Cédric Jubillar innocent et accablé par de "faux" éléments ? La thèse osée de la défense
C'est une scène rare qui a eu lieu au procès de Cédric Jubillar, celle d'un magistrat appelé à la barre. Les avocats de la défense ont demandé à faire comparaître l'ancien procureur de la République de Toulouse en fonction lors de la mise en examen du suspect, Dominique Alzéari. Le magistrat avait donné une conférence de presse le 18 juin 2021 pour annoncer le placement en détention provisoire du peinte-plaquiste pour "homicide volontaire sur conjoint", six mois après la disparition de Delphine Jubillar à Cagnac-les-Mines, dans le Tarn.
Une conférence de presse qui a été la dernière intervention de Dominique Alzéari dans le dossier et au cœur des débats à la cour d'assises du Tarn ce lundi 29 septembre. "Vous êtes le péché originel de ce dossier. À partir de là, il a fallu qu'on rétablisse un bon nombre de vérités", a lancé Me Alexandre Martin, un des avocats de Cédric Jubillar, au magistrat. La défense accuse l'ancien procureur d'avoir fait passer le mis en cause pour le coupable dans l'affaire Jubillar, notamment en communiquant sur des éléments de l'enquête qu'elle juge "faux".
Lors de sa prise de parole de 2021, rediffusée en intégralité lors du procès, Dominique Alzéari avait écarté la piste d'un départ volontaire de Delphine Jubillar et retenu le chef d'homicide volontaire malgré l'absence de corps. Une qualification que Me Jean-Baptiste Alary, ancien avocat de Cédric Jubillar, avait jugé "incompréhensible" dans Ouest-France. Il avait par ailleurs soutenu qu'il "existe une contestation sérieuse à chaque élément à charge" contre l'accusé. Une position qui est toujours celle de la défense quatre ans plus tard.
"C'est faux" : les déclarations du procureur retoquées par la défense
"Vous n'êtes pas un menteur, vous dîtes des choses fausses", a déclaré Me Emmanuelle Franck en résumé de sa pensée concernant l'ancien procureur. Elle a ensuite démenti plusieurs affirmations faites par le magistrat durant la conférence de presse : "La fin de connexion du téléphone de Delphine à 22h50 ou 55, c'est faux. Le fait que Delphine Jubillar avait fait un crédit pour acheter une voiture, c'est faux. Vous dîtes avoir fait le tour de ses relations passées : faux. Le fait qu'ils faisaient chambre à part : faux. Pourquoi avez-vous dit tout cela ?" rapporte La Dépêche. Asséné par les questions, le magistrat assure s'être appuyé sur le dossier d'instruction : "C'est ce que j'avais entendu et c'est ce qui avait été dit par les enquêteurs". Interrogé sur d'éventuelles erreurs, il a reconnu "des approximations" qui étaient celles faites par le dossier d'instruction.
L'enquête, qui s'est poursuivie plusieurs années après la conférence de presse, a permis de préciser et de corriger plusieurs éléments, comme le fait que l'infirmière de 33 n'aurait pas contracté de crédit pour acheter une voiture. L'enquête est aussi revenue sur l'affaire de la machine à laver. Durant la conférence de presse, le magistrat avait indiqué que le soir de la disparition Cédric Jubillar aurait mis la couette de Delphine à laver seulement quelques minutes avant l'arrivée des gendarmes. Une information depuis vérifiée par l'enquête et contredite.
En revanche, les avocats de la défense remettent en cause des éléments appuyés par des témoignages. Si elle assure que le couple Jubillar ne faisait pas chambre à part, plusieurs indices indiquent que le soir de la disparition l'infirmière passait la nuit sur le canapé. Les avocats reviennent aussi sur l'hypothèse d'une dispute qui aurait éclaté entre Delphine et Cédric Jubillar quelques heures avant la disparition. Selon le témoignage de Louis, l'aîné du couple, ses parents se seraient effectivement accrochés et aurait haussé le ton dans la nuit du 15 au 16 décembre. L'enfant, âgé de 6 ans au moment des faits, ne fait toutefois pas mention de violences physiques.
Les avocats de l'accusé s'appuient alors sur la première audition de l'enfant durant laquelle il aurait évacué ce scénario selon les propos rapportés par Me Alary à Ouest-France en 2021. Louis aurait dit : "Maman et papa pas disputé, j'ai été au lit, ils ont pas crié". La thèse de la dispute peut toutefois expliquer les témoignages des voisins qui assurent avoir entendu des cris. Des éléments également écartés par la défense qui relève que les voisins directs n'ont pas signalé de bruit le soir de la disparition.
Des appréciations ayant porté préjudice à Cédric Jubillar ?
Si les avocats de la défense accusent l'ancien procureur de Toulouse d'avoir rapporté de fausses informations, ils lui reprochent aussi d'avoir porté des "appréciations sur le bien-fondé des charges". Selon eux, le magistrat serait allé plus loin que le dossier dans la retransmission des éléments factuels de l'enquête. "Quand vous exposez publiquement une interprétation selon laquelle la prégnance du conflit [conjugal] est de l'ordre du mobile, est-ce que vous ne portez pas une appréciation ?", a demandé Me Martin. Réponse du témoin : "Non."
Après avoir écarté la possibilité d'un départ volontaire de l'infirmière qui n'avait "strictement" aucune "raison objective, humaine, matérielle, affective" de disparaître, selon les mots utilisés 2021, Dominique Alzéari incriminait Cédric Jubillar. Le portrait du suspect dépeint par le magistrat était suffisamment biaisé pour présenter le suspect comme le coupable selon les avocats de la défense. Le procureur avait indiqué à l'époque que le peintre-plaquiste était "parfaitement au courant du fait que son épouse avait un amant et c'était quelque chose d'extrêmement conflictuel", qu'il était dans "une forme de déni", qu'il "parlait de son épouse au passé et avait "vite repris une vie affective".
Il décrivait un homme "brutal, grossier, agressif" qui avait proféré des "mensonges" en audition et fourni des explications "évolutives". Dominique Alzéati avait également rappelé la présomption d'innocence et avait souligné que le mis en cause "conteste toute implication". En conclusion, il estimait que "des indices graves et concordants" justifiaient "cette mise en examen et ce placement sous mandat de dépôt". Une position de laquelle l'ancien procureur de Toulouse ne déroge pas quatre ans plus tard. Lui, qui assure ne pas s'être repenché sur l'affaire depuis cette conférence de presse, soutient avoir rapporté les éléments de l'instruction portés à sa connaissance, ni plus, ni moins.