Vaccin Spoutnik V : une homologation retardée ? Le bras de fer Russie-UE continue

Vaccin Spoutnik V : une homologation retardée ? Le bras de fer Russie-UE continue SPOUTNIK V. L'Agence européenne des médicaments examine le vaccin depuis le 4 mars et les débat font rage sur son homologation. Vladimir Poutine estime que la décision est retardée intentionnellement pour raisons géopolitiques. Le président russe doit se faire vacciner ce mardi.

[Mis à jour le 23 mars 2021 à 12h40] Le bras de fer entre la Russie et l'Union européenne se poursuit au sujet du vaccin Spoutnik V. En cours d'examen par l'Agence européenne des médicaments, depuis le 4 mars, le sérum russe ne fait pas l'unanimité et semble soumis à quelques vérifications supplémentaires. Emer Cook, directrice de l'EMA a précisé ce mardi, au Parlement européen : "Nous sommes en train de planifier des inspections en Russie sur le terrain. Nous allons respecter les mêmes normes que pour les autres vaccins". Certains représentants y voient le moyen de retarder l'homologation du vaccin pour des raisons géopolitiques plus que sanitaires. Une idée que partage Vladimir Poutine, le président russe s'est adressé aux Européens, sans détour, lors d'une réunion sur la vaccination : "Nous ne forçons personne à faire quoi que ce soit (...) mais nous nous interrogeons sur les intérêts que défendent ces gens, ceux des entreprises pharmaceutiques ou ceux des citoyens européens ?". Une réponse acerbe à la Commission européenne après que Thierry Breton, commissaire européen chargé du Marché intérieur, a assuré "ne pas avoir besoin" de Spoutnik et l'a relégué au rang de vaccin de "complément", dimanche 21 mars sur TF1. Pour faire cesser les critiques à l'égard de Spoutnik V, le chef de Moscou a promis de se faire vacciner mardi 23 mars, cependant nul ne sait si l'injection contiendra le vaccin au centre des discussions ou l'un des deux autres développés par les laboratoires russes.

La Russie à la recherche de partenariats pour produire le vaccin Spoutnik V

4,3 millions de Russes ont à ce jour reçu les deux doses du vaccin sur 146 millions d'habitants que compte le pays. Un rythme des plus lents dû aux capacités de production nationales limitées. Vladimir Poutine a fait le choix les réserver pour l'approvisionnement de la population russe. Mais il ne renonce pas à l'utilisation de son sérum au delà de ses frontières, il ne reste alors qu'une solution : conclure des accords de production à l'étranger. L'AFP rapporte que la Russie a récemment conclu trois accords avec l'Inde pour la production de 652 millions de doses. Et le vaccin russe tient également à sa présence en Europe. Lundi 15 mars, le Fonds souverain russe (RDIF) a indiqué que des ententes ont été trouvées "avec des sociétés d'Italie, d'Espagne, de France et d'Allemagne". Pourtant, l'Humanité indique qu'aucun partenariat n'a été évoqué auprès de la chambre de commerce et d'industrie franco-russe. Le cabinet de ministère français de l'Industrie a d'ailleurs fait savoir qu'il n'y avait "pas à cette date, de contrats pour la production de Spoutnik V en France ".

Lors de son discours, le patron du fonds d'investissement, Kirill Dmitriev, ne s'est pas arrêté là et a ajouté : "Il y a actuellement d'autres pourparlers en cours pour augmenter la production dans l'UE. Cela permettra de commencer à approvisionner le marché unique européen en Spoutnik V dès l'autorisation par l'Agence européenne du médicament". Mais il n'a pas donné de détails, ni nommé les entreprises européennes concernées. Moscou franchit, de fait, une nouvelle étape pour diffuser son vaccin. Pour gagner du terrain, Kirill Dmitriev a profité de l'occasion pour indiquer que la Russie se tenait prête pour "lancer l'approvisionnement des pays de l'UE qui autoriseront Spoutnik V indépendamment" de l'autorité européenne, à l'instar de la Hongrie ou de la Slovaquie. Pour l'heure, la plupart des pays membres s'en remettent à l'avis de l'EMA, alors en attendant une possible homologation, la Russie a d'ores et déjà annoncé être en capacité de livrer 50 millions de doses d'ici le mois de juin.

Le scepticisme laisse place à la confiance

En août 2020, l'annonce de la création du vaccin Spoutnik V, au sein du Centre national d'épidémiologie et de microbiologie de Gamaleya, avait pourtant été accueillie avec scepticisme de la part des occidentaux. Le sérum était alors le premier à être présenté comme efficace dans le monde. Depuis, plusieurs études, dont une publiée dans la revue médicale The Lancet, ont rapporté des taux d'efficacité plus qu'encourageants, avoisinants les 92%, et de fait, similaires à ceux avancés par les laboratoires Pfizer et Moderna. "Le développement du vaccin Spoutnik V a été critiqué pour sa précipitation, le fait qu'il ait brûlé des étapes et une absence de transparence. Mais les résultats rapportés ici sont clairs et le principe scientifique de cette vaccination est démontré", ont ainsi indiqué deux spécialistes britanniques, les professeurs Ian Jones et Polly Roy, dans un commentaire joint à l'étude du Lancet.

Quelle efficacité pour le vaccin Spoutnik V ?

Cette étude du Lancet place donc Spoutnik V parmi les vaccins les plus performants, avec ceux de Pfizer/BioNTech et Moderna efficaces autour de 95% mais utilisant l'ARN messager. Dans le détail, les données recueillies par les scientifiques indépendants proviennent du dernier stade des essais cliniques du vaccin, la phase 3, qui porte sur près de 20 000 participants. Les participants à l'essai mené entre septembre et novembre ont tous reçu deux doses de vaccin ou de placebo à trois semaines d'intervalle. A chaque fois, cela s'accompagnait d'un test PCR. Dans les jours suivant l'administration de la deuxième dose, un test PCR n'était réalisé que chez les personnes qui développaient des symptômes. Au total, 16 volontaires sur 14 900 qui avaient reçu les deux doses du vaccin ont été testés positifs (soit 0,1%), contre 62 sur 4 900 qui avaient reçu le placebo (soit 1,3%). Toutefois, les auteurs de l'étude expliquent que "l'analyse de l'efficacité ne porte que sur les cas symptomatiques". "D'autres recherches sont nécessaires pour cerner l'efficacité du vaccin sur les cas asymptomatiques et sur la transmission".

Comment est formé le vaccin Spoutnik V ?

Le vaccin Spoutnik V est un vaccin "à vecteur viral", c'est à dire qu'on prend pour base d'autres virus, rendus inoffensifs et adaptés pour combattre le Covid (technique utilisée par le vaccin d'AstraZeneca/Oxford). Dans le détail technique de sa conception, alors que le vaccin d'AstraZeneca est basé sur un unique adénovirus de chimpanzé, le Spoutnik V russe utilise deux adénovirus humains différents pour chacune des deux injections. Selon ses concepteurs, le fait d'utiliser pour le rappel un adenovirus différent de celui de la première injection pourrait provoquer une meilleure réponse immunitaire.

Quels effets secondaires pour le vaccin Spoutnik V ?

À l'heure actuelle, il existe encore peu de données sur les effets secondaires du vaccin Spoutnik. Mais selon une analyse du laboratoire Gamaleya Research Institute- Health Ministry of the Russian Federation, "aucun événement indésirable grave n'a été détecté" lors de la première injection. En revanche, "un effet secondaire était plus fréquent après la seconde injection. Une douleur au point d'injection était signalée par 58% des participants (52,6% avec le vaccin congelé et 63,2% avec le lyophilisé). Les événements indésirables systémique les plus fréquents étaient une hyperthermie (52% des participants sur l'ensemble des sujets inclus dans les deux essais, 81,6% avec les vaccins congelés, 23,6% avec les lyophilisés), des céphalées (respectivement 42%, 52,6% et 31,6%), une asthénie (respectivement 28%, 44,7% et 10,5%), et douleurs musculaires et douleurs articulaires (respectivement 25%, 28,9% et 23,7%)."

Le vaccin distribué en Europe ?

Le Spoutnik V est pour le moment homologué dans plus de quinze pays, d'ex-républiques soviétiques restées proches comme le Bélarus et l'Arménie, des alliés comme le Venezuela et l'Iran, mais aussi la Corée du Sud, l'Argentine, l'Algérie, la Tunisie ou le Pakistan, le Mexique le Maroc et le Kenya.. Pour l'instant le Kazakhstan, l'Inde, la Corée du Sud et le Brésil produisent le Spoutnik V alors que la Russie a annoncé avoir reçu des commandes de plus d'un milliard de doses. À l'heure actuelle, sa circulation est encore absente en Europe, hormis en Hongrie et en Slovaquie, mais elle pourrait très vite changer. Jeudi 4 mars, l'Agence européenne des médicaments a en effet annoncé avoir commencé l'examen du sérum. L'EMA n'a pas communiqué de date pour rendre son verdict mais Moscou a affirmé, ce 15 mars, que des accords de production été conclus avec des sociétés italiennes, espagnoles, françaises et allemandes. Le patron du Fonds souverain russe a également annoncé que Moscou pouvait approvisionner les pays membres de l'UE qui autoriseront le vaccin, même sans l'aval de l'Agence européenne des médicaments. La Russie se dit prête à livrer 50 millions de doses en Europe pour le mois de juin.

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