L'abbé Pierre malade psychiatrique ? Un message envoyé à un ministre en dit long sur les suspicions d'agressions
L'abbé Pierre est accusé de violences sexuelles par de nombreuses femmes. Après les sept premiers témoignages au printemps, les révélations sont tombées à la chaine. Le 6 septembre, 17 nouvelles accusations ont été rapportées, dont certaines portent sur des faits pouvant s'apparenter, selon leur description, à des viols. Selon certains des témoignages, ce comportement était connu dans plusieurs structures fondées par le religieux. Les affaires auraient bien souvent été étouffées et l'abbé Pierre serait même allé jusqu'à menacer ceux qui étaient au courant de ses prétendus agissements.
C'est ce qu'a révélé la cellule investigation de Radio France qui s'est penchée sur une partie de la correspondance de l'abbé Pierre. Dans l'un des courriers, daté de 1955, l'abbé Pierre s'adresse à Suther Marshall, un étudiant américain qui avait co-organisé le séjour aux Etats-Unis de l'abbé. Lors de ce voyage, plusieurs femmes se sont plaintes du comportement du religieux. Cette visite aurait même été écourtée à la demande du théologien catholique Jacques Maritain, afin d'éviter le scandale.
Suther Marshall aurait alors décidé de prévenir un proche de celui qui luttait contre le mal-logement : "J'ai vu tant de choses pendant le voyage, des façons d'agir du Père comme individu. Je pense, par exemple, à Chicago, quand il avait été explicitement décidé que la condition de continuer le voyage était que le père ne soit jamais seul. Il était d'accord et après [il disparaissait] pendant des heures, au point d'être en retard pour une réunion", a-t-il écrit. Un courrier qui n'aurait pas du tout plu à l'abbé Pierre, qui se serait montré menaçant : "Tu promettais de ne plus te mêler de cette multitude de choses où tu ne sais accumuler que des ravages, chaos et infection. Sache que pas une récidive ne restera sans réponse, et s'il le faut [mes réponses seront] brutales, chirurgicales".
L'abbé Pierre isolé pour étouffer des affaires ?
En 1957, notamment suite à cette affaire, l'Eglise et Emmaüs auraient voulu mettre le religieux en repos forcé. Il aurait alors été envoyé dans une clinique psychiatrique en Suisse, interné sous le motif officiel de "raisons de santé". Cependant, la véritable raison de cet éloignement semble clair pour Axelle Brodiez-Dolino, autrice d'Emmaüs et l'abbé Pierre, auprès de franceinfo : "la peur d'un scandale sexuel. L'Église avait besoin de l'abbé Pierre qui redorait son image et sa popularité et ne pouvait pas se permettre qu'un tel scandale n'éclate". Pendant six mois, l'abbé aurait pris de nombreux médicaments, qui l'assommait, dormant jusqu'à parfois "sept jours d'affilée". Emmaüs aurait aussi à ce moment-là exigé de l'abbé Pierre qu'il se retire de la direction.
Pourtant, Edmond Michelet, ministre de la Fonction publique à l'époque, aurait eu l'intention de décorer l'abbé pour son action publique. L'archevêque de Paris, le cardinal Feltin, aurait alors immédiatement réagi dans une lettre datée de juin 1958 : "Laissez-moi vous assurer qu'à l'heure présente, cette distinction est fort inopportune, car l'intéressé est un grand malade, traité en Suisse dans une clinique psychiatrique et je pense qu'en raison de ces circonstances fort pénibles, il vaut mieux ne pas parler de cet abbé".