Pio Marmaï (acteur) "Le film "Maestro" est une sorte de comédie poétique"

Dans "Maestro", sorti le 23 juillet 2014, Pio Marmaï interprète un jeune acteur qui décroche le premier rôle d'un film d'auteur en costumes, alors qu'il rêvait plutôt de blockbusters et de cascades. Rencontre.

1
Pio Marmaï © Marion Thuillier - Linternaute.com

Linternaute.com : Le film est tiré de l'expérience vécue par Jocelyn Quivrin sur le tournage des "Amours d'Astrée et de Céladon" de Rohmer. Comment vous êtes-vous préparé à jouer son rôle ?
Pio Marmaï :
Aucune préparation. Je me suis préparé dans le sens où je savais mon texte avant, etc. Après j'ai essayé d'être au plus proche de ce que je suis dans la vie réelle parce que je me sens vraiment très proche de mon personnage. Donc j'ai fait exactement ce que je suis dans la vie : les mêmes conneries, en permanence. 

Jocelyn Quivrin voulait lui-même interpréter son propre rôle dans le film. Est-ce que cela vous a donné une responsabilité particulière sur le tournage ?
Je m'en rends compte maintenant parce que tout le monde m'en parle, mais à l'époque je ne me suis jamais posé la question. Au contraire, je pense qu'il ne faut pas se la poser parce que ce serait se mettre quelque part des bâtons dans les roues au sens créatif. C'est-à-dire que ne le connaissant pas, ça n'aurait été que pure imagination et projection. Léa Fazer ne voulait absolument pas que je sois dans une possible re-fabrication ou réincarnation de ce qu'aurait pu faire Jocelyn Quivrin. Moi, je m'empare de l'objet et je fais ce qu'on me demande de faire, mais, à l'intérieur, c'est moi qui joue quelque part. C'est très important. Sinon, j'ai peur que ce soit un peu bridant, un peu castrateur.

Comment s'est passée la rencontre avec Michael Lonsdale ?
Très simplement. Pas de gêne, pas de chichis. C'est quelqu'un qui est très honnête, qui a énormément de malice et un parcours un peu atypique aussi, de James Bond à Buñuel, en passant par Marguerite Duras. C'est quand même un parcours qui est singulier. Et il est très franc donc c'est très agréable de rencontrer quelqu'un comme ça. Travailler avec des gens comme ça, c'est assez rare. Il faut être très respectueux de ces figures, pour les accompagner aussi.

Est-ce que vous pensez que la transmission entre les anciens et les plus jeunes joue un rôle important, dans votre métier notamment ?
Je pense que oui, parce qu'après 1968, très étrangement, on a tué le père. L'idée c'était de faire table rase de ce qui avait été fait. On va être, nous, créatif et inventer notre propre réalité, notre propre art, quelque part. J'ai l'impression que c'est une très bonne chose, mais n'empêche, la figure du maître est très importante aussi. Il faut toujours prendre en compte et entendre ce qui a été fait avant, en amont, pour pouvoir ensuite s'approprier, d'une certaine manière, cette forme de création, afin de créer autre chose ou bien d'être dans une continuité. Je pense que c'est bien de savoir ce qui a été fait par les plus vieux parce qu'il y a des choses extraordinaires et des choses minables, comme chez les jeunes, mais il faut arrêter de tout jeter. Ça ne sert à rien.

2
Avec Michael Lonsdale © 2014 MANDARIN CINEMA - REZO FILMS  NICOLAS SCHUL

Il y a une scène très forte dans le film, lorsque votre personnage craque face à Cédric Rovère (Michael Lonsdale) qui le recadre frontalement (voir la vidéo). Comment interprétez-vous cette scène ?
C'est un moment assez particulier parce que c'est un plan-séquence aussi. Ce n'était pas écrit comme ça. Ce n'était pas écrit qu'Henri s'effondre. C'est quelque chose qui est arrivé à ce moment-là. Je pense qu'il fallait être dans cette espèce d'instant comme ça, d'abandon pour entendre ce que me disait Michael et puis, effectivement de s'abandonner un petit peu. J'aime les séquences qui techniquement sont très lourdes, et ici, si on regarde bien attentivement la construction de la séquence, c'était très compliqué. Ça fait plus de 4 minutes de plan-séquence et, effectivement, il y a une tension puisqu'on sait qu'on ne pourra pas monter la séquence a posteriori. Moi aussi, quand je l'ai vue, je me suis dit que c'était très touchant, parce que je n'ai pas l'habitude de me voir comme ça, m'effondrer et être ému. Je me suis dit que ce que ça racontait, ça me parlait aussi, mais je ne pourrais pas expliquer pourquoi. Il ne faut jamais intellectualiser quoi que ce soit. C'est la pire des choses à faire. Il faut y réfléchir avant, chez soi, sous la douche, mais plus pendant le tournage. Les acteurs qui réfléchissent, ce sont ceux qui ratent le coche. Il faut jouer avec l'autre, jamais réfléchir, sinon c'est droit dans le mur.

Pensez-vous, comme le dit Léa Fazer dans le dossier de presse, "qu'un monde où on laisse la culture sur le bord du chemin devient stérile" ?
J'en suis complétement convaincu. On est quand même dans un pays où l'exception culturelle fait qu'il y a aussi un rayonnement à l'international. Si on continue à dire que ça coûte de l'argent à l'Etat, au bout d'un moment, et c'est ce qui est en train de se passer, le public va s'imaginer que ça coûte effectivement plusieurs centaines de millions d'euros à l'Etat, sans prendre en compte ce que le cinéma, le théâtre, la danse ou encore l'opéra rapportent aux régions... Et là, je ne parle que de l'aspect financier. Après, il y a aussi la dimension artistique, mais c'est bien de s'attarder sur l'aspect financier, parce que ça parle à tout le monde. C'est très clair et c'est sur le papier parce que l'Etat a besoin d'avoir un rapport financier. Je trouve que c'est quand même incroyable qu'aujourd'hui, après 17 ans de droite, on se retrouve sous un gouvernement de gauche avec l'intermittence qui va peut-être disparaître. Aujourd'hui je ne dépends plus de l'intermittence parce que je veux que cet argent serve à des gens qui en ont besoin. C'est incroyable qu'on soit en permanence obligé de rediscuter, de remettre sur la table des problématiques qui de toute façon sont pour moi inexistantes, parce que, si on perd cette exception culturelle, quel sera l'avenir de notre pays ? C'est comme cette nouvelle convention qui a été signée pour le cinéma. C'est une catastrophe financière. Il y a énormément de films qui ne se font plus, qui sont annulés alors qu'il y a deux ans on les aurait tournés. C'est dommage parce que ça empêche pas mal de gens de travailler. Il y a 25% de films en moins. Sur ces 25%, il y a peut-être seulement un ou deux films géniaux, mais pour la diversité, c'est quand même un coup dur.  Et l'industrie du cinéma ne coûte pas d'argent. Au contraire, ça rapporte énormément. J'ai du mal à saisir ce qui s'est passé dans cette ratification. Qui a géré ça ? Est-ce que ça représente la voix de tout le monde ? Non, certainement pas. Au bout d'un moment, ce n'est pas une question d'être engagé ou pas, c'est un simple constat. S'il y a 25% de films en moins, c'est dommage.

Le film commence comme une comédie, puis glisse peu à peu vers l'émotion. Et vous, comment le définiriez-vous ?
C'est assez singulier comme film car il y a effectivement une part de comédie évidente. C'est un film très drôle et, en même temps, il y a une sensibilité et une poésie. Je dirais que c'est une sorte de comédie poétique. 

3
Avec Déborah François © 2014 MANDARIN CINEMA - REZO FILMS  NICOLAS SCHUL

Comme Jocelyn Quivrin, rêviez-vous de blockbusters et de films d'action lorsque vous avez décidé de vous lancer dans le cinéma ?
Pas du tout. Ça me ferait plus marrer maintenant. Enfin, les blockbusters ça ne m'intéresse pas spécialement. Je n'ai pas envie de me battre contre des Aliens toute la journée, mais, par curiosité, je ferais bien une fois un truc comme ça, déguisé en Superman... Ça me ferait beaucoup rire ou peut-être que ça briserait quelque chose du regard un peu naïf et utopique que j'ai su ce genre de cinéma.

Y a-t-il une expérience de tournage en particulier qui vous a transformé ?
Ce film-là parce que j'ai eu la possibilité de faire des choses plus drôles. Je ne suis pas quelqu'un de triste dans l'existence, de plaintif ou dans un registre que j'ai davantage pu faire avant. Je ne suis pas du tout dans la retenue. Du coup, je me suis dit : "tiens, effectivement, il y a peut-être de la place aussi pour ça." J'étais très heureux justement d'expérimenter cet aspect un peu plus comédie, même si je me retrouve peut-être un peu moins dans les comédies françaises que dans les comédies américaines. Je pense notamment aux films avec John C. Reilly ou Will Ferrell qui me parlent plus que ce qu'on fait en France, malheureusement ou heureusement, mais en tout cas ça n'existe pas. Donc encore faudrait-il qu'il y ait cette possibilité-là. Je pense que justement la jeune génération peut essayer de travailler là-dessus. Ce serait chouette.

Avez-vous déjà été choqué par la différence entre le rendu à l'écran d'un film et votre expérience pendant le tournage ?
Bien sûr. En bien comme en mal. Il y a tellement de couches différentes entre ce qu'on va jouer, l'axe de la caméra, la lumière, l'environnement sonore, le montage en soi, l'étalonnage et surtout l'intégralité du film dans sa construction et dans son rythme... Condenser 8 semaines de travail en 1h30, forcément on est surpris quand on voit le film fini. A chaque fois, c'est une surprise. Après elle peut être très bonne comme très mauvaise. C'est tout à fait normal et c'est ce qui donne aussi à ce travail-là une sorte de singularité et un côté agréable. On ne contrôle pas tout et c'est un travail d'équipe. Ce n'est pas simplement moi qui fais mon petit morceau de bravoure et puis on verra ce qui se passe. Au contraire, il faut un engagement de toute l'équipe pour que ça fonctionne.

Vous êtes à l'affiche de 4 films cette année (La Ritournelle, Dans la Cour, Maestro, Des Lendemains qui chantent). Vous n'avez pas peur de lasser à force de trop tourner ?
Il faudrait déjà que le public sache qui je suis (Rires). Ce qui est important, c'est surtout de faire des bons films. Quand on nous propose des bons projets, il faut les faire. Cette année, les 4 films qui sortent, pour l'instant, reçoivent tous des critiques plus que bonnes, donc j'en suis très content. Ce sont des parcours qui à chaque fois sont totalement singuliers, qui n'ont absolument rien à voir. Ce sont des très bons metteurs en scène, donc je n'allais pas me priver. Ce serait complètement con de rester dans son salon en se disant : "J'ai peur de me lasser ou de lasser le public." Effectivement il faut prendre un peu de temps après. Je n'ai pas envie non plus d'être dans un systématisme ou de rester dans mes acquis, au contraire. Ce n'est pas non plus l'enfer. Je ne suis pas à l'usine, je ne vais pas serrer des boulons toute la journée. Quand je vais faire un film, c'est quand même un luxe et une chance. Après, est-ce que ça va lasser les gens ? Jusqu'à présent je n'ai pas l'impression de lasser quiconque puisque de toute façon personne ne me remet nulle part donc banco. Le jour où ça m'arrivera, peut-être, mais pour l'instant les gens ne savent même pas comment je m'appelle, ni à quoi je ressemble donc ça m'est complètement égal. Si à 30 piges, je ne commence pas à me faire plaisir, quand est-ce que ça va commencer ?

 Toutes les informations sur "Maestro"

EN VIDEO : la bande-annonce du film

"Bande annonce VF 1, Maestro"