Bizutage à Caen : la liste des "défis" abjects donnée aux étudiants

Bizutage à Caen : la liste des "défis" abjects donnée aux étudiants

FAC DE CAEN - La fac de médecine de Caen au coeur d'un nouveau scandale ? Alors que la procureure a ouvert une enquête sur des soupçons de bizutage, des élèves de l'université témoignent...

[Mis à jour le 25 octobre 2017 à 09h34] "Nul ne souligne le côté absurde de ce truc. Cela fait partie des études de médecine, qui sont difficiles, donc on tolère tout ça. L'humiliation qu'on va subir puis faire subir l'année suivante va souder le groupe", confie Élise*. Comme d'autres de ses camarades, cette jeune étudiante à la faculté de médecine de Caen a décidé de s'exprimer dans les colonnes du Monde. À la suite de l'ouverture de l'enquête, le quotidien est allé à la rencontre de jeunes filles et de jeunes garçons ayant participé aux "rites d'initiation". Les témoignages dans la presse d'anciens élèves bizutés en 2e année permettent ainsi de se rendre compte à quel point cette "tradition universitaire" reste encore d'actualité, malgré l'arsenal juridique qui s'est considérablement durci ces dernières années.

"J'ai pris plaisir à réaliser les 'commandements'. Le plus facile, c'était d'exploser une capote avec le nez. Le plus dur, courir à poil dans le centre-ville", assure Jérémy*, aujourd'hui en 6e année, qui explique que les étudiants étaient répartis dans différents groupes, en fonction de leur degré de "motivation". Pour ceux qui rechignent aux épreuves les plus difficiles, "c'est plutôt des œufs et de la farine", raconte le jeune homme. Mais pour "les plus chauds", c'est encore une autre histoire : ils "doivent ramper dans la merde, les tripes ou les viscères de poisson et manger de la pâtée pour chien".

Une liste de "commandements" pour les "bizuths"

Le SL Caen, syndicat étudiant de l'université, a publié sur son site le document partagé par les organisateurs du bizutage en septembre 2016. "Tu as un mois bizuth", préviennent les auteurs du texte, qui expliquent : "Le principe, tu l'as compris : réaliser les actions pour avoir les points y correspondant. [...] Tu dois jouer avec ton équipe et filmer toutes tes actions qui seront faites en public". A donc été établie une liste d'actions à effectuer par les étudiants entrant en deuxième année. Parmi celles-ci : "Simuler un coït dans une cabine d'essayage pendant au moins 3 min (1 mac/1 fille)", "Mater un porno gay pendant un cours en amphi 1000 avec le son", "donner une fessée à 3 inconnu(es) dans la rue en criant 'T'aimes ça coquine'", "chopper son parrain ou sa marraine", "Se prendre en selfie en train de vomir".

Voici la liste des défis rapportant le plus de "points" :

La liste des bizutages à la fac de médecine de Caen © SL Caen

"Scènes d'humiliation, agressions sexuelles"

Autre challenge, décrit par Elise, en troisième année : "S'échanger un poisson rouge vivant en s'embrassant, le dernier de la chaîne devant l'avaler". Sur les réseaux sociaux, des photos des participants sont mises en ligne, comme souvenirs ou trophées. On découvre certains étudiants, attachés, le corps "recouvert de sacs-poubelles et maculé de substances indéterminées".

Si certains étudiants disent s'être amusés, il apparaît pourtant assez clairement que tous les élèves bizutés se sont exposés à des pratiques dégradantes, essentiellement à caractère sexuel et très généralement humiliantes pour les filles. Durant le week-end "d'intégration", un prix de "Miss Chaudasse" est décerné à une étudiante, contre son gré. "Un titre auquel elle n'a pas candidaté et qui la suivra jusqu'à la fin des études", rapporte Le Monde, qui précise que cette année encore, le "guide de la corpo", qui donne les informations sur les festivités et se partage entre étudiants est illustré par un torse de jeune femme nue.

Montrer son pénis, filmer un rapport sexuel...

Europe 1 rapporte d'autres défis, listés par les organisateurs, comme baisser son pantalon et ses sous-vêtements pour exhiber son pénis, tout en regardant une fille droit dans les yeux. Clément rapporte que les filles, elles, étaient invitées à "photographier leur poitrine au service impression de 'La corpo'". Et d'ajouter : "Ça va jusqu'à la réalisation d'un film porno".

"La plupart des étudiants n'ont aucune conscience des dérives possibles, de la gravité de ce qu'ils font. Le côté excessif, transgressif, ça les fait plutôt rire. Ils ne pensent pas aux conséquences, aux risques", explique Manon* à Ouest-France, qui dit avoir eu un déclic après plusieurs mois : "Je me suis aperçue que nous étions tous très limite sur la notion de consentement, entre nous. [...] C'est grave de subir autant puis de reproduire, au nom de la tradition. Si, c'est grave qu'une jeune fille se sente obligée de photocopier ses seins pour s'intégrer".

L'enquête sur les soupçons de bizutage, confiée à la police de Caen, a été ouverte par le parquet après qu'ont été rapportés des signalements de la part de syndicats étudiants. Ces derniers évoquent des témoignages faisant état de "scènes d'humiliation, souvent à caractère sexiste", voire "d'agressions sexuelles ou d'incitations à en commettre". Cette année, le "week-end de bienvenue" a été annulé, sur injonction de la procureure.

Justice frileuse et tribunaux trop complaisants

Depuis la loi du 17 juin 1998, le bizutage en milieu scolaire, à savoir "le fait pour une personne d'amener autrui, contre son gré ou non, à subir ou à commettre des actes humiliants ou dégradants", est sévèrement puni. Les condamnations peuvent aller jusqu'à six mois d'emprisonnement et 7 500 euros d'amende. Et ce, même "en cas de consentement de la personne". Comme l'affirme Marie-France Henry, présidente du Comité national contre le Bizutage, dans des propos rapportés par L'Express, si de plus en plus de plaintes sont déposées, "elles sont souvent classées sans suite, faute de preuves" notamment. Marie-France Henry constate en effet une certaine complaisance des tribunaux. "La justice et les établissements scolaires sont souvent frileux à punir sévèrement les étudiants, car cela pourrait avoir des conséquences sur leur avenir. Mais s'il n'y a pas de sanctions dissuasives, ils n'ont pas de raison d'arrêter", estime-t-elle. 

*Les prénoms ont été modifiés