Caroline Bottaro "Joueuse", les échecs : le jeu de la séduction

Caroline Bottaro, réalisatrice de "Joueuse", nous parle de son premier long métrage et du plaisir qu'elle a eut de diriger Sandrine Bonnaire et Kevin Kline. Un film sur les échecs comme métaphore de la séduction et de la vie en générale.

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Caroline Bottaro, réalisatrice de "Joueuse" © Studio Canal

Est-ce difficile de diriger des acteurs comme Sandrine Bonnaire et Kevin Kline, pour un premier long métrage ?
Pour Sandrine Bonnaire ça a été assez facile. Il se trouve que je la connaissais déjà, pour avoir travaillé sur le scénario de C'est la vie de Jean-Pierre Améris, où elle avait le rôle principale aux côtés de Jacques Dutronc. Dès que j'ai lu le manuscrit, j'ai pensé à Sandrine. Je lui ai fait lire et elle a été tout de suite emballée par l'histoire. Elle a suivi toutes les étapes, de l'écriture du scénario au montage final. Elle a été essentielle pour le film qui a mis cinq ans à se monter et sans elle il n'aurait sans doute jamais vu le jour. Très simple donc de tourner avec elle, le film est complètement lié à cette relation d'amitié qu'il y a entre nous.
Pour Kevin Kline, c'est différent. Je voulais un acteur étranger pour jouer le Dr Kroger. Ayant des origines allemandes et italiennes moi-même, j'ai l'habitude des accents et je voulais en retrouver dans mon film. Kevin Kline était disponible, on lui a envoyé le scénario et, quatre jours plus tard, il m'a répondu en disant que c'était le meilleur scénario qu'il avait lu ces dix dernières années... J'étais comme une gosse !

Comment s'est passé le tournage ?
Sur le plateau, il y a tout de suite eu de la complicité entre nous trois. Kevin Kline a été surprenant d'humilité. C'était la première fois qu'il jouait un texte en français et il en était très inquiet. En plus de cela, il avait les parties d'échecs à mémoriser : du travail en plus qu'il a parfaitement su gérer. Il faut dire que dès le début, je lui ai dit ce que je voulais. C'est un acteur très physique, habitué aux comédies et il a tendance à être très expansif. Alors quand je lui ai demandé d'en faire le moins possible, ça l'a un peu déstabilisé. Mais son jeu tout en retenue lui donne une fragilité et une maladresse qui fait tout son charme dans le film.

Existe-t-il des différences dans la direction d'un acteur selon sa nationalité ?
Je ne pense pas que ce soit une question de nationalité. C'est plus une question de feeling. Sandrine par exemple saisit son personnage à la lecture du scénario. Elle sait tout de suite dans quelle direction aller, après elle nuance simplement au fil des prises. Kevin part beaucoup plus dans tous les sens. Chaque prise est différente, il essaye constamment. Ca nous laisse le choix au montage...

Jennifer Beals (Flashdance, The L World) est aussi au générique de votre film, pourquoi l'avoir choisit ?
C'est une envie que j'avais depuis assez longtemps. Je fais partie de la génération qui avait 14-15 ans lors de la sortie de Flashdance. Son rôle de petite métallurgiste qui réalise son rêve de devenir danseuse m'a marqué. Jennifer est un symbole de femme pour ma génération.
 

Pourtant elle ne fait qu'une brève apparition.
Il est vrai qu'elle ne fait qu'une apparition furtive au début du film, mais son rôle est déterminant dans le scénario. C'est en la voyant qu'Hélène (le personnage de Sandrine Bonnaire) a le déclic pour les échecs. Elle est séduite par le dialogue silencieux et sensuel que représente la partie d'échecs.

Est-ce pour cela que vous avez choisit les échecs plutôt qu'une autre activité ?
C'est une idée qui était déjà présente dans le livre de Bertina Henrichs, La Joueuse d'échecs. Ce qui m'a touché dans le roman, c'est le parcours de cette femme qui a une vie monotone, que ce soit dans son couple ou dans son travail, et qui va s'en sortir grâce aux échecs. Elle les découvre par hasard et se prend de passion pour le jeu. Ce qui va l'amener à faire bouger son destin et les gens qui sont autour d'elle. Mais n'étant pas moi-même joueuse d'échecs, je me suis efforcée de filmer ce qu'il y a de concret autour d'une partie : les regards, les gestes lents, les moments de réflexions. Je me suis aperçue rapidement que ce n'est pas tant la partie en elle-même qui était cinématographique mais bien le jeu de pouvoir qui existe entre deux adversaires. Et les similitudes entre partie d'échecs et séduction amoureuse sautent aux yeux à l'écran... du moins je l'espère (rires). En tous cas ce n'est pas un film sur les échecs, le jeu n'est qu'un élément qui va mettre en marche le destin de l'héroïne.

Sandrine Bonnaire joue le rôle d'une femme de ménage aux origines sociales modestes. En quoi est-ce important pour l'histoire ?
Je tenais à montrer qu'il y avait plusieurs niveaux de lectures à cette histoire. Le film peut se voir comme une fable sociale, où les échecs sont vecteurs d'ascension sociale, ou comme un conte féministe, même si à aucun moment il n'y a de discours contre les hommes. Le personnage de Sandrine est très mal perçu dès que sa passion pour les échecs est révélée. Et tout l'enjeu était de montrer son amour pour ce jeu et sa détermination à sortir d'une condition où elle ne s'épanouissait pas, et ce malgré le mépris des gens.

Un film sur le destin d'une femme, réalisé par une femme... mais quelle est la part faite aux hommes dans tout ça ?
Ils passent un peu par tous les états... Je n'ai pas voulu faire un film contre les hommes, je déteste la caricature. Les hommes dans le film sont assez nuancés. Ange (Francis Renaud), le mari d'Hélène, est pris dans sa routine et ne regarde plus sa femme. L'évolution d'Hélène va l'amener à se remettre en question : il est d'abord jaloux, puis finit par soutenir sa femme. Kroger (Kevin Kline), lui, est certes méprisant au début mais il est surtout intrigué par Hélène. A mesure qu'elle se révèle être une joueuse redoutable, il la respecte et est même attiré par elle. Leurs parties ne se déroulent pas seulement sur l'échiquier.

Vous avez tourné le film en Corse, quelle était l'importance de situer le récit sur une île ?
Le côté insulaire était très important pour moi. Quand on est étranger, il est toujours plus difficile de s'intégrer sur une île. Et le fait d'avoir Hélène, qui vient du continent, et Kroger, étranger lui aussi, faisait d'eux des ilots de solitude complètements différents qui se rencontrent autour des échecs. Je suis très attachée à cette notion d'"étrangers" et la vie sur une île exacerbe cette notion. Je voulais au départ tourner en Italie, mais pour des raisons pratiques, la Corse s'est avérée le meilleur choix pour la production.

kline bonnaire
Kevin Kline et Sandrine Bonnaire dans "Joueuse". © Studio Canal

Que diriez-vous au public pour lui donner envie d'aller voir Joueuse ?
L'histoire de départ est très belle et c'était un enchantement de tourner en Corse, j'espère avoir rendu hommage à la beauté de cette île dans le film. Et puis, Sandrine Bonnaire est exceptionnelle, elle porte le film à bout de bras avec son personnage taillé sur mesures pour elle. Quant à Kevin Kline, il a su s'adapter et montrer une autre facette de son talent. Rien que pour ça, il faut aller voir Joueuse...