Mayotte : face aux violences, l'île au bord de la "guerre civile" ?

Mayotte : face aux violences, l'île au bord de la "guerre civile" ? L'explosion de la violence observée ces derniers jours à Mayotte est le signe d'une "guerre civile" qui se prépare selon des élus locaux. Alors que des policiers du Raid sont arrivés en renfort sur l'île, l'escalade des violences peut-elle se poursuivre ?

A Mayotte une "guerre civile" se prépare à en croire les déclarations de plusieurs élus locaux. Les craintes s'expliquent par l'explosion de la violence observée sur l'île de l'Océan indien depuis plusieurs jours. Les affrontements qualifiés jusqu'à présent de violences urbaines entre bandes rivales sont apparentés à des actes "terroristes" par le maire de Mamoudzou, préfecture de l'île en proie à à ces violences. "Ce sont des terroristes qui se déplacent en groupes de 30, de 50 personnes et qui s'attaquent à des honnêtes gens. Cagoulés, armés de machettes, matin, midi et soir", a déclaré Ambdilwahédou Soumaïla, au micro de Franceinfo. L'édile, qui rappelle que Mayotte est sujette à la violence et alerte sur l'insécurité depuis une quinzaine d'année, estime que la violence est en train de passer un nouveau cap et en veut pour preuve la mort d'une jeune homme de 20 ans, abattu le 12 novembre à coups de machette par une bande de jeunes d'un village rival : "Quand vous tuez un jeune homme, que vous prenez son corps, vous le découpez, vous l'entreposez devant la route nationale et vous en faites un trophée, ça ne peut pas être de la violence urbaine, c'est du terrorisme".

Selon un décompte officiel, en octobre 2022 Mayotte comptait 346 faits de violence sur l'année mais d'après le maire de Mamoudzou "le vrai bilan n'est pas du tout mesurable". L'édile n'est pas le seul a considérer que "c'est une erreur" de réduire les événements à de la violence urbain. La député de la 1ère circonscription mahoraise, Estelle Youssouffa, a avancé devant l'Assemblée nationale que l'île est "au bord de la guerre civile". Les élus tentent depuis septembre 2022 de se faire entendre sur ces violences et le sentiment d'insécurité qui règne sur le département français "devenu un territoire de peur, de traumatisme et de deuil" selon le président de l'association des maires de Mayotte, Madi Madi Souf. Des discours qui ont (enfin) été entendus et ont poussé le gouvernement à envoyer une unité du Raid. Les policiers sont arrivés sur place le mardi 22 novembre et leur venue est comprise comme "un début de réponse".

L'auto-défense fait loi à Mayotte ?

Les récentes altercations à Mayotte semblent avoir pour origine des vendettas menées entre bandes rivales de différents quartiers de Mamoudzou. Signe que sur l'île, il est devenu commun de se faire justice soi-même ? L'auto-défense pourrait être une des explications à l'explosion de la violence, selon la députée Estelle Youssouffa qui en octobre a attaqué l'inaction gouvernementale sur l'île comparée à une "zone de non-droit" : "Si l'Etat ne fait rien, des citoyens vont s'en charger". Dimanche 20 novembre après un week-end de violence, une source policière a indiqué à l'AFP que "des habitants se sont armés de barres de fer et machettes pour se défendre contre les bandes". Les lenteurs de la justice et le manque de moyens des forces de l'ordre sont depuis longtemps pointés du doigt à Mayotte. D'ailleurs, lundi 21 novembre dans l'hémicycle, la députée la venue en renfort "des policiers", "des gendarmes", "le Raid", "le GIGN" tandis que le président du département a jugé sur Mayotte la 1ère qu'"il faut une présence continue ici à Mayotte".

Des vendettas à la "guérilla" à Mayotte ?

Les récentes altercations à Mayotte semblent être le fruit de vendettas entre quartiers. Après la mort d'un jeune homme de 20 ans lors d'un affrontement qui a aussi fait plusieurs blessés à Kawéni le 12 novembre dernier, les jeunes du secteur se sont organisés pour venger leur ami en entretenant la spirale infernale des violences. Selon les sources policières citées par l'AFP, le quartier de Kawéni a cherché à en découdre avec celui de Doujani un peu plus au sud et celui de Majikavo au nord de Mamoudzou. Les affrontements urbains et les bagarres qui peuvent se tenir les machettes en main à tout moment de la journée et n'importe où en ville ont créé un climat propice à la violence et conduit à la multiplication des agressions d'automobilistes, des dégradations de véhicules ou des incendies.

Les habitants de Mayotte, en particulier de Mamoudzou, sont les premières victimes de l'explosion de la violence. "Je suis traumatisé, je n'ai jamais vu autant de violence et pourtant, je me suis déjà fait agresser tellement de fois", a confié Mustapha, un cinquantenaire dont le dos est lardé de plusieurs coups de machettes au Figaro. Tandis qu'une source policière de l'AFP fait remarquer que "des habitants se sont armés de barres de fer et machettes pour se défendre contre les bandes". Plus récemment, des attaques en bande sont menées contre les forces de l'ordre. "Les jeunes étaient une centaine à nous faire face, à frotter leurs machettes sur le sol pour montrer qu'ils voulaient en découdre avec nous. Ils ont attaqué, on a dû se replier... Ensuite, on n'a pas eu d'autre choix que de forcer le barrage, de foncer avec nos véhicules pour les disperser", a relaté Abdel Aziz Sakhi, un policier syndicaliste dont les propos sont aussi repris dans Le Figaro.

Mayotte, victime de l'inaction politique ?

Si la violence n'est pas une affaire nouvelle à Mayotte, en 2021 un rapport sénatorial alertait déjà sur la violence et la "situation extrêmement préoccupante" de l'île, le phénomène prend cette fois des proportions plus importantes et peut être une conséquence des années d'inaction politique. C'est en tout cas l'avis de la députée de la 1ère circonscription mahoraise, Estelle Youssouffa. Depuis l'Assemblée nationale, l'élue sans étiquette met en garde contre une "guerre civile" et insiste sur "l'horreur", "la barbarie" et "la terreur" qui pèse sur l'île. Une situation qui n'est, selon elle, pas étrangère à la politique nationale ou plutôt l'absence de mesure prise pour répondre aux besoins et aux problématiques de Mayotte : "La passivité du gouvernement, c'est de la non-assistance à population française en danger." Au nom des Mahorais, la députée a déclaré avoir "l'impression d'être abandonné[e] par les autorités parce que ça fait des années que Mayotte appelle à l'aide. Est-ce qu'on est des Français comme les autres ? On est en train de tuer Mayotte dans l'indifférence générale", rapporte Franceinfo.

A Mayotte, la violence liée à l'immigration ?

Si Mayotte est en proie à une montée de la violence, elle doit aussi faire face à une importante immigration venue de l'archipel des Comores et dont une grande partie est clandestine. Pour certains responsables politiques, comme une nouvelle fois la députée Estelle Youssouffa, les deux phénomènes sont liés : "L'immigration clandestine est totalement liée à la violence". L'élue a pris soin de préciser dans l'hémicycle que sur l'île "plus de 50% de la population est étrangère et en grande majorité en situation irrégulière". D'après la députée, les enfants et jeunes adultes issus de l'immigration sont les mêmes qui "sèment la terreur" : "Tous nos services publics sont saturés. On a des milliers d'enfants, des mineurs étrangers isolés inexpulsables, d'adultes et qui sont en train de former des bandes qui sèment la terreur. Ils ont 12 ou 13 ans, se promènent avec des machettes, et tuent."

Mayotte subit une crise migratoire depuis plusieurs années et l'afflux de nombreux migrants sur son sol complique encore la situation déjà difficile de l'île qui est aussi le département le plus pauvre de France, comme le rappelait le rapport sénatorial publié le 27 octobre 2021. Mais selon les réseaux associatifs et militants, la surenchère des élus sur la responsabilité de l'immigration de l'escalade de la violence est infondée. Plus que l'immigration, l'origine de la violence urbaine est selon ces réseaux la situation économique et sociale très tendue.