Les photos censurées de la Grande Guerre

Les photos censurées de la Grande Guerre Pendant la Grande Guerre, de nombreuses images du front ont été censurées, pour des questions stratégiques comme de propagande. Une exposition a dévoilé au grand public les clichés les plus emblématiques...

Les clichés de la Première Guerre mondiale fascinent encore, cent ans après le conflit. Produites pour la plupart à l'époque par la Section photographique de l'armée (SPA), celle-ci étaient soumises à un contrôle très strict avant leur diffusion. Pour des raisons aussi bien stratégiques que de propagande, certaines n'ont jamais été montrées aux contemporains du conflit. L'exposition "Images interdites de la Grande Guerre", mise en place par le Service historique de la Défense (SHD) - les archives du ministère de la Défense, hébergées au château de Vincennes -  dévoile aujourd'hui une partie de ces images censurées. Enrichi depuis la première version de l'exposition en 2014, l'échantillon qui a été présenté jusqu'au 30 juin 2017 est représentatif des 8 % d'images de l'armée "interdites" entre 1914 et 1918. Pour les découvrir, avec leurs légendes d'origine, cliquez sur l'image ci-dessous :

"La première censure, c'est de ne pas produire les images"

Hélène Guillot. © Dominique Viola / SHD

QUESTIONS  À - Hélène GUILLOT, commissaire de l'exposition "Images interdites de la Grande Guerre" et chef de la division Guerre et armée de Terre au Service historique de la Défense.

Linternaute.com - Quel but poursuit cette exposition inédite sur les "Images interdites de la Grande Guerre" ?

Hélène Guillot - "Le fonds sur lequel est basée mon étude est essentiellement celui de la Section photographique de l'armée (SPA). (...) Le comité de censures y était constitué d'officiers censeurs qui décidaient si les clichés allaient être publiés ou pas. Un de mes propos dans cette exposition est d'expliquer que la censure n'est pas une science exacte, (...) qu'elle dépend d'hommes qui n'ont pas forcément un regard objectif sur les choses. On ne peut pas dire exactement pour chaque image pourquoi elle a été censurée, ce qu'on fait ici c'est surtout constater lesquelles ont été censurées. (...) Il n'y a pas de réponses, il y a des réponses."

 "La censure n'est pas une science exacte, (...) elle dépend d'hommes qui n'ont pas forcément un regard objectif sur les choses."

- Quelle genre de photos de la Grande Guerre sont les plus concernées par la censure ?

- "Secret technique, positionnement… On veut protéger tout ce qui est stratégique, militaire. Les photos à intérêt stratégique sont donc censurées en premier lieu. (...) Le second groupe porte sur les hommes et leur souffrance. Par exemple les prisonniers allemands ne sont pas montrés car il y a eu des problèmes fin 1916 (la Croix rouge a porté plainte et les camps d'internement des Allemands en Afrique du Nord ont été évacués). En 1917, on va censurer les photos où on peut se moquer des Allemands. Par contre on montrera celles où on les humanise, où ils attendent  devant l'infirmerie. 'Il ne faut pas montrer les Allemands n'importe comment.'"

"La première censure, c'est de ne pas produire les images. Et je veux par exemple parler des gueules cassées. Il existe bien des photos de gueules cassées, mais pas dans le fonds de la SPA (Section photographique de l'armée), un fonds créé à des fins de propagande ou d'archives. Il y a seulement des photos des moules de gueules cassées prises par les médecins, par les services de santé et qui viennent du Val de Grâce ou encore prises à de très longues distances. Il faut toujours se poser la question de qui a pris les photos et pourquoi."

La première censure, c'est de ne pas produire les images. (...) Je veux par exemple parler des gueules cassées.

"Le photographe de l'armée, il agit sur ordre. Il est encadré sur le terrain. Quand il ne respecte pas ce que lui dit l'officier du deuxième bureau, il est puni. La plaque de verre est le support le plus pérenne à l'époque. Quand il revient de ses missions, il faut qu'il ramène X plaques de verre. 
Il y a aussi l'auto-censure des photographes. Si on prend des photos de cadavres français, elles ne sont pas prises de manière rapprochée. Le photographe porte le même uniforme, il y a forcément une identification.
Les tirages sont envoyés au comité de censure qui tranche, mais ce n'est pas définitif. Des photos censurées en 1915 ont été révisées par le comité en 1918."

- Pourquoi ces photos ont-elles mis tant de temps à remonter à la surface ?

- "Moi je connais le fonds depuis 15 ans, j'ai fait ma thèse dessus. L'ECPAD (Etablissement de Communication et de Production Audiovisuelle de la Défense)  n'a pas attendu un siècle pour communiquer ces archives, ce sont les chercheurs qui ont attendu jusque-là pour les traiter. Mais il n'y a pas eu de volonté de la part de l'ECPAD de cacher ça. La censure, l'interdiction, suscite beaucoup de fantasmes."

La censure, l'interdiction, suscite beaucoup de fantasmes.

- Comment avez-vous sélectionné la quarantaine d'images présentée dans l'exposition ?

- "Sur la totalité de la production SPA (Section photographique de l'armée) qui nous est parvenue, environ 92 000 clichés, je suis arrivée au résultat de 8 % d'images censurées, soit 10 000 images. Des 10 000, j'en ai extrait 2 000 censurées représentatives du reste et j'en ai sélectionné 40 au final pour des questions de présentation (sur les panneaux d'exposition)."

- Ces photos n'ont pas été détruites. Comment ont-elles survécu à la Grande guerre ?

- "Non, il y a pas de destruction ; il n'y a que des omissions de production. Soit ce n'est pas pris en photo, soit c'est conservé. Evidemment, il y a des photos qui ne sont pas prises, comme celles des mutineries en 1917. Mais quand c'est pris c'est gardé pour être archivé, même si c'est censuré."

- Comment situez-vous la propagande française par rapport à la propagande allemande ?

- "C'est le même principe. Les images de propagande sont exactement les mêmes, c'est l'uniforme qui change. L'objectif est le même : la valorisation auprès des pays neutres et la valorisation des actions de l'armée. En 1914, la propagande n'existe pas pour l'armée française, elle sera créée en mai 2015. Les allemands n'ont pas de service officiel de propagande jusqu'en 2017."