Wokisme, Woke : quelle est la signification de ces termes ?
Les termes woke et wokisme viennent tout droit des Etats-Unis et prennent de plus en plus d'ampleur dans les débats de société et dans le paysage politique français. Dans une interview accordée au Monde, le ministre de l'Education Jean-Michel Blanquer, pointe directement ce concept, disant ouvertement vouloir livrer une bataille contre cette "idéologie" qui aurait notamment permis, selon lui, de faire élire le plus populiste des présidents aux Etats-Unis. "C'est vrai que la République est aux antipodes du 'wokisme'. Aux Etats-Unis, cette idéologie a pu amener, par réaction, Donald Trump au pouvoir, et la France et sa jeunesse doivent échapper à ça" Et de préciser : "Le Laboratoire (think tank que lance le ministre NDLR) aura une vision républicaine opposée à cette doctrine qui fragmente et divise, et a conquis certains milieux politiques, médiatiques et académiques en proposant un logiciel victimaire au détriment des fondements démocratiques de notre société. Je ne suis pas obsédé par le wokisme. Je suis simplement contre l'idée que l'on propose à notre jeunesse d'aborder la vie sociale en entrant dans une compétition de ressentiments. Elle attend l'exact contraire : ce qui rassemble, ce qui construit", analyse le ministre.
Qu'est ce que le "wokisme" ?
Selon un sondage de l'IFOP, la "pensée woke" est peu connue des Français : seulement 14% ont déjà entendu ce terme et 6% savent de quoi il s'agit. Le "wokisme" fait en réalité référence au terme "woke", qui signifie être "éveillé", en anglais. Il a une singularité, il renvoie à la conscience d'un fait social bien particulier ; être "woke", c'est en effet être conscient des problèmes de justice sociale et de racisme qui pointent une partie de la société pour leurs particularités. Claudine Moïse, linguiste au laboratoire Lidilem de l'université Grenoble-Alpes interrogée par France Info donne également sa définition du woke et wokisme. "C'est prendre conscience des rapports de domination et d'une certaine façon des injustices sociales, et notamment des injustices sociales qui seraient systémiques, c'est-à-dire induites par le système social et politique en place." Le "woke" se caractérise surtout par un mode d'action plus ferme que celui observé au sein des partis politiques. Il s'agit de "lutter contre les inégalités sociales de façon affirmée", avec une "opposition qui se veut rebelle, déterminée, pugnace".
Quelle est l'origine du mot ?
L'expression "stay woke" ("restez éveillés"), ces dernières années, a pris une tournure très importante au début du mouvement Black Lives Matter aux Etats-Unis et a un vrai dimension militantiste. Mais pour rappel, Martin Luther King avait déjà mis en exergue ce terme après avoir exhorté les jeunes Américains à "rester éveillés" et à "être une génération engagée", lors d'un discours à l'université Oberlin, dans l'Ohio, en juin 1965... Comme l'explique également le Monde, un article du site américain Vox a repéré l'usage en 1938 de l'expression "stay woke" dans une chanson protestataire du musicien de blues Lead Belly sur l'histoire d'un groupe d'adolescents noirs accusés du viol de deux femmes blanches. L'écrivain William Melvin Kelley dans un article du New York Times datant de 1962, explique qu'être "woke" est alors une invitation à être conscient de sa propre place, en tant qu'américain noir dans la société.
Par la suite, ce terme s'est également associé aux autres discriminations sociales, notamment celles visant les personnes LGBT, les femmes, les immigrés... Lors de l'élection de Donald Trump, de nombreuses pancartes avec ce terme étaient mises en avant lors de la "marche des femmes" afin de dénoncer le sexisme et la mysoginie du président.
Du wokisme au communautarisme ?
Pourquoi le "wokisme", expression d'une lutte pour plus de justice sociale, a-t-il pris une connotation si négative en France, au point que le ministre de l'Education nationale le considère être une menace pour la jeunesse ? Il faut dire que le wokisme donne à penser les inégalités d'une manière bien spécifique, considérant que seuls les membres d'une communauté discriminée peuvent apporter une réponse aux discriminations. Il incarne en ce sens un combat politique qui sort de la vision républicaine universaliste française, pour érige comme principe fondamental l'unité et la cohésion de la nation et le rejet de tout communautarisme.
Le "wokisme" est à ce titre souvent associé au "gauchisme" puisque le terme agglomère de manière assez malheureuse (et assez injustifiée) plusieurs termes revendiqués par la gauche radicale (plus ou moins bien présentés ou appréhendés hors des cercles de recherche universitaires), comme l'intersectionnalité (le fait de dire que certaines discriminations propres à une catégorie de population peuvent s'additionner), la non-mixité pour les réunions de personnes subissant des discriminations, la dénonciation de systèmes d'oppression (le pouvoir légal et économique se fonderait sur l'oppression de certaines minorités), la dénonciation des préjugés liés au genre, etc. La dimension communautaire de cette grille d'analyse hérisse certains observateurs. Selon Steven Pinker, professeur de psychologie à Harvard interrogé pour l'Express, ce terme emprunte même "au pire de l'idéologie de l'apartheid et du nazisme. On y trouve cette idée que chacun de nous appartient à un groupe défini par son genre, sa race ou son ethnicité, que nos opinions peuvent être prédites selon le groupe auquel on est rattaché, et que la justice ne peut être pensée qu'en fonction de la moyenne relative de chaque groupe".
Il faut bien reconnaître que le "wokisme" est souvent mal cerné, détourné, mettant sur le même pied ou dans le même sac des concepts bien différents, donnant une dimension fourre-tout à ce terme. Au final, les détracteurs et les détracteurs des détracteurs ne s'entendent même pas sur la définition du terme et ne parlent souvent pas de la même chose.