorsqu'elle est, soit réitérée, soit matérialisée par un écrit, une image ou tout autre objet. La peine est portée à trois ans d'emprisonnement et à 45 000 euros d'amende s'il s'agit d'une menace de mort."

Dans le code pénal, le harcèlement moral, numérique ou non, est considéré comme un délit, et passible de condamnation, comme le dispose l'article 222-33-2-2 : "Le fait de harceler une personne par des propos ou comportements répétés (...) est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende (...). L'infraction est également constituée : a) Lorsque ces propos ou comportements sont imposés à une même victime par plusieurs personnes, de manière concertée ou à l'instigation de l'une d'elles, alors même que chacune de ces personnes n'a pas agi de façon répétée ; les faits mentionnés aux premier à quatrième alinéas sont punis de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende : 1° Lorsqu'ils ont causé une incapacité totale de travail supérieure à huit jours ; 2° Lorsqu'ils ont été commis sur un mineur de quinze ans ; 3° Lorsqu'ils ont été commis sur une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de leur auteur ; 4° Lorsqu'ils ont été commis par l'utilisation d'un service de communication au public en ligne ou par le biais d'un support numérique ou électronique ; 5° Lorsqu'un mineur était présent et y a assisté. Les faits mentionnés aux premier à quatrième alinéas sont punis de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende lorsqu'ils sont commis dans deux des circonstances mentionnées aux 1° à 5°."