Affaire Bétharram : un suicide, des plaintes pour viol, agressions... L'horreur derrière l'enquête judiciaire
112 plaintes déposées pour dénoncer des sévices physiques et des violences sexuelles, allant parfois jusqu'au viol, qui se sont produits pendant plus de 50 ans derrière les murs de Notre-Dame de Bétharram. L'affaire est sans précédent. Les faits dénoncés par les plaignants, qui sont essentiellement d'anciens pensionnaires du collège-lycée catholique fondé en 1837 à Lestelle-Bétharram, dans les Pyrénées-Atlantiques, ont eu lieu entre les années 1950 et le début des années 2010.
Mais ce n'est qu'à l'approche du passage à l'an 2000 qu'une première enquête a révélé au grand jour ces violences et maltraitances, notamment après la première plainte pour viol visant le père Carricart qui était alors le directeur de l'institution Notre-Dame de Bétharram. L'affaire a de nouveau éclaté et pris l'ampleur qu'on lui connaît aujourd'hui en février 2024 après les signalements et les plaintes déposées par un collectif d'anciens élèves de l'établissement. Depuis, les langues se délient et les témoignages affluent sur les mauvais traitements et les violences sexuelles infligées aux anciens pensionnaires. Certains ont évoqué "un régime de la terreur" dans les colonnes du Monde.
Si de graves accusations portent sur l'institution Notre-Dame de Bétharram, d'autres visent le Premier ministre François Bayrou qui, selon les témoignages d'anciens élèves et de magistrats, était au courant des plaintes concernant les violences physiques et sexuelles. Le maire de Pau, qui a scolarisé plusieurs de ses enfants dans l'établissement catholique, nie avoir été au courant des atrocités dénoncées, malgré des éléments tangibles révélés par différents médias comme la lettre qu'une victime lui avait adressée.
Sévices corporels, punition du "perron" et viols
Sur les 112 plaintes déposées contre l'institution Notre-Dame de Bétharram selon le décompte d'Alain Esquerre, fondateur du collectif d'anciens élèves créé en 2023, environ 50 dénoncent des faits à caractère sexuel d'après le parquet de Pau. Elles visent aussi bien des religieux que des laïcs qui travaillaient comme surveillants dans l'établissement. Les plaignants dénoncent des attouchements et des agressions sexuelles qui pouvaient avoir lieu dans les couloirs, mais aussi dans les dortoirs quand des religieux et responsables laïcs s'introduisaient dans les chambres. Jean-Marie Delbos, un des plus anciens plaignants scolarisé à Bétharram entre 1957 et 1961, évoque les visites nocturnes qu'un curé rendait aux enfants auprès de France 3 : "Il venait soutane ouverte, et il nous masturbait, il nous faisait une fellation. De là, il repartait sur un autre lit et il faisait son truc. Il nous disait 'rendormez-vous, c'est pas grave'." "J'étais terrorisé, incapable de la moindre réaction. J'avais quinze ans", se souvient-il.
Les anciens élèves n'ayant pas été violés s'estiment parfois "chanceux" d'avoir "seulement" été attouchés ou alors violentés physiquement. L'institution Notre-Dame de Bétharram, qui était connue pour discipliner ses pensionnaires avec des méthodes musclées plongeait les enfants dans un climat violent selon plusieurs témoignages : "Celui qui ne frappait pas n'était pas respecté là-bas", glissait un plaignant au Monde en 2024. Les récits font mention de gifles si violentes que l'une d'elles a fait perdre une partie de l'audition à un enfant selon une plainte de 1966 et qui pouvaient laisser des "visages ensanglantés". Des claques, des coups de règle sur les doigts "jusqu'au sang" ou encore des sévices comme le fait de "rester à genoux sur une règle métallique jusqu'à ce que perlent des gouttes de sang" sont cités comme des moyens de punition. Mais les plaignants gardent en mémoire l'un des pires châtiments : la punition du "perron" qui consistait à leur faire passer la nuit dehors à moitié nu ou simplement vêtu d'un pyjama dans des températures très froides, voire négatives.
Des "actes de violences physiques et d'abus sexuels" qui ont continué jusqu'à récemment puisque les dernières plaintes déposées portent sur des faits survenus "entre 2013 et 2016", indiquait Alain Esquerre à France 3.
Des accusations de viols et un suicide
Les plaintes ayant fait le plus réagir sont celles déposées à l'encontre du père Carricart à la fin des années 1990 pour au moins deux viols. La première plainte accusait le prêtre qui dirigeait l'institution religieuse à l'époque d'avoir violé un jeune garçon après lui avoir annoncé la mort de son père. "Le père Carricart avait réveillé l'élève pour lui annoncer ce décès et lui avait dit qu'il devait se rendre aux obsèques à Bordeaux. Avant de partir prendre le train, le religieux lui a fait prendre une douche et lui a imposé une fellation alors que l'enfant était complètement sonné par l'annonce de la mort de son père", relate Christian Mirande, juge d'instruction au tribunal de Pau qui était en charge de l'enquête en 1998, à Médiapart.
La deuxième plainte concernait un garçon marginalisé que le père Carricart prenait toujours avec lui pendant les camps de vacances pour lui "éviter des soi-disant problèmes familiaux" et sur lequel le religieux procédait à des viols, toujours selon le juge d'instruction à la retraite. Le prêtre, mis en examen et un temps placé en détention provisoire après le dépôt de la première plainte, s'est suicidé avant d'être entendu sur la seconde affaire en se jetant dans le Tibre en 2000.
Des dizaines de mis en cause, certains sont toujours vivants
L'affaire Notre-Dame de Bétharram et les plaintes qui y sont liées mettent en cause 22 adultes et une personne qui était mineure au moment des faits. 12 de ces individus sont toujours en vie. Les accusations se concentrent cependant sur deux laïcs qui sont encore vivants aujourd'hui et un prêtre décédé avec 59, 23 et 17 plaintes déposées contre eux, précise Franceinfo. Le religieux en question pourrait être le père Carricart.
Si plus d'une centaine de plaintes ont été déposées à ce jour, Alain Esquerre estime que de nombreux autres actes de violences et de violences sexuelles n'ont pas encore été révélés. "Je pense que ce n'est que la partie émergée de l'iceberg", déclare-t-il à 20Minutes évoquant les personnes qui se disent que les faits sont prescrits, celles qui ne croient pas à la tenue d'un procès et celles pour qui c'est "trop douloureux" d'en parler. Et le lanceur d'alerte de cette affaire d'ajouter : "C'est pourquoi je pense qu'un nouveau déclenchement de plaintes ne sera désormais possible que lorsqu'une information judiciaire sera ouverte. Ces personnes seront alors rassurées de voir que leur parole est reconnue par l'institution judiciaire".