Réforme des retraites : pourquoi le texte ne sera pas abrogé

Réforme des retraites : pourquoi le texte ne sera pas abrogé A l'Assemblée nationale, les débats sur la proposition de loi LIOT visant à abroger la réforme des retraites ont débuté. Mais le texte ne devrait pas être adopté.

Un coup d'épée dans l'eau ? La très attendue et controversée (côté parlementaires) proposition de loi du groupe LIOT visant à abroger la réforme des retraites est débattue ce jeudi 8 juin 2023 à l'Assemblée nationale. Si Charles de Courson et ses collègues au palais Bourbon pensaient réaliser un gros coup politique en contraignant le gouvernement à retirer le report de l'âge de départ à la retraite de 62 à 64 ans, il n'en sera finalement rien. C'est en effet un texte vidé de sa substance qui est débattu au palais Bourbon : l'article 1, qui prévoyait l'annulation des 64 ans, a été supprimé en commission es Affaires sociales. Des députés LIOT veulent malgré tout essayer de le réintroduire ce jeudi via le vote d'un amendement. Mais la tâche s'annonce ardue.

Le texte va en effet se heurter au barrage de l'article 40 de la Constitution. La présidente de l'Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, a prévenu ce 7 juin au micro de BFMTV-RMC qu'elle jugera tous les amendements irrecevables financièrement. "Demain, quoi qu'il se passe, il n'y aura pas d'abrogation de la réforme des retraites" a-t-elle encore assuré. Une décision présentée comme l'application de la règle et rien que de la règle prévue par la Constitution et saluée par la majorité présidentielle, dont fait partie la députée, mais décriée par l'opposition. Cette dernière crie au "déni de démocratie". Le groupe Liot estime d'ailleurs que cette décision fait partie d'une vaste stratégie du camp présidentiel pour empêcher le vote du texte au Parlement et "constitue un inquiétant précédent".

Malgré la levée des boucliers de l'opposition, rien ne semble pourvoir venir en aide aux députés Liot pour faire voter l'abrogation de la réforme des retraites. Pas même l'opinion publique qui se range derrière l'avis de l'opposition. Selon un sondage Elabe pour BFMTV, 7 Français sur 10 souhaitent que l'abrogation de la réforme soit débattue et votée à l'Assemblée nationale. 64% des sondés sont même pour l'adoption de la proposition de loi Liot, notamment les électeurs de La France insoumise et du Rassemblement national. Mais l'opposition n'entend pas baisser les bras et dans un dernier espoir, LFI prévoit le dépôt d'une motion de censure contre le gouvernement.

L'abrogation de la réforme des retraites rejetée une première fois

Si la proposition de loi Liot visant l'abrogation de la réforme des retraites n'a pas été votée au Parlement, elle a été débattue en commission des Affaires sociales le 31 mai. En séance, les 73 députés membres de la commission ont voté l'article 1 et la majorité bénéficiant d'une courte tête et non sans l'aide des certains députés Républicains a réussi à vider le texte de substance en supprimant l'article (38 pour ; 34 contre ; 1 abstention).

Malgré la tenue d'un vote, l'opposition a dénoncé des "magouilles" de la majorité et du camp des Républicains pour empêcher l'examen du texte à l'Assemblée nationale. Plusieurs élus de la Nupes ont même dénoncé une majorité qui "bafoue la démocratie" tandis que les élus macronistes ont critiqué les stratégies d'obstruction au vote menées par l'opposition. L'opinion publique, de son côté, semble donner raison à l'opposition puisque à en croire  le sondage Elabe réalisé pour BFM TV et publié le 31 mai 71% des Français interrogés se disent favorables à ce que la proposition de loi du groupe Liot soit débattue et mise au vote à l'Assemblée. 61% (contre 38%) souhaiteraient même qu'elle soit adoptée.

L'abrogation de la réforme des retraites de retour dans la proposition de loi Liot ?

La proposition de loi Liot, qui comptait deux articles avant d'être votée en commission des Affaires sociales, s'est vue privée de tout intérêt avec la suppression de son premier article. Mais ce texte qui prévoyait l'abrogation de la réforme des retraites peut, théoriquement, être réintroduit dans la proposition de loi. Il suffit que les députés Liot déposent un amendement pour que l'article retrouve sa place dans la proposition de loi, lors de l'examen du texte à l'Assemblée nationale.

Dans la pratique le dépôt de l'amendement ne posera pas de problème, mais on ne pourra pas en dire autant de sa validation. Yaël Braun-Pivet a assuré le 7 juin : "Sur ces amendements de rétablissement de l'article 1 (qui prévoit de repasser la retraite à 62 ans), je suis très claire : ils seront déclarés irrecevables par moi-même dans la journée". Une irrecevabilité en lien avec l'article 40 de la Constitution. La position de celle qui siège au perchoir avait été anticipée par son entourage qui avait indiqué à Franceinfo le 31 mai que "depuis le départ, [la] position [de la députée] reste que le texte n'est pas recevable au titre de l'article 40".

L'article 40 encore opposable à l'abrogation de la réforme des retraites ?

Le filtre constitutionnel de l'article 40 a déjà été opposé à la proposition de loi Liot sans succès. Le député insoumis et président de la commission des finances Eric Coquerel avait jugé le texte du groupe centriste recevable financièrement, le mardi 29 mai. La majorité avait alors fustigé une décision "politique" et une lecture trop souple de l'article que dispose que "les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l'aggravation d'une charge publique".

Si un amendement est déposé par les députés centristes, le texte sera à nouveau confronté à l'article 40 de la Constitution. Sauf que cette fois, la décision sera certainement différente. La présidente de l'Assemblée nationale pourra décider seule, sans l'avis du président de la commission des finances, de statuer sur la recevabilité du texte. Or, la majorité répète depuis plusieurs semaines que l'abrogation de la réforme des retraites créerait des charges de plusieurs milliards aux finances publiques.

L'abrogation des retraites vraiment irrecevable au titre de l'article 40 ?

Un nouveau recours à l'article 40 est donc possible, mais le rejet d'un amendement sur l'abrogation de la réforme des retraites serait-il justifié au regard dudit article ? La question fait débat. Si la mesure envisagée entrainerait bien des charges, l'article 2 de la proposition de loi Liot prévoit des compensations à ces charges, autrement dit des "gages", qui permettent de se prémunir du filtre de l'article 40, selon plusieurs constitutionnalistes dont le professeure Jean-Philippe Derosier, interrogé sur Franceinfo, le 31 mai. Le texte mise notamment sur une "majoration de l'accise sur le tabac" et sur une conférence de financement organisée d'ici à la fin de l'année pour compenser les charges supplémentaires. L'argument financier sur la taxe du tabac présente toutefois une faille, car une augmentation de l'accise ne pourrait suffire à asseoir la perte des 15 à 22 milliards - selon les estimations de différents membres de la majorité - occasionnée par l'abrogation de la retraite.

A noter que la majorité présidentielle a déjà usé du même gage sur l'accise des tabacs pour que certaines de ses propositions de loi ne soit pas retoquées par l'article 40 de la Constitution. C'est le cas de la proposition de loi "pour bâtir la société du bien vieillir" qui a été examinée le 11 mars à l'Assemblée, un exemple parmi d'autres cité par le patron des députés Liot, Bertrand Plancher sur BFMTV le 18 mai. La stratégie de la majorité pour comprendre l'article 40 de manière stricte et l'utiliser afin d'empêcher l'examen de certaines propositions pourrait à l'avenir se retourner contre elle. "Il y a un risque de nous limiter nous-mêmes dans les PPL qu'on peut porter sur les quatre années qui viennent, car il n'y a aucune PPL qui ne porte pas de charges. On va créer un précédent et on entre dans l'inconnu. On ne sait pas comment les oppositions peuvent utiliser ça contre nous", aurait mis en garde la député Renaissance Caroline Janvier à la mi-mai selon les informations de Libération.

La proposition de loi Liot pourrait-elle être votée ?

Un vote de l'Assemblée nationale sur l'abrogation de la réforme des retraites est une hypothèse qui a peu de chances de se concrétiser. Mais quand bien même une telle mesure serait votée, les possibilités qu'elle soit adoptée seraent faibles. Une majorité relative au sein de l'hémicycle serait nécessaire, mais l'opposition ne serait pas garantie de l'obtenir.

L'abrogation de la réforme des retraites pourrait être votée par 274 députés selon le décompte de BFMTV : tous les élus de la Nupes et du Rassemblement national, 20 députés Liot, 3 élus non-inscrits et 12 députés Les Républicains. En face, la majorité pourrait compter sur ses 251 députés Renaissance, MoDem et Horizons. Le sort du texte reposerait donc sur le vote des 50 autres députés de droite, or parmi eux une majorité semble favorable à la réforme des retraites.