Congé menstruel : des arrêts de travail bientôt possibles ? Quelles conditions ?
[Mis à jour le 26 mai 2023 à 18h02] En une quinzaine de jours, deux propositions de loi pour créer un congé menstruel en France ont été déposées par des députés, dont la dernière vendredi 26 mai. Ces projets prévoient l'instauration d'un congé menstruel de 13 jours par an pour les salariées et les agentes de la fonction publique. Elles auraient droit à un arrêt de travail sur présentation d'un certificat médical. Les deux textes prévoient l'indemnisation des personnes concernées, sans délai de carence, rapporte Le Parisien. Les députés du PS, qui ont déposé leur proposition en premier, souhaitent que le congé ne dépasse pas deux jours par mois.
La deuxième proposition, déposée par des députés Génération. s et EELV, permet aux bénéficiaires d'en disposer en fonction de leurs besoins. De plus, l'arrêt de travail pourrait être renouvelé une fois par an à titre exceptionnel, " dans les cas les plus graves ". Dans les deux textes, les salariées pourraient demander à être en télétravail, sans que cela les empêche de poser des jours de congé une autre fois. En France, seule la mairie de Saint-Ouen a adopté un congé menstruel. Une loi a été votée en Espagne en février 2023.
Comment fonctionne le congé menstruel à Saint-Ouen ?
Depuis le 27 mars, la ville de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis) a fait officiellement entrer en vigueur le congé menstruel pour ses 1200 agentes municipales. Celles qui souhaitent bénéficier de ce dispositif doivent se rendre chez un médecin du travail. Ce dernier doit alors attester, par un certificat, des douleurs qu'entraîne l'apparition des règles ou la maladie chez la personne. Dans ce cas, elles auront la possibilité de ne pas travailler jusqu'à deux jours grâce au dispositif de l'autorisation spéciale d'absence (ASA), d'aménager leurs horaires ou de télétravailler. Naturellement, le versement du salaire est maintenu. Le passage auprès du médecin ne sera pas mensuel : une seule attestation suffira. Ad vitam aeternam ? La municipalité de ne l'a pas précisé.
Le congé menstruel, qu'est-ce que c'est ?
Son nom est équivoque. Le congé menstruel est un arrêt de travail auquel peuvent prétendre les femmes qui présentent des douleurs incapacitantes, voire pathologiques pendant leur période de menstruation. L'expérimentation de Saint-Ouen prévoit une mise en place "pour toutes les agentes atteintes d'endométriose ou de règles douloureuses qui les empêchent d'accomplir normalement leurs missions."
En Espagne, la loi votée prévoit précisément que "l'arrêt de travail d'une femme en cas de règles incapacitantes [ou liées] à des pathologies comme l'endométriose" est "reconnu comme une situation spéciale d'incapacité temporaire" de travail, mais n'engendre pas de retenue de salaire. La nouvelle mesure espagnole ne définit pas la durée maximale du congé menstruel, laissant cette tâche à un médecin.
Là où le congé menstruel est inscrit dans la législation, la mesure est présentée comme une façon d'améliorer le quotidien des femmes dans le monde professionnel et surtout de réduire ce qui peut être vu comme une inégalité : les femmes aux règles douloureuses étant soit contraintes de tenir leur fonction malgré des souffrances, soit contraintes de renoncer à des journées de salaire à cause d'arrêt maladie. Quand, a contrario, les salariés masculins ne subissent aucun préjudice de la sorte une fois par mois.
Le congé menstruel pourrait-il être instauré dans la loi en France ?
La législation française ne prévoit pas de congé menstruel ou d'autres mesures qui pourraient s'y substituer. Les débats tenus en Espagne ces derniers mois ont, semble-t-il, ouvert la voie aux discussions dans l'Hexagone, puisque deux propositions de loi ont été présentées. À l'été 2022, la ministre chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, Isabelle Rome, avait indiqué à Médiapart vouloir lancer "des chantiers sur les droits des femmes et leur santé" dont le congé menstruel. Quelques mois plus tôt, plusieurs politiques -notamment Yannick Jadot (EELV), Anne Hidalgo (PS) et Valérie Pécresse (LR)- avaient inscrit le congé menstruel dans leur programme présidentiel.
Du côté du ministère de la Transformation et de la Fonction publiques, le dispositif de Saint-Ouen n'est pas contesté puisqu'il s'inscrit dans le cadre l'égal des autorisations spéciales d'absence. En revanche, un hic existe à ses yeux en vue d'une éventuelle généralisation. "Instaurer un congé menstruel ne résout pas le problème des femmes, et pourrait même créer une inégalité lors du recrutement", concède Stanislas Guérini, le ministre chargé de ce portefeuille, auprès du Figaro. Et il n'est pas le seul à le penser.
Pourquoi le congé menstruel fait-il débat ?
Véritable progrès social pour certains, le congé menstruel créerait pour d'autres une nouvelle stigmatisation des femmes dans le monde du travail. Les femmes seraient d'ailleurs nombreuses à craindre une forme de discrimination engendrée par ce congé. Si une grande part des salariées adhère à l'idée, "beaucoup de femmes voient dans le congé menstruel un argument supplémentaire pour les exclure, et, avant de l'instaurer, il faut d'abord pouvoir parler librement des règles", a expliqué Aline Boeuf, sociologue et auteure d'un mémoire sur la gestion du cycle menstruel dans le monde professionnel, dans les colonnes de TV5 Monde.
Pourtant, "le congé menstruel ne peut pas créer de discrimination entre hommes et femmes sur un sujet qui ne concerne qu'un seul des sexes" selon la conviction de Dimitri Lamoureux, cogérant de la société La Collective, société coopérative spécialisée dans le démarchage pour des ONG, qui depuis le début de l'année 2021 propose à ses salariées féminines un jour de congé payé par mois facultatif, pour la période de menstruation. Au contraire, la mesure pourrait permettre une meilleure gestion des menstruations et surtout un rapport moins tabou aux règles dans la sphère professionnelle, à une condition : qu'elle "ne favorise pas les discriminations ou le harcèlement".
Où le congé menstruel existe-t-il dans le monde ?
Les pays qui, en théorie, ont adopté le congé menstruel se comptent presque sur les doigts de la main. Le Japon a été parmi les premiers à inscrire cette mesure dans sa législation, en 1947, et ne pose pas de limite au nombre de jours pouvant être pris par les travailleuses. Mais près d'un demi-siècle plus tard, le congé destiné aux femmes n'est quasiment jamais utilisé : moins de 1% des salariées y ont recours, selon les chiffres avancés par une étude menée par le ministère de Travail japonais en 2020 et citée par l'AFP. La pudeur propre à la culture nippone couplée au fait que les absences du congé menstruel ne sont pas rémunérées dans 70% des entreprises peut expliquer ce manque de recours au congé menstruel.
La Corée du Sud a suivi l'exemple du Japon en 1950, mais la loi fixe le nombre de jours de congés menstruels à un par mois et tous les jours pris ne sont pas payés. Près de 20% des salariées disent avoir recours à cette disposition, toujours selon l'AFP. En Indonésie, les jours sont comptés par cycle menstruel pendant lesquels les femmes salariées ont le droit à un ou deux jours de congé. La mesure est inscrite dans la loi indonésienne depuis 2003, mais en pratique les entreprises s'affranchissent de la législation ou limitent ce congé à un jour par mois. À Taïwan, le congé menstruel existe, mais se limite à un jour par mois et trois jours par an, au-delà de quoi les femmes doivent prendre des congés maladies standards qui sont remboursés au hauteur d'une demi-journée travaillée.
Outre l'Asie, le congé menstruel est aussi prévu dans un pays d'Afrique : la Zambie. Dans ce pays, les femmes ont le droit de prendre un jour de congé supplémentaire par mois et la mesure est plutôt acceptée malgré des difficultés dans certaines entreprises. Ailleurs dans le monde, des entreprises recourent de leur propre chef au congé menstruel, comme en Australie, en Inde ou en France, mais les exemples restent rares.