Toni Servillo (acteur) "Devant "Viva la Libertà", je veux que le public puisse sourire en pensant avec intelligence"
L'acteur italien Toni Servillo est à l'affiche de "Viva la Libertà", dans lequel il interprète deux rôles différents, celui d'un homme politique écrasé par ses responsabilités et celui de son frère jumeau, un philosophe fou. Rencontre.

Linternaute.com : Vous interprétez à la fois le secrétaire général du parti de l'opposition italienne et son jumeau, un philosophe fou. Qu'est-ce que cela a changé dans votre préparation et pendant le tournage ?
Toni Servillo : J'ai demandé au metteur en scène de pouvoir jouer avant tout le rôle du philosophe Ernani qui est bipolaire et qui a donc une personnalité à la fois extravertie et des aspects introvertis, de dépression. Parallèlement, j'ai essayé de construire le personnage d'Enrico, un homme politique qui lui commence comme un dépressif, puis, à travers la légèreté de son passage en France, découvre l'exubérance. J'ai essayé, comme souvent avec les jumeaux, de faire naître les aspects de l'un à partir des aspects de l'autre.
Avez-vous ainsi mis en place certaines caractéristiques spécifiques pour permettre aux spectateurs de différencier facilement les deux rôles à l'écran ?
Par exemple, il y a différentes manières de se coiffer les cheveux, comme on le voit dans le film. C'est ce qui permet de les distinguer immédiatement sur le plan de l'image. Et puis c'est évident que le personnage d'Enrico se déplace physiquement de façon beaucoup plus contenue, rentrée. Il fuit, il est imprévisible. Son frère jumeau Ernani, au contraire, se montre, puis disparaît.
Vous jouez donc deux rôles distincts, l'un principalement en Italie et l'autre en France, si bien qu'on a parfois l'impression qu'il s'agit de deux films en un. Avez-vous aussi eu cette impression sur le tournage ?
Oui, parce que le voyage qu'Enrico entreprend est une sorte de fenêtre qui s'ouvre dans sa vie. L'endroit merveilleux qu'était cette région de Champagne, où nous avons tourné dans un château magnifique, a contribué à donner l'impression qu'Enrico bénéficiait d'un moment pendant lequel il pouvait respirer, prendre du recul par rapport au caractère oppressif de la politique italienne.

Le film n'est pas sans rappeler Habemus Papam où on assiste également à la fuite du personnage principal (le futur Pape) face à ses responsabilités publiques. En avez-vous eu conscience dès l'origine du projet ?
Plusieurs personnes en Italie ont fait le lien entre les deux films, qui sont du reste complètement différents au niveau de la réalisation. Cependant ils ont un dénominateur commun dans le fait que quelqu'un décide de renoncer au pouvoir parce qu'il ressent un blocage au niveau de sa personnalité.
La majorité des films italiens actuels traitent de la politique et souvent en des termes peu reluisants. Avez-vous l'impression que les années Berlusconi ont délié les langues ?
C'est mon opinion personnelle, mais en Italie, ces 25 dernières années, nous avons vécu l'un des moments les plus sombres de notre République. A plein de niveaux, mais aussi au niveau culturel. Nous avons connu de véritables tragédies, comme l'opération "Mains propres" en 1992-1994, l'assassinat d'Aldo Moro par les Brigades rouges ou les attentats perpétrés par la mafia. Ça a réveillé la conscience de nombre de jeunes metteurs en scène qui ont choisi de s'emparer de ce sujet. C'est une chose très positive selon moi.
Après Il Divo et La Belle Endormie, c'est la troisième fois que vous endossez le rôle d'un homme politique à l'écran. Pourquoi les réalisateurs vous imaginent si bien dans ce rôle à votre avis ?
C'est un hasard. Ce sont des films centrés sur la politique, mais qui traitent de ce sujet de manière très différente les uns des autres.
Est-ce que selon vous les artistes ont la responsabilité de s'engager publiquement en tant que citoyen ?
Je pense que les artistes, à partir du moment où ils ont une activité publique, ont une activité politique et cela revient à la personnalité de chaque artiste de le faire avec responsabilité. Je crois le faire avec responsabilité. Jusqu'à présent, c'est vrai que j'ai privilégié des films - comme on dit en France - "engagés", mais je pense qu'une très belle histoire d'amour peut être aussi une histoire politique.

Idéalement, qu'aimeriez-vous que le public retienne du film ?
Je souhaite que le public, en tout cas c'est ce qui était présent dans nos ambitions, s'interroge sur cette politique qui peut souvent créer un sentiment d'oppression. Qu'il puisse sourire en pensant avec intelligence.
Roberto Andò dit qu'il n'aurait jamais fait ce film sans vous. Cela vous a-t-il donné davantage confiance ou ajouté davantage de pression ?
Cela me flatte évidemment et m'a donné davantage confiance. Lorsqu'un metteur en scène fait appel à un acteur en particulier, c'est qu'il pense qu'à ce moment-là cet acteur est la personne la plus juste au monde pour faire cette chose et je crois que cela lui donne une grande force. C'est important de donner confiance.
A-t-il laissé de la place à l'improvisation sur le tournage ?
Oui, mais de façon très modérée. Je préfère avoir un cadre bien stable dans lequel je peux exercer mon métier. Quand il y a une grille très précise, une sorte de cage, il y a plus de liberté.
Vous venez de recevoir le prix du Meilleur acteur aux European Film Awards pour le film La Grande Bellezza de Paolo Sorrentino. Est-ce important pour vous la reconnaissance de vos pairs ?
C'est important parce que ça encourage à continuer sur la route qu'on a prise, à ne pas baisser les bras et à être toujours plus courageux.
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