Isao Takahata nous parle du "Conte de la princesse Kaguya"

14 ans après son dernier long-métrage, le réalisateur du "Tombeau des lucioles" revient au cinéma avec un film d'animation poétique, inspiré de l'un des plus anciens contes de l'histoire du Japon.

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Isao Takahata © 2013 Hatake Jimusho - GNDHDDTK

Linternaute.com : Pourquoi avez-vous choisi d'adapter ce conte et quel est le message particulier qui vous a intéressé dans cette histoire ?
Isao Takahata :
Je suis absolument démuni pour vous répondre par rapport au message du conte original, parce que ce récit est une sorte d'énigme. C'est un récit dont on ne comprend pas vraiment le sens, ni les enjeux, depuis des siècles, et c'est cette incompréhension, ce côté opaque, qui m'a amené justement à en proposer un traitement. De mon côté, j'ai décelé, j'ai imaginé un message, c'est-à-dire un certain nombre de choses qui seraient sous-jacentes, pas du tout expliquées dans le récit, mais qui permettraient de comprendre les enjeux du récit. C'est le fait d'avoir trouvé cette forme de résolution qui m'a amené à me lancer dans cette aventure.

Bien que très coloré, le film se révèle tout de même assez sombre. Pensez-vous qu'il s'adresse davantage à un public adulte comme "Le Tombeau des lucioles" en son temps ?
Oui, bien sûr, c'est un film pour lequel j'ai en tête le public adulte. C'est un peu une constante. Je ne fais pas des films spécialement pour les enfants, même si je pense que ces films peuvent aussi être vus par des enfants. Ce n'est pas du tout un problème.

Le film montre aussi une fois de plus que la nature joue un rôle très important dans la culture japonaise...
Ce n'est pas du tout l'idée que j'ai voulu mettre en avant, cette idée que la nature aurait un rôle particulier dans la culture japonaise. Ce n'est pas quelque chose d'important à mes yeux. A mon sens, ce qu'il importe de dire, c'est que la nature a une place importante à travers le monde, et ça c'est une constante. Pour moi, c'est quelque chose qui est évident.

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L'esquisse animée © The Walt Disney Company France

Qu'est-ce qui vous a poussé à aller vers ce style graphique proche du croquis ?
Cette direction-là pour le dessin, l'image du film, c'est quelque chose qui m'intéressait depuis très longtemps, bien avant de m'atteler à ce projet-ci. Si je m'étais lancé dans d'autres projets, je pense qu'ils auraient aussi pris cette direction-là. C'est un rêve de longue date pour moi d'aller dans le sens du croquis, de l'esquisse.

Est-ce lié à une volonté de vous démarquer de la 3D qui envahit les salles de cinéma ?
Vous savez, c'est une direction du cinéma qui existe par elle-même. Il y a des gens qui veulent travailler comme ça, ils le font. Moi je n'ai jamais réfléchi à ces possibilités-là côté technique. Je ne les ai pas à l'esprit. Ça m'indiffère complétement, donc il n'y a pas de distance volontaire par rapport à ça. C'est quelque chose qui existe, mais moi je fais les choses qui m'intéressent.
Lorsqu'il m'arrive de m'adresser à des étudiants, ce que je fais depuis une vingtaine d'années, je leur dis fréquemment à propos de la production japonaise (mais je pense qu'on peut le dire aussi à propos de la production internationale) que la production est entrée à mon sens dans l'âge du baroque. Je ne sais pas dans quelle mesure vous vous intéressez à l'histoire de l'art et à la vie des formes, mais on sait que, dans un certain nombre de registres artistiques d'expression, il y a des époques comme ça. On passe ainsi d'une période archaïque à un âge du classicisme, puis typiquement à une époque baroque. Cette époque baroque se caractérise par une certaine flamboyance, une certaine violence. Par exemple avec des rendus d'ombre et de lumière, des représentations plus chargées d'une sorte de violence graphique, plus extrêmes, en comparaison avec un âge classique qui sera peut-être plus rond, plus dans la représentation d'un idéal.
Evidemment, tout cela reste des considérations très générales, mais en animation on peut observer les mêmes tendances, les mêmes évolutions. Or, on sait que cet âge du baroque, c'est aussi une période où il existe de manière latente des possibilités d'ouvrir de nouvelles voies, d'explorer de nouvelles directions. C'est ce que je dis aux étudiants lorsque j'ai l'occasion de leur parler : "Vous êtes dans une situation qui est favorable à l'exploration de nouvelles voies. Après, vous faites ce que vous voulez. Vous pouvez effectivement aller plus loin dans le baroque ou alors chercher une forme d'expression neuve. Moi, en ce qui me concerne, j'essaie de travailler dans une nouvelle direction qui n'ait rien à voir avec ce caractère baroque." A mes yeux, l'infographie 3D et toutes ces images en volume résultent également de ce caractère baroque. 

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Le Vent se lève © The Walt Disney Company France

Le film sort seulement quelques mois après "Le Vent se lève" de Miyazaki. N'était-ce pas un peu compliqué pour le studio Ghibli de produire les deux films en même temps ?
En fait, ce n'était pas possible pour le studio Ghibli de faire ce film parce que l'équipe était occupée par le film de Mr. Miyazaki, donc on a été obligé de créer un studio à l'extérieur. La majorité des membres de l'équipe sont des gens qui n'ont rien à voir avec le studio Ghibli.

Qu'avez-vous pensé du fait que Miyazaki annonce que ce serait son dernier film ? Y croyez-vous ?
Il n'y aurait absolument rien de surprenant à ce que Mr. Miyazaki déclare à un moment ou un autre qu'il se lance dans un nouveau projet de long-métrage. C'est quelque chose qui me semble tout à fait clair. C'est une question qui ne me paraît pas d'une très grande importance car cette déclaration de départ à la retraite est quelque chose qu'il aurait mieux fait d'éviter, à mon avis. Il voulait le faire, donc il l'a fait, mais tout ça c'est beaucoup de bruit pour pas grand-chose.

Pourquoi avez-vous attendu 14 ans depuis votre dernier film "Mes Voisins les Yamada" ?
Il y a des projets que j'ai envie de réaliser, qui ont un sens à mes yeux, et puis il y a la manière dont on peut les envisager, c'est-à-dire l'approche formelle, la méthode dans laquelle on décide de s'engager pour cette réalisation. Pour moi, c'était nécessaire de pouvoir travailler sur un projet qui m'intéressait, dans la direction qui me convenait et, si ce n'était pas possible, ce n'était pas la peine de réaliser des films. Je n'avais pas envie de faire des choses en dehors de ce contexte-là. Il y a des projets que je souhaitais mettre en forme, sur lesquels j'ai travaillé et sur lesquels on a été obligé de s'interrompre. Ils n'ont pas vu le jour parce qu'on a renoncé à les développer davantage. Ces différentes tentatives qui n'ont pas pu être menées à terme, évidemment, ça prend du temps.
D'autre part, de mon côté, j'ai exercé une activité d'écriture et j'ai également travaillé à une forme d'étude, c'est-à-dire qu'il y a des choses qui m'intéressent sur lesquelles j'ai envie de faire de la recherche. Donc j'ai mené une étude sur certains sujets. Tout ça pour dire que j'ai passé ces années dans un travail qui, en tout cas à mes yeux, est tout à fait motivant. Je n'ai pas du tout été dans une forme d'impatience ou d'inaction.

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EN VIDEO : la bande-annonce du film

"Bande annonce VOST 1, Le Conte de la princesse Kaguya"

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