La soumission chimique, la nouvelle arme des violeurs ?

La soumission chimique, la nouvelle arme des violeurs ? Révélées par plusieurs affaires d'abus sexuels, les cas de soumission chimique semblent plus nombreux ces dernières années. Si certains sont opportunistes, d'autres interviennent dans un cadre privé.

Alors que le procès de celui qu'on surnomme le "violeur de Tinder" doit se tenir du 18 mars jusqu'à la fin du mois, la question de la soumission chimique va enfin être abordée par la justice. Cette technique, visant à droguer une personne pour pouvoir ensuite en abuser, sexuellement en l'occurrence, est suspectée d'être une partie intégrante du mode opératoire de Salim Berrada, le mis en cause dans l'affaire du violeur de Tinder, selon les conclusions de l'enquête. Pour rappel, l'homme est suspecté d'avoir violé 13 jeunes femmes et d'en avoir agressé sexuellement quatre autres entre 2014 et 2016.

Cette affaire n'est pas la première à mettre en évidence la potentielle soumission chimique en tant qu'arme de prédateur sexuel. L'affaire dite des viols de Mazan, dans laquelle un sexagénaire est accusé d'avoir drogué se femme pour la livrer comme objet sexuel à une cinquantaine d'inconnus, a également fait couler beaucoup d'encre. Pendant dix ans, entre 2010 et 2020, l'homme a organisé les viols de sa femme sur internet sans que cette dernière n'ait eu conscience du marché ou des violences sexuelles dont elle faisait l'objet.

Plus récemment, l'affaire qui a opposé la députée Sandrine Josso et le sénateur Joël Guerriau a encore mis en évidence le fléau de la soumission chimique. L'élue de Loire-Atlantique a porté plainte contre le parlementaire pour l'avoir droguée à son insu et l'homme a été mis en examen pour "administration d'une substance en vue de commettre un viol ou une agression sexuelle". Toutes ces affaires seront jugées, notamment celle des viols de Mazan de septembre à décembre 2024.

La soumission chimique, un phénomène plus répandu ?

La soumission chimique n'est pas une technique nouvelle, la preuve avec les dates des faits suspectés dans les affaires précédemment cités. Le détournement de certains médicaments à des fins criminelles avait déjà poussé les industries pharmaceutiques à rendre certains produits plus facilement détectables, par la couleur notamment, et à rendre d'autres accessibles uniquement sur ordonnance.

L'Agence nationale de sécurité du médicament se penche sur le sujet depuis longtemps et a mis en place dès 2003, avec l'aide du centre d'addictovigilance de Paris, un dispositif d'observation annuel pour recenser les cas de soumission chimique enregistrés partout en France. Seulement, ces dernières années, les chiffres prouvent que le nombre de signalements a nettement augmenté et a même triplé entre 2021 et 2022 : l'ANSM comptait 593 cas "d'agressions facilitées par les drogues", contre 727 en 2021 et 2 000 en 2022 a indiqué Leila Chaouachi, docteure en pharmacie en charge de l'enquête nationale auprès de l'ANSM, sur France Inter.

Jusqu'à très récemment, la soumission chimique était entendue comme la conséquence du seul GHB, connu sous le nom de "drogue du violeur", mais le plus souvent ce sont des médicaments qui sont en cause : des somnifères, des anxiolytiques, des antalgiques ou des antihistaminiques liste la spécialiste. En 2022, 56% des cas étaient dus à des médicaments, le reste à diverses drogues.

Si tous les cas ne sont pas forcément des soumissions chimiques - certains peuvent relever de la "vulnérabilité chimique" après que la victime ait volontairement pris des substances - , ils donnent une idée de l'ampleur du phénomène. Caroline Darian, fondatrice de l'association M'endors pas et fille de la victime de l'affaire des viols de Mazan, abonde dans ce sens et assure dans La Provence que les soumissions chimiques ne sont pas des "cas isolés" mais représentent "un fléau sociétal" qui "touche toutes les couches de la société, toutes les catégories socioprofessionnelles et tous les âges." Alors que la soumission chimique est souvent ramenée au GHB glissé dans un verre laissé sans surveillance en boîte de nuit, "la réalité c'est qu'elle se passe le plus souvent dans la sphère intra familiale et privée" selon Caroline Darian. La libération de la parole qui a suivi après la médiatisation de certaines affaires explique notamment le nombre de signalements en hausse. Mais ces chiffres restent parcellaires, car ils ne peuvent tenir compte de toutes les victimes qui ne déposent pas plainte ou qui ignorent avoir été droguées et abusées.

Quid de la soumission chimique dans la loi ?

La soumission chimique n'est pas explicitement reconnue comme un délit ou un crime pour le droit pénal français. Elle y est simplement mentionnée comme une circonstance aggravante en cas de viol ou d'agression sexuelle visant une personne droguée. Un ajout permis par un loi de 2018 et qui rend ces faits passibles de cinq ans de prison et d'une amende 50 000€. "Cela ne semble pas avoir beaucoup effrayé les gens", estime toutefois Caroline Darian.

Malgré la multiplication des affaires sur les abus sexuels impliquant la soumission chimique, ni le ministère de la Justice, ni celui de la Santé ne se sont saisis du sujet, comme l'a également fait remarquer Caroline Darian. Mais en mars 2024 une mission gouvernementale sur la lutte contre les agressions par soumission chimique a été ouverte et confié à la députée Sandrine Josso. L'élue et l'association ont d'ailleurs décidé de travailler ensemble sur ce sujet, notamment pour la prise en charge des victimes de soumission chimique. Pendant six mois, la députée va interroger les différents acteurs de la lutte contre les agressions par soumission chimique pour dresser un état des lieux et proposer des réponses adaptées.