Claude Cahun : des photos marquantes, un combat singulier contre les stéréotypes
[Mis à jour le lundi 25 octobre 2021 à 23h31] Sur un fond noir, une femme au visage ovale et aux traits fins. Des cœurs sur les joues et une expression marquante. Mais qui est derrière le doodle Google du jour ce lundi 25 octobre ? Il s'agit de Claude Cahun, écrivaine et plasticienne-photographe nantaise, née le 25 octobre 1894. Elle est une des premières à avoir intégré les questions relatives au genre dans son travail. De manière aussi ouverte, son art reflétait de nombreuses réflexions sur la féminité, la masculinité et les codes esthétiques genrés, elle a également fait de son œuvre le terreau de la dénonciation de l'antisémitisme et du nazisme.
Mais Claude Cahan n'a pas seulement été une artiste, mais aussi une grande résistante. Pendant la Seconde Guerre mondiale, aux côtés de sa compagne Suzanne Malherbe, elle a rejoint la résistance. Ensemble, elles publient notamment des tracts antimilitaristes. Condamnées à mort, les deux femmes sont finalement libérées. Retour sur une figure à la croisée entre surréalisme, questionnement sur l'identité de genre, et résistance.
Voyant le jour le le 25 octobre 1894, Lucy Schwob, fille de Maurice Schwob, propriétaire du journal républicain Le Phare de la Loire, souffre d'une enfance difficile. Issue d'une famille bourgeoise juive, elle est frappée par un antisémitisme très présent dans le lycée pour filles où elle étudie, et doit composer avec la démence dont est victime sa mère. Entre 1907 et 1908, elle est envoyée par son père dans le Kent (Angleterre), officiellement pour y étudier, mais avant tout pour échapper à l'antisémitisme. Elle sera en grande partie élevée par sa grand-mère. Vers ses quinze ans, son amitié avec Suzanne Malherbe, une autre artiste nantaise, se change en une relation amoureuse, de laquelle naitront plusieurs collaborations artistiques. Après une relation clandestine à Nantes, elles emménagent ensembles à Paris en 1918 - où Claude Cahun fera des études de lettres. Elles ne se quitteront plus jusqu'à la mort de l'écrivaine photographe.
Quelques années plus tard, les deux femmes changeront leurs noms, qu'elles voudront neutres plutôt que féminins – Claude Cahun étant particulièrement opposée à la représentation traditionnelle binaire du genre (elle se rasera même la tête, en signe de rébellion). Lucy Schwob devient ainsi Claude Cahun, Suzanne Malherbe, Marcel Moore. Dès 1912, Cahun s'essaye à l'autoportrait photographique, moyen pour elle de flouter les barrières du genre.
Jour 20 : Rester zen#StayatHome #LeJDPdechezvous #CulturechezNous #MoodoftheDay
— Jeu de Paume (@jeudepaume) April 4, 2020
Claude Cahun, Autoportrait, 1927. Musée des Beaux-Arts de Nantes RMN / Gérard Blot pic.twitter.com/GukqN0rraN
Son œuvre littéraire est également prolifique. A Paris, où elle emménage en 1918, elle connaît ses premiers succès : publications littéraires et mises en scène théâtrales s'enchainent. Elle quitte Paris pour une ferme à Jersey en 1938, toujours accompagnée par Marcel Moore. Après avoir pris part à la résistance pendant la seconde guerre mondiale, elle est arrêtée et condamnée à mort avec sa compagne, avant d'être libérée. Très affaiblie de son incarcération, elle meurt âgée de 60 ans à Jersey en 1954, dans la ferme qu'elle avait acquise avec Suzanne Malherbe.
Proximité avec le surréalisme
Forte de son succès dans la capitale, Claude Cahun commence, rapidement après son arrivée à Paris, à fréquenter André Breton, René Crevel et plusieurs autres surréalistes parisiens. Engagée politiquement, elle adhère, avec Marcel Moore (dont les peintures connaissent également le succès), à l'Association des écrivains et artistes révolutionnaires (AEAR). Claude Cahun collabore également avec sa compagne pour donner vie à plusieurs œuvres – entre autres, Vues et visions (1918) et Aveux non avenus (1930), autobiographie surréaliste de Cahun critique de la société, renforcée par les images et montages de Moore.

En 1936, l'artiste plasticienne expose à la première "Exposition surréaliste d'objets" (Galerie Charles Ratton à Paris, du 22 au 29 mai) et, à Londres, à l' "International Surrealist Exhibition" (New Burlington Galleries).
L'exploration du genre et de ses limites
Dès 1912, Claude Cahun commence la photographie autoportrait, teintée de surréalisme : dans ses photographies, l'artiste obscurcit, voire renverse totalement la barrière entre les genres. Ainsi, sa photographie "I am in training, don't kiss me", la représente en femme bodybuilder.
En 1914, elle publie également ses premiers textes dans le Mercure de France, revue fondée en 1672, où elle signe d'abord avec le pseudonyme de Claude Courlis, puis celui de Claude Cahun, en hommage à sa grand-mère paternelle. Elle brouille ainsi les pistes de l'identité du genre qui lui a été attribué à la naissance, thématique qui deviendra récurrente dans son œuvre (elle estime ainsi que "les étiquettes sont méprisables"). Son jeu permanent avec les codes de l'apparence physique (en se rasant la tête, notamment) contribue aussi à cette confusion volontaire des frontières du genre.
A côté de son œuvre photographique abondante, Cahun écrit nouvelles, romans, essais et nombreuses autres œuvres littéraires. Une partie de son écrit vise la dénonciation de l'antisémitisme et du nazisme. Ainsi, en 1938, Claude Cahun s'installe, toujours avec sa compagne, dans une ferme à Jersey achetée un an plus tôt. L'île britannique, occupée par les forces allemandes entre 1940 et 1945, ancrera un peu plus leur engagement dans la résistance. Rédigeant et diffusant des tracts antimilitaristes et pacifistes à destination des soldats allemands, elles sont arrêtées et condamnées à mort en 1944. Le 9 mai 1945, elles retrouvent la liberté.
Activiste en faveur des droits des personnes homosexuelles
De son vivant, Claude Cahun s'est battue pour les droits des hommes homosexuels et des femmes lesbiennes. Ainsi, elle participe à la rédaction de revues en faveur des droits des homosexuels. En novembre 1924, le premier numéro d'Inversions mentionne que cette revue est "pour l'homosexualité", étant "entièrement consacré à la défense des homosexuels". La publication ayant fait l'objet d'une information du Parquet de la Seine, sous l'inculpation d'outrages aux bonnes mœurs, le périodique lance une enquête auprès de diverses personnalités, afin d'obtenir des soutiens. Leurs réponses sont publiées en avril 1925 dans un numéro unique de L'Amitié, publication, faisant suite à Inversions. Claude Cahun, qui rédige également des textes pour Inversions, figure parmi les personnalités ayant répondu.
L'oeuvre de Claude Cahun, une oeuvre à (re)découvrir
Ses photographies sont régulièrement exposées ses dernières années dans divers musées français. En 2011, une grande exposition avait été organisée au musée du Jeu de Paume, à Paris. L'occasion pour ce haut lieu de culture de la capitale de réaliser un petit film de présentation de l'oeuvre de Claude Cahun, avec de nombreuses photographies mises en avant. La vidéo du musée du Jeu de Paume est à retrouver ci-dessous :
De très nombreuses ouvres sont consultables sur le site du Musées des Beaux Arts de Nantes : il est ainsi possible de découvrir des dizaines de photos numérisées par cette institution, depuis cette page. Le musée britannique Jersey Heritage a également mis en ligne une partie du travail de Claude Cahun, à retrouver sur cette page.

Le travail surréaliste de Claude Cahun est également considérable. Il est possible de naviguer sur les pages de navigart.fr pour se rendre compte de la diversité de cette oeuvre, avec notamment les collages et assemblages de la photographe dans les années 1920 et 1930.
Plusieurs hommages
En 2005, l'exposition "Acting out : Claude Cahun & Marcel Moore", organisée par Tirza True Latimer au musée Judah L. Magnes de Berkeley, revient sur le travail commun du couple d'artistes. Un documentaire de Barbara Hammer, "Lover / Other", paru en 2006, rend également homme au couple, revenant sur l'installation du couple Moore Cahun sur l'île de Jersey, terre où leur œuvre est féconde. En 2018, une allée du 6ème arrondissement de Paris est nommée " allée Claude Cahun – Marcel Moore ", en hommage aux deux artistes, sur décision du Conseil de Paris. Cette allée se trouve à proximité de la rue Notre-Dame-des-Champs, où le couple résidait. Pour les 127 ans de la naissance, un doodle Google a l'effigie de l'artiste a été créé.